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African Business Entretien

Les entreprises doivent faire confiance aux start-up !

Les entreprises doivent faire confiance aux start-up !
  • Publiémai 8, 2023

Salma Kabbaj, fondatrice de l’accélérateur africain d’innovation Impact Lab, explique le rôle de sa structure, entre l’accompagnement aux start-up dans leur développement et le conseil aux grandes entreprises ou administrations en recherche d’agilité.

 

Comment définir Impact Lab ?

Nous sommes des spécialistes de l’innovation entrepreneuriale. Nous développons des programmes d’incubation et d’accélération de start-up, en fonction de leur stade de maturité. Et nous déployons également des prestations de conseil en innovation pour les grandes entreprises. Impact Lab est né d’une initiative privée, fondée en 2015, sans attache institutionnelle ou académique. Nous étions convaincus – et nous le sommes toujours –, de l’intérêt de stimuler l’innovation entrepreneuriale comme un levier d’émergence de nouvelles solutions aux problématiques sociales et économiques, au Maroc et en Afrique.

Nous accompagnons les entrepreneurs innovants qui présentent des solutions disruptives face à des enjeux clefs : le secteur agricole, l’accès aux produits de la santé, l’intégration sociale et économique des populations fragiles, etc.

On a observé l’an passé une résilience étonnante des écosystèmes africains, mais le début 2023 est plus difficile, aussi bien en termes de nombre de transactions que de montants investis.

Nous mettons à disposition de ces entrepreneurs des programmes d’accompagnement complets et des outils qui leur permettent d’aller plus vite dans le déploiement de leurs solutions. Ces outils incluent de la formation, dans différents domaines allant des méthodologies de l’innovation à la gestion d’entreprise, mais aussi de l’accompagnement personnalisé, de la mise en relation avec des experts, des partenaires ou des investisseurs potentiels.

 

Quel type de sociétés ou de secteurs privilégiez-vous ?

Nous avons travaillé avec plus de 260 start-up dans 21 pays d’Afrique. Depuis deux ans, nous nous concentrons dans quelques domaines clefs : l’Agritech, la Healthtech et la Fintech. Je vous citerai en exemple Sand to Green qui a levé récemment un million d’euros et qui propose une solution globale pour cultiver des terres arides. Nous accompagnons également actuellement une entreprise tunisienne, Cure Bionics, qui produit des prothèses permettant d’utiliser une main artificielle aussi bien qu’une main normale, grâce à une analyse fine des signaux émis par les tissus musculaires.

 

Peut-on encore dire que dans l’univers des start-up africaines, les pays anglo-saxons sont privilégiés par rapport aux francophones ?

La maturité des écosystèmes dans les pays anglophones est clairement plus importante. Nous voyons que l’an dernier, 75% des fonds ont été levés par quatre pays (Égypte, Nigeria, Afrique du Sud, Kenya). On peut invoquer des raisons culturelles, notamment liées à prise de risques, d’autres liées à la taille des populations. Il est plus facile de valider une solution innovante sur un marché significatif comme le Nigéria ou l’Egypte. Les start-up qui se développent dans les pays d’Afrique francophones, qui ont une population moindre, ont besoin de rapidement conquérir des marchés pour atteindre un niveau de croissance intéressant.

De plus, le cadre réglementaire francophone, souvent inspiré par le cadre français, est souvent plus avancé, donc plus contraignant, que dans les pays anglo-saxons.

Toutefois, depuis le début de nos activités, en 2015, nous assistons à une belle évolution des écosystèmes start-up en Afrique francophone. Au Maroc, par exemple, les talents sont beaucoup plus attirés par l’entrepreneuriat. Nous voyons arriver des profils plus expérimentés, à fort potentiel, qui font le pari de monter leur start-up ; ceci n’est plus considéré comme un plan B par rapport à une carrière de salarié !

 

Impact Lab revendique un rôle d’intermédiaire entre les start-up et les grandes entreprises ainsi que les administrations.

En effet. Nous avons la conviction que nous pouvons créer de nouveaux modèles de développement à la fois rentables financièrement et ayant un impact social ou environnemental positif. Et dans cette vision-là, il faut à la fois soutenir les innovateurs, mais également faire en sorte que leurs idées soient adoptées à grande échelle. Il faut donc que les administrations publiques ou les plus grandes entreprises puissent adhérer à ces solutions, comprendre leur utilité et aider à ce qu’elles parviennent à l’échelle.

 

Quelle est alors votre démarche, vis-à-vis de vos partenaires institutionnels ?

Nous analysons d’abord leurs enjeux et leurs attentes. Prenons le cas du ministère marocain de l’Agriculture, confronté aux enjeux du stress hydrique qui menace le secteur dans sa globalité. Nous savons que la technologie peut répondre à cette problématique. Dès lors, Impact Lab mobilise ses réseaux pour identifier les start-up, qu’elles soient marocaines, africaines, ou internationales, qui apportent des solutions pertinentes au contexte local, et facilite la collaboration entre ces entreprises et les parties prenantes concernées.

Salma Kabbaj.

Sur le fond, la démarche est la même avec les entreprises privées : identifier leurs enjeux stratégiques et opérationnels, les mettre en relation avec des start-up qui apportent des solutions et assurer une collaboration réussie. Nous travaillons sur des enjeux marketing, par exemple pour une entreprise qui souhaite toucher un nouveau segment de clientèle aujourd’hui difficile à cibler ; ou un enjeu d’optimisation de la maintenance, pour les entreprises industrielles, afin d’éviter les arrêts ou les pannes ; ou des enjeux d’automatisation de certaines tâches, pour que les salariés se consacrent aux activités à plus forte valeur ajoutée.

Par exemple, nous avons collaboré avec le groupe BCP, pour répondre à des enjeux d’amélioration de l’expérience client en agence, de développement de l’offre de services financiers ou d’accès à des populations non bancarisées, notamment à travers des solutions d’intelligence artificielle qui capitalisent sur les données collectées par le groupe.

Notre démarche est de pousser à la collaboration, mais aussi d’inciter au changement en interne chez les entreprises, afin qu’elles intègrent certaines méthodologies ou approches des start-up. Par exemple, dans les démarches de digitalisation, nous encourageons les entreprises à adopter une approche centrée sur la problématique à résoudre et sur l’utilisateur, inspirée du Design thinking, plutôt qu’une approche centrée sur la solution, comme c’est souvent le cas. Ceci évite des investissements inutiles dans des solutions qui ne sont pas adaptées au besoin réel des clients.

 

Une manière d’aider les grandes entreprises à externaliser leur R&D…

On pourrait présenter les choses ainsi, mais il subsiste des pans de l’innovation, de la recherche, qui restent au sein des grandes structures ! Ne serait-ce que par leur caractère stratégique ou confidentiel…

Faire confiance aux start-up, c’est capitaliser sur des structures qui sont beaucoup plus aptes à innover. Les grandes entreprises présentent une certaine rigidité, ce qui est normal car leur rôle est d’industrialiser un produit, un service ou un processus afin de le déployer de la manière la plus optimale possible. Ce faisant, elles perdent naturellement de l’agilité, ce qui les empêche d’innover.

D’un autre côté, la start-up amène une proximité avec le terrain et une capacité d’adopter une démarche itérative qui permet de tester rapidement des idées, à coûts réduits. S’adresser aux start-up permet d’explorer un plus grand champ d’opportunités et de collecter des informations cruciales, les marchés, les tendances…

 

En matière de financement, quel est le rôle d’Impact Lab ?

Nous n’investissons pas nous-même mais nous aidons les entreprises à accéder à des outils de financement. L’écosystème de financements des start-up en Afrique est encore limité, clairement, par rapport aux besoins même si nous trouvons de plus en plus d’investisseurs africains ou d’investisseurs internationaux qui s’intéresse à l’Afrique. Le continent a été le seul à maintenir une dynamique positive des levées de fonds en 2022.

Il y aurait besoin de plus encore, surtout lorsque nous parlons des premières levées de fonds, au stade de l’amorçage, qui se caractérisent par un niveau de risque élevé. Ces levées, qui se font généralement au niveau local, sont essentielles pour permettre à la start-up d’acquérir la crédibilité nécessaire pour par la suite pouvoir se tourner vers des investisseurs internationaux.

 

Vous insistez sur le soutien aux entreprises dirigées par des femmes. Il leur faut une démarche différente ?

Au fond non… mais nos écosystèmes ont besoin d’une prise de conscience généralisée des biais qui peuvent exister, tant dans les mécanismes de communication et de sélection que dans les démarches d’accompagnement, en défaveur des femmes. Il est essentiel de plus valoriser médiatiquement les success stories d’entrepreneures, afin d’encourager pas les femmes à se projeter dans une posture entrepreneuriale. Les acteurs de l’écosystème doivent également veiller à ce que la communication autour des opportunités pour les start-up soit inclusive, tant dans les visuels utilisés que dans les tournures de phrase ou les critères de sélection. La constitution des jurys de sélection joue également un rôle déterminant, et une représentativité égale d’hommes et de femmes est essentielle pour réduire les risques de discrimination, souvent inconsciente.

 

Pourtant, on observe beaucoup d’initiatives en faveur de l’entrepreneuriat féminin, en Afrique.

Oui, mais clairement, les résultats, notamment dans l’accès au financement, ne sont pas au rendez-vous ! Le phénomène n’est pas qu’africain d’ailleurs. En Afrique, les entreprises fondées par des femmes représentent environ 3% des levées de fonds, aux États-Unis, c’est encore moins, de l’ordre de 2% ! Et la tendance est à la baisse entre 2021 et 2022, ce qui n’est guère rassurant.

 

Avez-vous d’autres programmes en cours ?

Nous venons de lancer la seconde édition du programme I3 (Investing in Innovation), financé par la fondation Bill & Melinda Gates, qui accompagne des start-up africaines dans le domaine de la santé. Cette deuxième édition permettra, durant une année, de mettre en relation des entreprises qui facilitent l’accès aux produits de santé avec des partenaires clés du secteur de la santé en Afrique et des investisseurs.

De plus, nous organisons avec l’Institut Français, le 30 mai à Casablanca, le Forum Safir de l’entrepreneuriat Social à Casablanca, un rendez-vous pour favoriser l’inclusion socio-économique des jeunes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Cet événement regroupera des experts de la région, et visera à mettre en lumière les enjeux clés de l’entrepreneuriat social ainsi que des success stories entrepreneuriales.

Les start-up qui se développent dans les pays d’Afrique francophones, qui ont une population moindre, ont besoin de rapidement conquérir des marchés pour atteindre un niveau de croissance intéressant.

Enfin, nous participons au programme Fashionomics Africa d’accompagnement des entreprises innovantes africaines dans le domaine de la mode et du textile. Beaucoup d’entrepreneurs africains se positionnent avec des innovations pour produire et consommer de manière plus durable dans une industrie parmi les plus polluantes à l’échelle internationale.

 

Le contexte reste porteur, dans la conjoncture actuelle ?

La conjoncture n’impacte pas l’activité des start-up, nous avons vu avec la pandémie qu’une crise pouvait être porteuse d’innovations et de changements. En revanche, on observe une certaine réduction des investissements ; un phénomène entamé en 2022 en Europe et aux États-Unis. On a observé l’an passé une résilience étonnante des écosystèmes africains, mais le début 2023 est plus difficile, aussi bien en termes de nombre de transactions que de montants investis. Alors, l’enjeu est de sécuriser les levées de fonds et dans ce contexte, les start-up les plus en amont auront davantage de difficultés que les années précédentes, car les investisseurs risquent de se tourner vers des projets plus sûrs.

@AB

Écrit par
Laurent Soucaille

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