Les mines russes en Afrique, un levier tant politique qu’économique

Une revue de l’IFRI détaille les logiques qui conduisent les compagnies minières russes à s’intéresser à l’Afrique, Wagner en appui. Contournement des sanctions, extension de l’influence, s’ajoutent à la recherche de profit.
« Afin de diversifier ses sources de revenus, mais aussi d’obtenir de nouveaux leviers géopolitiques, notamment en Afrique, Moscou cherche à redynamiser cette industrie stratégique qu’est son secteur minier. » Le chercheur Florian Vidal, dans une étude publiée par l’IFRI (Institut français des relations internationales) plante ainsi le décor.
La Russie peut s’appuyer sur plusieurs de ses entreprises d’envergure internationale, en particulier dans le diamant, les fertilisants et le nickel. Elle envisage même d’étendre ses activités minières, en réinvestissant et modernisant des filières historiques comme le charbon ou en en développant de nouvelles comme le lithium. Au plan économique, les regards de Moscou se tournent plutôt vers l’Asie. Pourtant, son intérêt pour l’Afrique ne manque pas d’interroger.
« Les liens entre Moscou et Khartoum se sont resserrés ces dernières années ; l’invasion russe en Ukraine n’a pas modifié cette dynamique. »
Pour le chercheur, retour diplomatique de la Russie sur le continent africain s’insère dans une combinaison d’actions « synchrones » : implication croissante de la société militaire privée Wagner, opérations d’influence informationnelle, réactivation des réseaux établis durant la guerre froide, diplomatie d’affaires dans le segment des ressources naturelles.
Ici, l’activisme de Moscou semble se focaliser sur les richesses minérales du continent, en particulier le cobalt, le diamant et l’or. La présence russe dans le secteur minier en Afrique s’appuie, d’une part, sur l’expertise et la maîtrise de la chaîne de valeur dans certaines filières, et sur la sécurité et l’assistance militaire d’autre part.
L’attrait de Moscou pour le Soudan
Ces deux dimensions obéissent à des logiques différentes, juge le chercheur. La première, économique, vise à l’exploitation de minerais et métaux dans lesquels les groupes miniers russes sont présents et reconnus dans ce secteur. C’est le cas de l’entreprise Alrosa, bien implantée en Angola, au Zimbabwe et plus récemment en RD Congo, et de Rusal, actif en Guinée, qui maîtrisent respectivement la filière du diamant et celle de la bauxite.
Ces activités en Afrique renforcent le positionnement sectoriel des acteurs miniers russes sur le marché international. « Bien qu’ils puissent indirectement servir les intérêts de Moscou sur le continent, leur objectif est avant tout de nature économique. »

La seconde logique concerne les intérêts géopolitiques de la Russie en Afrique. Aussi, l’exploitation des gisements de minerais constitue-t-elle un moyen plus qu’une finalité : le groupe Wagner, dirigé par Evgueni Prigojine, tire profit de ses activités sécuritaires dans certains pays africains où il opère.
En échange de leur appui à des régimes contestés, les mercenaires bénéficient en retour de contrats miniers lucratifs. Les minerais servent alors de monnaie d’échange pour des gouvernements africains qui souhaitent consolider leur pouvoir en s’attachant les services de paramilitaires. « En République centrafricaine, l’intrication entre les activités de Wagner et les sociétés minières Finans M (Russie) et Lobaye Invest (République centrafricaine), supposément contrôlées par Evgueni Prigojine, révèle la nature de ces liens, loin des logiques économiques qui opèrent traditionnellement dans l’industrie minière », relève le Département américain du Trésor.
En 2018, des licences d’exploitation de gisements de diamant et d’or ont été ainsi attribuées à une entreprise russe réputée proche du fondateur de Wagner. Pour renforcer cette mainmise, le groupe de mercenaires a entrepris de modifier le code minier local afin d’y établir un monopole sur ces deux minerais précieux.
Dans le contexte de l’offensive militaire russe en Ukraine, cette diplomatie se révèle « utile pour contrebalancer les effets des sanctions économiques et financières imposées à Moscou », explique l’IFRI. L’exploitation des ressources minérales africaines constitue un moyen de contourner le régime de sanctions, en particulier l’isolement de la Russie du système bancaire international. En effet, les minerais précieux comme l’or et les diamants sont utiles pour échapper aux sanctions bancaires car ils peuvent être vendus et échangés sans contrôle, ni restriction.
La Russie échappe aux sanctions
« La politique menée par la Russie au Soudan ces dernières années illustre de manière probante cette volonté d’anticipation », explique l’étude, publiée alors que le conflit en cours éclatait dans le pays. Les agissements dans l’ombre du groupe Wagner y sont devenus « un outil beaucoup plus large et sophistiqué du pouvoir du Kremlin », explique le chercheur, citant là un propos de Declan Walsh, du New York Times.
D’ailleurs, relève l’IFRI, le secteur minier a échappé aux sanctions imposées à la Russie après l’invasion de l’Ukraine, tant ses produits sont imbriqués dans les chaînes de valeur mondiale (aéronautique, automobile, communication, énergie, etc.). Par exemple, l’imbrication dans l’économie mondiale est telle que la Bourse des métaux de Londres a finalement pris la décision de ne pas interdire de négocier et stocker des métaux en provenance de Russie dans son système.
En 2017, Wagner a obtenu dans le pays d’importantes concessions minières pour des gisements d’or et de diamant. Le Soudan, troisième producteur mondial d’or, constituerait un fournisseur stratégique pour la Russie, laquelle dispose déjà de réserves d’or équivalentes à 130 milliards de dollars. Celles-ci demeurent un important bouclier pour atténuer les conséquences économiques de la guerre menée en Ukraine. « Les liens entre Moscou et Khartoum se sont resserrés ces dernières années – l’invasion russe en Ukraine n’a pas modifié cette dynamique –, et les mercenaires russes aident les forces de sécurité du pays dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan à réprimer le mouvement pro-démocratique. »

Aussi, la Russie compte le soutien du Général Hamdan Dagalo, vice-président du Conseil de souveraineté de transition, pour promouvoir ses ambitions géopolitiques dans la zone, en particulier par le projet de construction d’une base navale à Port-Soudan, en mer Rouge.
Alors que les deux pays sont liés depuis 2020 par un accord formel, la réalisation de ce projet est incertaine en raison des tergiversations du pouvoir soudanais sous la pression des États-Unis. « Ici encore, le groupe Wagner demeure un rouage indispensable dans le dispositif et le soutien aux objectifs russes dans ce pays » : c’est-à-dire le renforcement des liens économiques et militaires. Toutefois, la mobilisation du groupe paramilitaire en Ukraine et les critiques internationales sur ses agissements fragilisent le positionnement russe dans le pays.
@AB