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African Business Analyse

Les coopérations régionales permettent la résilience de l’Afrique

Les coopérations régionales permettent la résilience de l’Afrique
  • Publiéfévrier 6, 2023

Les bouleversements induits par la rupture des chaînes de valeurs de céréales, et la réaction des pays producteurs ou importateurs, montrent combien les États ont besoin de gagner en souveraineté, tout en libéralisant leurs marchés. Un paradoxe expliqué par Julien Marcilly, de la société GSA.

 

En dépit de la déstabilisation engendrée par la guerre en Ukraine, force est de constater une certaine résilience dans la production et les exportations de denrées alimentaires sur les marchés mondiaux. Et d’ailleurs, le volume global des échanges est resté stable depuis le début du conflit, relève une étude de la société de conseils GSA (Global Sovereign Advidsory).

En effet, les volumes de production et d’exportations de riz et de maïs auront légèrement baissé, entre juin 2021 et mai 2022, puis entre juin 2022 et mai 2023. En revanche, production et exportations de blé devraient demeurer stables, sur la période en cours.

Demain, dans l’éventualité d’une crise politique aigue entre la Chine et les Etats-Unis, ce seront peut-être les importations de biens électroniques qui se feront plus rares. Les gouvernements doivent donc adoper une démarche proactive.

En termes de prix, la flambée est incontestable, bien que les corridors de sécurité organisés par l’Union européenne et l’initiative sur les céréales en mer Noire, sous l’égide des Nations unies et de la Turquie, ont permis d’amortir le choc et ont favorisé le retour progressif à une certaine résilience.

Le conflit en Ukraine et ses conséquences ont entrainé une reconfiguration du marché alimentaire mondial : de nouvelles puissances exportatrices se sont affirmées, tandis que les principaux pays importateurs ont progressivement diversifié leurs approvisionnements. Les États ont décidé de mesures tantôt protectionnistes, tantôt de libéralisation des échanges.

Parmi les pays « bénéficiaires » de la situation, l’Argentine a accru fortement ses exportations de blé, vers le voisin brésilien, certes, mais aussi vers l’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord (Algérie, Maroc) et l’Afrique (Yémen, Sénégal, Kenya). Au cours des six premiers mois du cycle 2021-2022, l’Argentine a expédié vers le continent africain le triple des montants de céréales exportés au cours du premier semestre de l’année précédente. L’Afrique représentait ainsi 46% des exportations argentines, contre 31% l’année précédente. Toutefois, la sécheresse et les mauvaises conditions de production conduisent l’Argentine à revoir ses prétentions à la baisse, au détriment des nouveaux partenaires africains, en 2023. Au bénéfice, cela reste à confirmer, de pays comme l’Australie.

 

L’exemple de l’Égypte

Du côté des pays importateurs de matières premières agricoles, la reconfiguration de la structure des marchés mondiaux répond à la mise en œuvre de nouvelles stratégies d’approvisionnement, constate l’étude. « L’exemple de l’Égypte illustre la capacité d’un Etat à réagir rapidement pour protéger sa sécurité alimentaire. »

L’Égypte était le premier importateur mondial de blé lors du déclenchement du conflit ukrainien, près de 80% des importations de blé provenaient de de Russie (60%) et 20% d’Ukraine. Si la sécurité alimentaire et les approvisionnements du pays ont été affectés, l’Égypte a maintenu sa politique de financement du pain subventionné et a évité les pénuries en augmentant sa production nationale de blé ainsi que ses réserves stratégiques, tout en faisant évoluer ses capacités de stockage, les autorités ambitionnant de faire passer ces capacités de 4 à 7 millions de tonnes.

Si le pays, face au défaut d’approvisionnement ukrainien – les exportations de céréales ukrainiennes vers l’Égypte ont diminué de 43% en un an –, a dans un premier temps augmenté ses importations en provenance de Russie, celles-ci ont également fini par connaître une diminution drastique.

Dans le même temps, les autorités ont cherché des alternatives pour diversifier leurs approvisionnements et maintenir les importations globales près des niveaux de la saison précédente. Dès la fin du mois de mars 2022, l’Égypte s’est tournée vers l’Argentine, les États-Unis et l’Inde afin de réorienter ses importations de blé. L’Égypte a également augmenté ses importations de blé en provenance de France, troisième fournisseur du pays en 2021. En 2022, les exportations françaises de céréales vers l’Égypte ont ainsi connu une hausse de près de 78%.

Le Kenya a aussi vu sa sécurité alimentaire mise en péril, en raison de sa dépendance à l’Europe de l’Est et en raison de sécheresses. La gouvernance Ruto s’est donné pour objectif d’assurer la sécurité alimentaire de sa nation en renforçant ses partenariats historiques avec l’Ouganda et la Tanzanie. Par exemple, au cours de 2022, le Kenya a instauré deux mesures de subventions à la production sur le maïs et les céréales que le pays importait habituellement d’Ukraine et de Russie ainsi qu’en Amérique (États-Unis, Argentine). À l’inverse, le gouvernement kenyan a décidé cinq mesures réduisant les taxes à l’importation qu’il avait imposées sur les céréales en provenance de l’Ouganda et de la Tanzanie.

 

De l’utilité d’une intégration régionale

D’autre part, souligne l’étude, la crise des chaînes de valeur ne fait que s’ajouter à l’insécurité alimentaire. Prenant conscience de leur vulnérabilité aux perturbations des marchés et des potentiels risques pour leur sécurité alimentaire, les États les plus dépendants à leurs approvisionnements agricoles ne se contentent pas de modifier la structure de leurs importations. Ils peuvent également mettre en œuvre des mesures visant à limiter leur dépendance en augmentant leurs stocks stratégiques, leur production nationale ou en menant des politiques publiques avec investissement dans le secteur primaire.

Enfin, souligne l’étude, afin de réduire ces risques et de rapprocher les chaînes de valeur et d’approvisionnement, les États multiplient également les initiatives d’intégration régionale. L’entrée en vigueur de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) « permet d’améliorer la production du continent africain et de stimuler le commerce intra-africain, dans le secteur notamment des céréales ». De telles initiatives permettent aux États de réduire les risques inhérents aux perturbations mondiales, tout en limitant leur vulnérabilité face à l’utilisation politique du commerce des denrées alimentaires.

 

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Trois questions à Julien Marcilly, chef économiste de GSA

 

L’étude de GSA révèle que de nombreux pays ont adopté des mesures de libéralisation des marchés, en quoi ont-elles consisté ?

Si cette crise a coïncidé avec l’adoption de mesures protectionnistes plus nombreuses dans les secteurs des céréales, le paradoxe est qu’elle a aussi donné lieu à davantage de mesures visant à faciliter le commerce international dans ces mêmes filières. Mais les secondes restent nettement inférieures aux premières, signe que le nombre « net » de mesures protectionnistes augmente.

Dans beaucoup de cas, les mesures protectionnistes et celles visant à libéraliser le commerce ont été prises par les mêmes pays : face aux inquiétudes liées à de possibles manques d’approvisionnement alimentaires au printemps dernier, un gouvernement donné a eu à la fois tendance à promouvoir les importations (par exemple en abaissant les droits de douane sur certains produits de base) et freiner les exportations dans ce secteur (par exemple en augmentant les droits de douane ou en établissant des quotas).

Lorsque de nombreux pays font la même chose, c’est-à-dire garder sa production locale pour le marché domestique tout en essayant d’attirer les importations, l’effet est négatif sur le commerce mondial.

 

Face aux bouleversements des chaînes de valeur, et aux menaces de crise alimentaire, en quoi la ZLECAf est-elle de nature à répondre aux besoins de l’Afrique en matière de produits agricoles ?

Julien Marcilly, chef économiste chez Global Sovereign Advisory.
Julien Marcilly, chef économiste chez Global Sovereign Advisory.

Face à ces changements profonds de routes commerciales, les coopérations régionales sont utiles pour deux raisons. Premièrement, elles doivent permettre de faciliter les approvisionnements régionaux. Avant de chercher à s’approvisionner en Europe, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest peuvent privilégier les produits laitiers du Sénégal qui en exporte. Ces « avantages comparatifs » et spécialisations pays au sein du continent pourraient contribuer à sécuriser des approvisionnements ciblés dans certains pays, mais ne résoudront évidemment pas tous les problèmes. Par exemple, pour des raisons climatiques évidentes, la production de blé est faible sur l’ensemble du continent.

Et deuxièmement, les zones de libre-échange doivent permettre de s’unir pour acheter en plus grande quantité et ainsi bénéficier de meilleures conditions, comme des prix plus bas ou des approvisionnements sécurisés sur le long terme dans des secteurs stratégiques. Les engrais, dont les prix ont beaucoup augmenté en 2022, ou encore le gaz, dans un contexte de concurrence accrue au niveau mondial des pays consommateurs face à une offre qui augmentera peu jusqu’en 2025-2026, sont deux exemples d’approvisionnements clés qui pourraient bénéficier d’une telle stratégie régionale.

 

Vous encouragez les États à gagner en souveraineté et indépendance, n’est-ce pas contradictoire avec la nécessaire libéralisation qu’implique une zone de libre-échange ? L’exemple de l’Égypte décrit dans l’étude semble difficile à répliquer partout, a priori.

Souveraineté économique ne signifie pas autarcie, en particulier si elle est pensée au niveau régional. Plus généralement, au-delà de cette crise spécifique et temporaire des approvisionnements alimentaires, les États et les entreprises de la région doivent, de plus en en plus, s’habituer à faire face à des crises d’offre successives : avant la guerre en Ukraine et ses conséquences sur les approvisionnements de blé, de maïs ou encore d’engrais, il s’agissait

de la pandémie de Covid-19 et de ses effets sur plusieurs chaînes de production internationales (dont les médicaments).

Demain, dans l’éventualité d’une crise politique aigue entre la Chine et les Etats-Unis, ce seront peut-être les importations de biens électroniques qui se feront plus rares. Les gouvernements doivent donc adopter une démarche proactive pour identifier leurs vulnérabilités d’approvisionnement, puis d’adopter une stratégie déterminant les différentes alternatives possibles (autres sources d’approvisionnement à l’étranger, production locale, substitution produit) en accordant une priorité aux solutions régionales.

@AB

 

Écrit par
Laurent Soucaille

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