x
Close
African Business

L’industrie du divertissement à la croisée des chemins

L’industrie du divertissement à la croisée des chemins
  • Publiémars 23, 2023

Des humoristes d’Instagram aux géants des télécommunications qui diffusent leur contenu, l’avenir des médias en Afrique est en ébullition. Tour d’horizon des secteurs et des pays porteurs.

 

Piégée chez elle à Nairobi par la pandémie et, comme des millions de personnes dans le monde, se sentant isolée, Elsa Majimbo a commencé à poster de courtes vidéos comiques sur Instagram. Assise dans son lit, mangeant des chips et riant aux éclats, Majimbo s’est rapidement construit un public dévoué. Deux ans plus tard, elle compte 2,5 millions d’adeptes sur la plateforme de médias sociaux, des couvertures de magazines, des campagnes de mode et une nouvelle maison dans le quartier chic de West Hollywood. Comme de nombreux créateurs africains, des YouTubers aux joueurs en passant par les musiciens et les acteurs, Majimbo incarne la croissance vertigineuse de l’industrie du divertissement et des médias sur le continent.7

Les géants du streaming sont toujours désireux de faire correspondre leurs investissements aux retours attendus, ce qui amène les créateurs africains à râler que les budgets sont encore trop faibles par rapport à ce qui se passe ailleurs.

Face à l’adoption rapide du numérique, aux changements de comportement induits par la pandémie et à la stagnation des marchés occidentaux pour des entreprises telles que Netflix, YouTube et Facebook, le chemin de la croissance future de ce secteur dynamique pourrait passer par l’Afrique.

Par conséquent, l’industrie africaine du divertissement et des médias, très fragmentée, se trouve à la croisée des chemins. Les consommateurs africains consacrant une part croissante de leur temps et de leur argent aux médias, les entreprises devront faire preuve d’agilité. Et si tout le monde s’accorde à dire que le secteur s’engage dans une période de grande expansion sur le continent qui connaît la croissance la plus rapide au monde, la volatilité sous-jacente signifie que de nombreuses entreprises seront laissées pour compte.

« Le secteur du divertissement en Afrique est encore  émergent et nous avons à peine effleuré la surface de ce qu’il est possible de réaliser en investissant dans la créativité africaine », déclare Marie Lora-Mungai, fondatrice de Restless Global, une société de conseil stratégique spécialisée dans les secteurs de la création et du sport en Afrique. Les géants de la technologie « savent que leur prochain milliard d’utilisateurs viendra d’Afrique, c’est pourquoi ils investissent tous massivement dans l’infrastructure internet du continent ».

Le divertissement et les médias couvrent toute une série de secteurs, certains bien établis en Afrique, d’autres issus de la révolution numérique, par l’utilisation massive des smartphones.

 

Croissance impressionnante

Les journaux et les magazines, la télévision traditionnelle, la musique en direct, le cinéma, la radio et la publicité dans la rue restent forts. Pourtant, ils ne sont pas de taille à long terme face aux nouvelles industries, notamment le streaming vidéo et musical, la publicité sur Internet et les médias sociaux.

D’autres sous-secteurs des médias, tels que les jeux mobiles, commencent tout juste à s’implanter sur le continent, en partie grâce à la pandémie et aux fermetures associées, qui ont bouleversé les habitudes de toute une vie. Selon Sipho Fakela, consultant en médias, la Covid-19 a « forcé les gens à décider ce qui était important et ce qui ne l’était pas ». Beaucoup de ces nouvelles habitudes sont restées.

 

L’Afrique du Sud, la nation la plus industrialisée, est le marché le plus structuré, avec une industrie créative bien établie et une solide réserve de talents dans les domaines du cinéma, de l’animation, du design, des jeux et de la musique. Elle dispose même de son propre service de streaming, Showmax. L’arrivée de la technologie 5G en Afrique du Sud devrait stimuler encore davantage le secteur en augmentant la vitesse de l’internet et en réduisant les prix. Le Nigeria, avec son énorme population jeune et férue de technologie, est la puissance de divertissement de l’Afrique, dominant dans la musique, le cinéma, la mode et même les arts visuels. Quant au Kenya, géant économique de l’Afrique de l’Est et centre de création d’entreprises, il présente un énorme potentiel pour les entreprises de divertissement et de médias. En 2022, Netflix a lancé sa première série kenyane, un drame familial réaliste intitulé Country Queen. Le Ghana, pays très artistique, présente également un grand potentiel.

L'influenceuse Majimbo
L’influenceuse Majimbo

 

Des marchés plus petits comme le Rwanda, la Côte d’Ivoire et même le Bénin pourraient également contribuer à la croissance du secteur. Dakar s’est imposée comme une capitale culturelle ouest-africaine et un centre sportif de premier plan. Et au-delà de l’Afrique subsaharienne, l’Égypte, le Maroc et la Tunisie affichent une forte croissance dans le domaine des jeux, des arts visuels et de l’animation respectivement.

Selon Sipho Fakela, des marchés tels que la Namibie et le Botswana ont encore cinq à six ans de retard sur l’Afrique du Sud, en grande partie à cause du prix élevé des données en continu et de la lenteur de l’adoption du numérique, qui rendent les gens dépendants des médias traditionnels, notamment les journaux et la radio.

Selon l’organisation de l’industrie des réseaux mobiles GSMA, seuls 28 % des Africains subsahariens étaient connectés à l’Internet  à la fin de 2020. Selon Sipho Fakela, dans certains marchés de troisième rang, l’État a encore une grande emprise sur les médias, même si les choses commencent à changer.

 

La monétisation en marche

 « Plus les données deviennent bon marché, plus vous avez de grandes audiences. Cela va créer beaucoup plus de fragmentation, mais je pense que cela va faire baisser le coût des médias. »

L’industrie du divertissement en Afrique est en train de se structurer. « Il y a environ cinq ans, les gouvernements et les institutions financières de développement, comme Afreximbank, la Société financière internationale, l’AFD, et la BAD, tous ont commencé à considérer sérieusement le secteur créatif comme une source de croissance et de création d’emplois », observe Marie Lora-Mungai.

Parallèlement, l’amélioration de la pénétration de l’Internet, la possession de smartphones, les paiements en ligne et les outils de monétisation ont permis aux créateurs africains d’accéder au marché mondial en ligne. Pendant la pandémie, des plateformes telles qu’Instagram et YouTube ont mis à la disposition des créateurs africains des outils de monétisation, tels que les paiements mobiles et les publicités.

En conséquence, les revenus du divertissement et des médias ont fortement augmenté en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya depuis 2021 selon un rapport du cabinet de conseil  PwC. Pourtant, la Covid-19 a également révélé des fractures dans l’industrie, certains sous-secteurs bénéficiant des changements de comportement et d’autres étant pas du tout. Certains segments de niche pour les entreprises, comme les jeux, sont devenus plus importants, tandis que certains secteurs établis, comme les journaux, sont en déclin.

La publicité a été la plus durement touchée par la pandémie, mais elle a connu le plus grand rebond depuis; la publicité sur Internet étant appelée à croître rapidement dans les années à venir. Le rapport de PwC affirme que 79,7 % des revenus du divertissement et des médias en Afrique du Sud d’ici 2026 proviendront de la publicité des annonceurs sur Internet, les consommateurs passant de plus en plus de temps en ligne. « Au cours des cinq à dix prochaines années, la concurrence se jouera probablement entre Google et Facebook, d’une part, et Netflix ou Amazon Prime, d’autre part, plutôt qu’entre Netflix et le diffuseur public local », juge Sipho Fakela.

Parmi les autres secteurs bien placés pour connaître une croissance rapide, citons le streaming musical et vidéo, dont la croissance des revenus d’ici 2026 devrait dépasser celle des abonnements à la télévision traditionnelle sur les marchés les plus importants d’Afrique, même si la télévision restera beaucoup plus importante. Au Kenya, par exemple, les recettes du streaming devraient s’élever à 8,8 millions de dollars en 2026, tandis que les recettes des abonnements télévisés atteindront 420 millions$, selon PwC. De même, la diffusion de musique en continu est l’élément qui connaît la croissance la plus rapide sur le marché nigérian de la musique, les artistes du pays, dont Burna Boy et Wizkid, figurant en tête des hit-parades du monde entier.

Signe des temps qui changent, lorsque le président Biden a accueilli les dirigeants africains au sommet États-Unis-Afrique à Washington en décembre pour discuter des industries traditionnelles telles que l’exploitation minière et l’agriculture, Burna Boy venait de faire salle comble à la Capital One Arena de la capitale américaine.

 

Les jeux sont sérieux

Les jeux mobiles connaissent également une croissance rapide. Aujourd’hui, deux Sud-Africains sur cinq jouent régulièrement à des jeux, contre un cinquième des Nigérians et des Kenyans. Les joueurs professionnels africains, dont les Kenyans Beast et Queen Arrow, attirent des légions de fans.

Les jetons non fongibles (NFT) constituent une autre petite industrie en pleine, le Nigeria étant le sixième marché mondial de NFT et l’Afrique du Sud le douzième.

Meta, le propriétaire de Facebook, a déclaré à PwC que son projet de « métavers » de réalité virtuelle pourrait contribuer à hauteur de 40 milliards $ aux économies de l’Afrique subsaharienne d’ici 2032. Et un rapport d’Ornico, une société d’intelligence économique, a révélé que plus de 16 % des consommateurs sud-africains ont participé à un « monde virtuel » au cours de l’année écoulée. En 2021, le premier métavers d’Afrique, Ubuntu-land, a été lancé et déjà MTN Group et l’agence de publicité M&C Saatchi Abel  ont été  des clients.

En revanche, les journaux et les magazines devraient voir leur part de marché diminuer. Les cinémas pourraient également connaître des difficultés sur le long terme, dans un contexte d’utilisation croissante du streaming, même si les recettes du box-office en Afrique du Sud restent élevées. Pour l’instant, les cinémas se multiplient dans des villes comme Dakar et Nairobi, pour répondre aux besoins d’une classe moyenne africaine en pleine expansion.

Burna Boy
Burna Boy

 

 

Sur les plus grands marchés du continent, un coup de pouce est en passe d’être donné par la technologie de données mobiles 5G, qui devrait permettre le streaming sans décalage, le Cloud gaming et la réalité virtuelle à moindre coût et de meilleure qualité. L’Afrique du Sud est sur le point d’adopter la 5G, après une série de ventes aux enchères de fréquences. Le Nigeria a organisé avec succès une vente aux enchères en 2021.

« La 5G va jouer un rôle énorme car je pense qu’elle va réduire considérablement les coûts de connection », considère Sipho Fakela. « Je la vois également comme un facilitateur économique, car vous avez de nouvelles entreprises qui entrent en service grâce à une connectivité plus rapide, et une connectivité dans des zones qui étaient auparavant mal desservies. »

 

Originalité et authenticité engendreront le succès

Ceux qui réussiront dans le secteur fragmenté des médias et du divertissement seront ceux qui donneront aux consommateurs africains ce qu’ils veulent, plutôt que de réadapter le contenu occidental. Cette tendance n’est nulle part plus claire que dans le domaine du streaming, où des entreprises comme Netflix, Amazon Prime et Spotify ont commencé à prendre l’Afrique au sérieux.

Aujourd’hui, Netflix offre une vaste bibliothèque de contenus, tandis que Showmax propose une série de programmes originaux africains et une couverture sportive mondiale.

Disney+ a été lancé en Afrique du Sud en mai 2022 et s’est implanté au Maroc, en Égypte, en Algérie, en Libye et en Tunisie.

Amazon Prime Video, quant à lui, a lancé un service local au Nigeria en août, permettant aux clients d’acheter des abonnements en naira, et a mis en place des équipes nationales spécialisées pour le Nigeria et l’Afrique du Sud. Une expansion similaire a eu lieu dans le domaine du streaming musical.

En retour, les entreprises locales reçoivent des montants record de financement. Selon Disrupt Africa, les startups africaines du divertissement ont enregistré leur meilleure année de financement en 2020, en levant 13,9 millions $, principalement auprès de sociétés de capital-risque. Cela intervient alors que les inscriptions au streaming commencent à ralentir sur les marchés occidentaux saturés.

Face à l’adoption rapide du numérique, aux changements de comportement induits par la pandémie et à la stagnation des marchés occidentaux pour des entreprises telles que Netflix, YouTube et Facebook, le chemin de la croissance future de ce secteur dynamique pourrait passer par l’Afrique.

Il reste cependant du chemin à parcourir. Les géants du streaming sont toujours désireux de faire correspondre leurs investissements aux retours attendus, explique Marie Lora-Mungai, ce qui amène les créateurs africains à râler que les budgets sont encore trop faibles par rapport à ce qui se passe ailleurs.

La bataille que se livrent les géants du streaming pour accroître leur clientèle africaine illustre la trajectoire de l’industrie du divertissement et des médias, qui est déterminée par les désirs des consommateurs africains. Les barrières à l’entrée étant faibles, les consommateurs disposent d’une grande variété de contenus et de services dans leur gamme de prix. Les entreprises, quant à elles, doivent faire face à une concurrence intense et à des perturbations constantes pour rester pertinentes. Pour celles qui y parviennent, les retombées seront énormes.

@AB

 

Écrit par
Charlie Mitchell

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *