L’esprit d’Abe regarde la TICAD 8

L’ombre de l’ancien dirigeant japonais assassiné, Shinzo Abe, plane toujours sur les relations nippo-africaines. Hommage à ses grandes contributions qui ont notamment permis aux entreprises japonaises de se montrer moins frileuses à l’égard du continent.
Par Anver Versi, African Business ; Londres
À l’approche de la TICAD8 qui se tiendra en Tunisie, mes pensées vont inévitablement vers Shinzo Abe, l’ancien Premier ministre japonais dont la vie a été si tragiquement écourtée par un assassin dérangé, en juillet 2022. Je ne doute pas que, s’il avait été encore en vie, il aurait porté un vif intérêt aux affaires nippo-africaines. Que ce grand ami de l’Afrique repose en paix !
J’ai rencontré Shinzo Abe pour la première fois lorsque je couvrais TICAD en 2013, qui a été déplacé de Tokyo à Yokohama. Abe, en tant que Premier ministre, a accueilli, au sens propre comme au figuré, ce qui est entré dans l’histoire comme le « Grand TICAD 5 ».
La JICA a souvent été laissée à elle-même. Aujourd’hui, avec le soutien solide de Shinzo Abe, elle peut déployer ses ailes. L’agence pourrait puiser dans le trésor promis par le Premier ministre pour intensifier la construction d’infrastructures et lancer sérieusement le développement des capacités humaines.
En effet, c’était un grand événement. Des milliers de personnes y ont assisté. On ne cessait de croiser à chaque tournant des personnalités africaines et internationales, dont des dizaines de chefs d’État. Shinzo Abe, tout sourire, semblait être partout, sautant d’une session à l’autre, se présentant aux conférences de presse et semblant généralement s’amuser énormément. À un moment donné, il m’a tapé sur l’épaule, m’a serré vigoureusement la main et m’a dit, en anglais : « J‘aime les Africains – beaucoup, beaucoup, beaucoup ! »
Il a incarné l’esprit de l’événement. Son enthousiasme pour l’Afrique et la joie qu’il a exprimée ont dynamisé l’événement et l’ont élevé bien au-dessus des procédures solennelles habituelles, convenues, ennuyeuses et exaspérantes de ce genre d’événements.
Un raisonnement stratégique solide se cachait derrière cet accueil effusif. Le Japon traversait un cycle extrêmement inconfortable, avec une économie stagnante qui glissait vers la dépression et une confiance au plus bas. Selon certains des experts japonais que nous avons rencontrés, le pays avait besoin d’être secoué pour sortir de son nombrilisme. La TICAD5, lorsqu’elle est arrivée, semblait être le tonique dont la nation avait besoin
J’ai écrit dans African Business à la fin de la conférence : « La TICAD5 a toujours été différente. Elle a coïncidé avec deux événements d’une importance vitale : une Afrique de plus en plus confiante, sur la crête d’une période de croissance sans précédent, et le nouvel élan musclé du Japon pour restaurer son dynamisme économique et retrouver sa place parmi les deux plus puissantes économies du monde. »
Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, dont les politiques de relance de l’économie ont ajouté un nouveau mot au lexique économique, « Abenomics », a tenu une importante conférence de presse à la fin de l’événement. « L’Afrique déborde de confiance et nous retrouvons la nôtre au Japon. Ensemble, nous pouvons réaliser de grandes choses. »
TICAD8 : les Japonais veulent du concret
Le gouvernement japonais, ainsi que le Premier ministre personnellement, ont beaucoup misé sur cette nouvelle approche de l’Afrique. La conférence s’est déroulée alors que Shinzo Abe était au cœur de ses « trois actions » visant à relancer l’économie japonaise en atténuant les pressions déflationnistes, en stimulant la confiance des consommateurs et en calmant un marché boursier très agité. Il a pourtant trouvé le temps d’assister aux trois jours de la conférence et de rencontrer tous les dirigeants et chefs d’État individuellement.
L’engagement d’Abe à Yokohama
La délégation africaine a souligné qu’en dépit d’une longue histoire de commerce avec le pays, le commerce bilatéral du Japon avec les pays africains en 2013 n’était que d’environ 25 milliards de dollars, contre près de 200 milliards $ avec son rival, la Chine. Les investissements japonais étaient sans commune mesure avec ceux de la Chine ou des autres superpuissances économiques mondiales. Pourquoi cette léthargie, cette hésitation à s’engager de manière significative avec l’Afrique ? Shinzo Abe semblait d’accord avec les Africains ; il a fustigé les corporations du pays, grandes et petites, pour leur ultra-prudence lorsqu’il s’agit de l’Afrique. Ils faisaient tous les bons discours, mais lorsqu’il s’agissait de mettre le stylo sur le papier, ils semblaient avoir la tremblote !
Le Premier ministre a opté pour l’approche Big Bang et s’est engagé à verser la somme astronomique de 32 milliards $ sur cinq ans. Cette somme se répartit comme suit : 14 milliards $ d’Aide au développement, 16 milliards $ de ressources publiques et privées et 2 milliards $ pour la souscription d’une assurance commerciale pour les entreprises qui craignent encore de se jeter à l’eau.
Douce musique
L’aide serait alors consacrée aux « trois piliers » du développement dont l’Afrique a besoin : des économies robustes et durables, des sociétés inclusives et résilientes et la paix et la stabilité. L’Afrique souhaite que le Japon l’aide à construire des infrastructures, et développer des technologies de pointe et des formations afin d’élever les capacités humaines à un niveau aussi proche que possible du niveau japonais.
Cet ensemble de mesures était une douce musique pour l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) qui, depuis des années, envoyait de jeunes volontaires et des experts chevronnés sur les routes et chemins d’Afrique pour mettre en œuvre des projets d’irrigation, construire de petits barrages, créer des stratégies de marketing pour les PME et, en bref, rendre la vie beaucoup plus facile à de nombreuses personnes en Afrique.
Malheureusement, la JICA a souvent été laissée à elle-même. Aujourd’hui, avec le soutien solide de Shinzo Abe, elle peut déployer ses ailes. L’agence pourrait puiser dans le trésor promis par le Premier ministre pour intensifier la construction d’infrastructures et lancer sérieusement le développement des capacités humaines, par exemple en « formant 30 000 Africains au développement industriel, en améliorant l’environnement d’apprentissage de 20 millions d’enfants africains par l’enseignement des mathématiques et des sciences et la gestion des écoles primaires, et en augmentant la production et la productivité agricoles, en particulier pour la riziculture, et en promouvant une approche « agriculture comme entreprise » pour 50 000 petits agriculteurs ».
Des changements s’imposent
TICAD 5 a eu lieu il y a neuf ans. Le monde a connu de nombreux changements depuis lors et est confronté à une hausse des coûts et à des pénuries, à une dangereuse escalade des hostilités en Europe et en Asie, à l’usure du changement climatique, à des affrontements de plus en plus violents entre les sociétés civiles et les juntes au pouvoir et à un sentiment général de fluctuation et de malaise.
Le Japon semble s’être installé dans une période stable, quoique peu spectaculaire, de consolidation économique et de neutralité politique. L’Afrique a assez rapidement recollé les morceaux après la pandémie et, malgré quelques contretemps tels que la guerre en Éthiopie, semble s’être engagée sur la voie d’une croissance régulière. Ce qui est significatif, c’est que bon nombre des objectifs fixés par TICAD 5 ont été atteints, discrètement mais très efficacement. Il est très réconfortant de constater que le slogan de la TICAD 8 soit « Made with Japan » et non « Made in Japan for Africa ». Shinzo Abe aurait été très heureux.
@AB