Les start-up pourraient faire davantage pour la démocratie

Plus grande démocratie du continent, le Nigeria accueille des milliers de start-up technologiques, mais très peu ont été impliquées dans les efforts visant à améliorer le processus électoral.
Dans la perspective des élections du 25 février 2023, les bureaux de vote nigérians se préparent à accueillir les quelque 93 millions d’électeurs qui se sont inscrits sur le tout nouveau portail en ligne d’enregistrement continu de la Commission électorale. De son côté le gouvernement promettait un système de tabulation électronique efficace pour compter les votes.
L’introduction de nouveaux outils technologiques devait apporter une plus grande confiance dans le processus et les résultats : un système d’accréditation bimodale des électeurs, introduit récemment, permet l’identification numérique des électeurs, et empêche ainsi les politiciens d’acheter de multiples cartes d’électeurs pour augmenter leurs chances de gagner.
Ces dernières années, les entreprises nigérianes se sont remarquablement orientées vers la technologie, par l’adoption généralisée des smartphones et des start-up dans les domaines de la fintech, de l’agro-tech et de l’edtech, qui attirent des investissements considérables.
Il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité du rôle de la technologie dans la sécurisation et l’élargissement du processus électoral, cette fois-ci. Pour la plus grande démocratie du continent, les possibilités d’amélioration technologique augmentent aussi vite que la population en âge de voter. L’innovation technologique et l’investissement ne sont pas absents au Nigeria : le pays est la destination d’investissement des start-up technologiques la plus populaire en Afrique – attirant près de 4 milliards de dollars entre 2019 et 2022.
Cependant, aucune de ces start-up ne travaille à améliorer l’expérience démocratique. La démocratie est un processus coûteux dans lequel les start-up et les investisseurs africains pourraient contribuer à réduire les coûts, et aussi à trouver de nouvelles opportunités commerciales en fournissant des services d’externalisation aux gouvernements.
Les élections de cette année devaient être encore plus coûteuses que celles de 2019, qui ont coûté environ 625 millions de dollars. Si des entreprises innovantes se joignent à l’aventure – en apportant des technologies éprouvées telles que la reconnaissance optique, l’analyse des données, l’identification numérique améliorée et l’impression électronique des bulletins de vote, le processus pourrait être rendu moins cher, plus efficace et plus sûr.
Les TIC au service du processus électoral
L’Institut international pour la démocratie et la gouvernance électorale (International IDEA), une organisation intergouvernementale créée en 1995 pour aider les nouvelles démocraties dans leur processus politique, et qui compte sept pays africains parmi ses membres (Afrique du Sud, Ghana, Bénin, Botswana, Namibie, Maurice et Cap-Vert), donne régulièrement des exemples concrets de ce qui pourrait être fait.
International IDEA préconise l’utilisation des nouvelles technologies dans différentes parties du processus électoral. L’utilisation de logiciels libres, par exemple, offre un large éventail d’avantages. Si les résultats de chaque bureau de vote sont publiés en temps réel par le biais de systèmes à code source ouvert, les citoyens pourraient avoir accès à des informations précieuses telles que le nombre d’inscrits, les votes valides et non valides, et les votes pour chaque parti et candidat.
Les organismes de presse nationaux et internationaux pourraient également les examiner et rédiger des articles, des analyses approfondies et des opinions, contribuant ainsi à un environnement médiatique sain et à l’instauration de la confiance dans les institutions.
Certains outils technologiques pourraient également contribuer à prévenir les violences post-électorales – une tendance qui a sérieusement sapé la responsabilité démocratique de plusieurs pays africains. L’utilisation d’un système d’information géographique (SIG), une base de données contenant des informations géographiques précises, pourrait aider à générer des cartes de risques et des graphiques de tendances, et permet de se concentrer comme jamais auparavant sur le niveau local.
« Cela permet aussi un nouveau niveau de sophistication pour les systèmes d’alerte précoce et les prévisions afin d’informer les décideurs des menaces possibles. Une fois celles-ci cartographiées et comprises, les stratégies de prévention peuvent être personnalisées et mises en œuvre au niveau local, national, ou régional », écrit Helena Schwertheim, membre du personnel, sur le blog d’International IDEA.
Les start-up spécialisées dans l’intelligence des données géospatiales, par exemple, pourraient être extrêmement utiles pour garantir un processus électoral pacifique.
Les promesses de « démocratiser » les finances personnelles par le biais d’applications bancaires mobiles attirent beaucoup plus l’attention des investisseurs que la démocratisation de la vie politique, en partie à cause de la perception erronée qu’il existe un marché limité pour ces services.
Une exception en Afrique du Sud est GovChat, fondée en 2018 par Eldrid Jordaan – une plateforme d’engagement des citoyens qui utilise l’API WhatsApp Business pour faciliter la communication en temps réel avec les services gouvernementaux sud-africains. L’application donne aux citoyens sud-africains la possibilité d’évaluer les services et infrastructures publics – des postes de police aux bureaux de poste et aux écoles –, via leur téléphone portable ou leur ordinateur afin d’aider le gouvernement à trouver des moyens de s’améliorer. Elle a également été utilisée pour aider les demandeurs à solliciter des subventions de sécurité sociale.
L’appli a levé 1,4 million $ en 2019 lors d’un tour de financement de série A et compte désormais 8,7 millions d’utilisateurs actifs. En 2022, GovChat a signé une prolongation de contrat de cinq ans avec le ministère de la gouvernance coopérative et des affaires traditionnelles. Néanmoins, le déploiement a été difficile – la société a prévalu dans une longue bataille juridique avec le propriétaire de WhatsApp, Meta, après que le géant technologique américain l’a accusé de violer ses conditions de service, et Eldrid Jordaan a annoncé sa démission surprise en tant que PDG, en novembre.
Attirer les jeunes
Pourtant, des applications comme GovChat montrent que la technologie peut combler le fossé entre des populations de plus en plus jeunes et les services gouvernementaux, à condition que le gouvernement soit prêt à s’associer à de telles organisations. Les gouvernements et les citoyens pourraient en tirer un avantage mutuel au moment des élections.
À l’approche des élections d’octobre 2021 en Irak, le centre de réflexion Rewaq Bagdad a lancé une application mobile conçue pour permettre aux électeurs d’engager un dialogue avec les candidats. Étant donné la propension des jeunes à utiliser les plateformes numériques, l’application a fourni un canal de communication entre les jeunes Irakiens et leurs représentants potentiels, et a revendiqué plus de 100 000 utilisateurs.
Au Nigeria, la numérisation des institutions et des services publics s’est faite à un rythme relativement lent.
La Commission nationale de gestion de l’identité du Nigeria est chargée de mettre en œuvre un programme national d’identification intégrant les biométries des empreintes digitales, du visage et de l’iris. Un système intégré pourrait aider les citoyens à obtenir des cartes d’identité électroniques, à demander des passeports, à obtenir un permis de conduire et une carte d’électeur, ainsi qu’à payer leurs impôts et à bénéficier de prestations sociales. Pourtant, les défis à relever pour déployer un système efficace dans une population croissante de 213 millions d’habitants sont nombreux.
Le secteur privé pourrait apporter son aide. Ces dernières années, les entreprises nigérianes se sont remarquablement orientées vers la technologie, par l’adoption généralisée des smartphones et des start-up dans les domaines de la fintech, de l’agro-tech et de l’edtech, qui attirent des investissements considérables.
Le défi pour les entreprises technologiques nigérianes – et les autorités électorales –, est de s’assurer que leurs écosystèmes de jeunes pousses peuvent participer à la grande opportunité d’améliorer l’expérience démocratique lors des prochaines élections générales.
@AB