Les vérités d’Alpha Condé

Le président de la Guinée entend attirer les investissements dans son pays. L’année 2021, promet-il, sera celle de la refonte foncière, de la fin des détournements d’argent et du retour à une certaine morale. Pour que les financements aident les entrepreneurs Guinéens, en priorité.
Par Aude Darc
Loin des discours convenus en pareil cas, le président de la Guinée, nouvellement réélu, a asséné quelques vérités lors du lancement du Guinea Investment Forum (GUIF). Cet événement, le premier du genre à Conakry, réuni depuis ce 24 février, investisseurs, financiers, entrepreneurs, officiels, afin de faire connaître le potentiel économique du pays.
« Je salue le fait que vous accordiez la priorité aux investissements dans l’agriculture et l’agro-industrie. La Guinée peut devenir le grenier de l’Afrique de l’Ouest », a souligné le président de la BAD, Akinwumi Adesina.
En premier lieu, Alpha Condé a envoyé une pique à la SFI, la Société financière internationale, la filiale de la Banque mondiale qui vient en appui aux secteurs privés, dans les pays en développement. Le Président a déploré que l’institution – bientôt présidée par un Africain, Makhtar Diop – n’ait pas jusque-là sensiblement soutenu les entrepreneurs de son pays.
« Mes chers amis de la SFI, il faut qu’on se dise certaines vérités. Vous avez annoncé des investissements importants en Guinée mais ces investissements n’ont pas servi à développer les hommes d’affaires guinéens, ces investissements ont servi aux monopoles », a-t-il expliqué.

Le Président a évoqué un investissement auprès des mines de bauxites d’Alcoa « qui est est une société américaine », et un autre auprès de Sheraton ; il a déploré « très peu d’investissements aux opérateurs économiques guinéens ».
Ce que souhaitent désormais les Guinéens, c’est qu’effectivement la SFI finance leurs investisseurs, leurs hommes d’affaires. Cela, a-t-il poursuivi, parce que « nous voulons créer des champions ». Conciliant, le Président s’est dit convaincu que « la nouvelle direction de la SFI nous accompagnera ».
En deuxième lieu, Alpha Condé n’a pas ménagé les critiques envers son propre pays, donc envers son propre bilan, estimant que des mesures doivent être prises pour que la Guinée attire davantage les investisseurs étrangers.
« Nous prendrons des mesures rigoureuses »
S’exprimant en marge du Forum, cette fois, le chef de l’État a annoncé plusieurs mesures destinées à récupérer tous les biens de l’État « détournés », qu’ils soient fonciers ou financiers, afin de « mettre fin à l’anarchie », et de doubler en un an les ressources internes du pays.
Pour cela, il faut une refonte foncière : « Nous allons prendre des mesures extrêmement rigoureuses. Nous allons procéder à une refonte foncière parce que pour encourager les investisseurs, il le faut. » Et de déplorer qu’en Guinée, « quand vous construisez une usine, un quidam se lève pour dire que le terrain appartenait à son grand-père ».
Le gouvernement procédera à une opération de récupération de tous les patrimoines bâtis publics. Sans les nommer, le président de la République a accusé des préfets d’avoir vendu des terrains de l’État. Il promet de récupérer tous ces biens : « Nous savons aussi que beaucoup de biens de l’État ont été détournés, à l’occasion du contentieux franco guinéen. Nous avons payé la France et puis les biens sont revenus à la Guinée. » Pourtant, « beaucoup de gens se sont accaparés ces biens. Je vous garantis que d’ici à la fin de l’année, ils seront tous récupérés ». De même, « des préfets ont vendu des terres alors qu’ils n’ont pas le droit. Toutes ces terres seront récupérées. Toutes les maisons construites sur les terrains de l’État seront cassées. »

Le Président entend lutter contre la corruption : « L’année 2021, c’est l’année de la transformation complète de la Guinée. Et désormais, le bien de l’État sera respecté. Nous n’avons pas voulu entreprendre une chasse aux sorcières, mais désormais aucun franc n’ira quelque part si ce n’est dans les caisses de l’État. Et je suis convaincu qu’en une année nous allons doubler nos ressources internes. »
« Je n’aurai aucun état d’âme »
D’autre part, « la Guinée va renouer avec la discipline. Lors de la Première République, la discipline était très dure. Mais on est passé de l’extrême dureté à l’anarchie. » Aussi, le message est clair : « Le gouvernement guinéen est décidé à prendre toutes les mesures pour qu’il y ait la discipline, le respect des biens publics et la fin de l’anarchie. »
Le Président a fait sourire son auditoire en s’en prenant aux fonctionnaires « en fonction depuis 50 ans, alors que l’âge de la retraite, c’est 65 ans ! ». Il a révélé avoir constitué un groupe de travail qui montre qu’au sujet de beaucoup de fonctionnaires, « si vous voyez leur date de naissance et leur date d’entrée en fonction, ils sont entrés en fonction à l’âge de neuf ans ! ». Tout cela va être balayé, a-t-il expliqué : « Je n’aurai aucun état d’âme. Je n’ai pas d’amis, je n’ai pas de parents. Mon ami, mon parent, c’est la Guinée. »
Sur le plan économique, la Guinée entend « devenir la deuxième puissance économique de l’Afrique de l’Ouest, après le Nigeria », a déclaré Alpha Condé lors de l’inauguration du Forum. Selon les calculs de la BAD (Banque africaine de développement), le pays entend mobilier trois milliards de dollars auprès des investisseurs pour réaliser 67 projets transformateurs.
Le pays dispose d’un énorme potentiel agricole, minier et énergétique. « Il faut que la Guinée soit autosuffisante en produits alimentaires pour devenir ensuite exportatrice. Nous allons développer des chaînes de valeur de produits agricoles, maraîchers et dans l’agro-industrie, tout en gardant un regard sur les mines et les infrastructures routières », a précisé Alpha Condé.
Le gouvernement conduira des actions pour moderniser l’administration et les entreprises et assainir les finances publiques, notamment à travers la numérisation et des audits des secteurs minier, télécoms et bancaire, avec l’assistance de la BAD, a également annoncé le président guinéen.
« Je salue le fait que vous accordiez la priorité aux investissements dans l’agriculture et l’agro-industrie. La Guinée peut devenir le grenier de l’Afrique de l’Ouest », a d’ailleurs souligné le président de la BAD. « Nous serons à vos côtés dans le processus qui mène à la prospérité de la Guinée. Ce forum est une excellente plateforme de conception de projets pour les investisseurs. Il arrive à point nommé et constitue une source d’encouragement », a poursuivi Akinwumi Adesina. Lequel a mis en avant les progrès remarquables de la Guinée ces dernières années : un excédent budgétaire de 0,6% du PIB en 2019 (contre un déficit de 5,4% en 2015), une amélioration du climat des affaires avec un gain de 23 places au classement Doing Business, le référentiel de la Banque mondiale, entre 2012 et 2019.
Le potentiel du pays est énorme. La Guinée est dotée notamment de ressources naturelles très abondantes. Elle possède les deux tiers des gisements de bauxite au monde et de vastes gisements d’or, de fer et de diamants ainsi que de très importantes réserves de fer encore non exploitées. « Le pays est bancable et nous allons travailler en étroite collaboration pour relever tous les défis et assurer un avenir meilleur aux Guinéens », a soutenu le président Adesina.

Partenaire financier du forum, la SFI a salué l’organisation de cet événement et promis d’accompagner le secteur privé, par la voix de son vice-président pour l’Afrique de l’Ouest et le Moyen-Orient, Sergio Pimenta. « La Guinée est dotée d’un capital économique naturel. Ce grand rendez-vous permettra aux investisseurs de nouer de fructueux contacts et d’aboutir à des financements de projets. Nous espérons amener le secteur privé à exprimer son plein potentiel. »
Au cours du forum, un portefeuille d’une soixantaine de projets est donc soumis au financement. Il porte sur des activités couvertes par les « Cinq priorités » de la BAD : agrobusiness, énergie, environnement, industrie, BTP, mines, tourisme, transport.
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