L’industrialisation, une course d’obstacles

Si les progrès ont été lents jusqu’à présent, l’Afrique offre désormais un environnement prometteur pour le développement industriel. Il reste plusieurs obstacles à surmonter et à mieux huiler le rapport entre stratégie étatique et initiative privée, souligne le rapport IIA.
L’Afrique est de plus en plus stable et de mieux en mieux gouvernée, jugent les auteurs du rapport Indice 2022 de l’industrialisation en Afrique présenté ce 25 novembre à Niamey (Niger). Ils en veulent pour preuve « la solide croissance » affichée par le continent en deux décennies. La gestion économique s’est améliorée, favorisant la stabilité macroéconomique et une meilleure utilisation des ressources publiques. Les services de base se sont développés, permettant au continent de disposer d’une main-d’œuvre en meilleure santé et plus instruite. De plus, l’accès aux services financiers ne cesse de s’améliorer.
La croissance rapide de la population active est une ressource essentielle pour l’Afrique, qui est, de ce fait, bien placée pour se lancer dans les activités manufacturières à forte intensité de main-d’œuvre. À mesure que le coût du travail augmente en Chine et dans d’autres économies émergentes, l’Afrique devrait bénéficier d’un avantage croissant en la matière. « Toutefois, l’Afrique ne tirera parti de ce dividende démographique que si elle peut doter sa jeunesse des compétences dont les entreprises ont besoin », préviennent les experts.
L’Afrique est une destination d’investissement de plus en plus attractive pour les investisseurs tant étrangers que nationaux. Bien qu’il soit encore faible en termes absolus, l’investissement étranger, par exemple chinois, s’oriente de plus en plus vers l’industrie manufacturière et les services. Des grandes villes africaines telles que Le Caire, Lagos, Johannesburg et Nairobi attirent l’investissement, créant des noeuds qui relient les marchés africains aux chaînes de valeur mondiales. Sur l’ensemble du continent, la croissance des centres urbains et des classes moyennes crée de nouveaux marchés pour les biens de consommation, ainsi que de nouvelles opportunités pour les industries nationales.
Améliorer le niveau de qualifications
La Zone de libre-échange continentale africaine semble « une condition essentielle » au développement industriel, dans un continent où l’essor du secteur manufacturier a longtemps été freiné par l’étroitesse des marchés intérieurs et les niveaux élevés des droits de douane sur les échanges régionaux. Bien sûr, il reste encore « beaucoup à faire » pour surmonter les barrières non tarifaires liées à des exigences réglementaires incohérentes entre pays et entre régions.
C’est ainsi que les auteurs pointent « les efforts » à consentir et les obstacles à surmonter. En particulier, l’« insuffisance des infrastructures est la contrainte la plus immédiate pour l’industrialisation ». Le coût moyen de l’électricité pour les entreprises manufacturières est quatre fois plus élevé en Afrique que les tarifs industriels appliqués ailleurs dans le monde, tandis qu’un approvisionnement énergétique de mauvaise qualité entraîne l’inactivité des travailleurs, des pertes de production et l’endommagement des équipements.
On le sait, le développement industriel nécessite des travailleurs mieux éduqués et plus qualifiés. D’ici à 2030, seuls 52 % des Africains en âge de travailler auront achevé leurs études secondaires. Il existe un écart important entre les compétences disponibles dans la population active et les besoins des entreprises, les compétences numériques et techniques étant particulièrement rares. « Cet écart s’accentuera à mesure que la technologie continuera de transformer les pratiques manufacturières », préviennent les auteurs.
Enfin, l’accès au financement constitue un autre obstacle à l’industrialisation de l’Afrique. Bref, il reste, sur le continent, « beaucoup à faire pour améliorer le climat des affaires ».
Or, regrettent les experts, dans de nombreux pays, les politiques économiques sont encore perçues comme peu fiables et les revirements fréquents sapent la confiance des entreprises. En outre, la réglementation de l’industrie implique souvent un fort pouvoir discrétionnaire de la bureaucratie, ce qui crée de l’incertitude et favorise la corruption.
C’est pourquoi l’« approche stratégique doit être affinée ». Hormis les quelques pays ayant atteint une relative maturité dans leur développement industriel, la plupart des pays africains ne sont qu’au début de leur processus d’industrialisation. Ce statut de nouvel entrant exerce une pression supplémentaire sur les pays qui cherchent à s’industrialiser, car les conditions de réussite changent rapidement, à mesure que l’industrie manufacturière mondiale elle‑même évolue.
Par exemple, l’essor de l’automatisation est en passe de réduire à néant de nombreuses opportunités pour les pays en développement qui tentent de sous-traiter des tâches à forte intensité de main-d’œuvre, qui seront bientôt exécutées par des robots. À l’inverse, les évolutions technologiques et la numérisation massive ont facilité l’échange de nouveaux services, offrant de nouvelles possibilités de participer aux chaînes de valeur manufacturières mondiales en tant que fournisseurs de services externalisés.
De plus, le recul de la « mondialisation » pourrait entraîner une contraction des chaînes de valeur mondiales et des liens transnationaux dans l’industrie, à mesure que les pays avancés s’efforcent de relocaliser leurs activités manufacturières au niveau national.
Quelques stratégies à affiner
« Cette ère d’incertitude sur les plans politique et industriel contraint l’Afrique à adopter des stratégies novatrices qui prévoient la transformation prochaine des opportunités et des facteurs de compétitivité de l’industrie », expliquent les auteurs. Qui incitent les gouvernements à « une réflexion approfondie sur les options stratégiques les plus prometteuses ».
Depuis vingt ans, plusieurs pays africains élaborent des politiques industrielles plus actives afin de soutenir les industries manufacturières naissantes. Miser sur la spécialisation, coordonner les investissements privés, privilégier l’artisanat, adopter les nouvelles technologies, créer des Zones économiques spéciales ou des incubateurs d’entreprises, etc.
Alors que le bilan de ces initiatives est mitigé, « une combinaison de réformes classiques du climat d’investissement et de mesures plus ciblées est nécessaire pour amorcer un développement industriel », commentent les auteurs. Si les risques de la « stratégie des champions nationaux » sont bien connus, un consensus se fait jour sur le fait que le développement des industries naissantes nécessite de nouvelles formes de collaboration entre les secteurs public et privé, sur la base de prospectives sectorielles.
Pourquoi pas des investissements ciblés dans les infrastructures et le développement des compétences, l’aide aux entreprises pour l’accès au capital, à la technologie et aux marchés d’exportation, ainsi que la mise en relation des entreprises manufacturières, des investisseurs et des clients ?
Par exemple, les États pourraient investir, de manière coordonnée, dans les capacités institutionnelles nécessaires pour mettre en œuvre la politique industrielle. « Ils devraient également acquérir de meilleures données sur les industries émergentes afin de pouvoir entreprendre des interventions fondées sur des preuves », relèvent les experts.
L’industrialisation du continent progresse
Photos du texte : rapport IIA ; photo de titre : AFP
@AB