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African Business Analyse et Opinion

Les constellations satellites au service du plus grand nombre

Les constellations satellites au service du plus grand nombre
  • Publiéjuillet 7, 2023

Avec Starlink et ses concurrents, les zones reculées d’Afrique pourront avoir accès aux principaux services offerts par l’Internet. Si le très haut débit pour tous n’est pas pour demain, de nombreuses applications peuvent fonctionner.

 

« Vous êtes oubliés par la révolution digitale, privés du soutien technologique dont vous avez besoin », avait dénoncé le secrétaire général des Nations unies António Guterres, lors du Sommet de Doha sur les Pays les moins avancés. Ce propos d’avril 2023 est-il en passe de devenir obsolète, du moins en ce qui concerne l’Afrique ?

C’est que les opérateurs de l’Internet à haut débit s’activent : Après SpaceX en 2022, OneWeb lancera courant 2023 un service d’Internet à haut débit satellitaire. « Ces offres ciblent en priorité les pays émergents, notamment africains, ainsi que les zones jusque-là inaccessibles aux réseaux télécom traditionnels », relate une note très détaillée de Global Sovereign Advisory.

Si les services à haut débit ne seront pas accessibles immédiatement au plus grand nombre, une bande passante de quelques kilobits par seconde permet de déployer de nombreux services numériques dans les zones jusque-là inaccessibles.

D’autres acteurs moins connus (Lynk,Omnispace, AST Spacemobile) travaillent parallèlement au lancement de services « satellite-to-phone » permettant de connecter téléphones mobiles existants directement depuis l’espace, sans infrastructure additionnelle.

Ces innovations peuvent permettre de lutter contre la fracture numérique qui persiste entre les pays les plus et les moins développés, et qui handicape particulièrement de nombreuses économies africaines, résument les analystes.

Cette évolution aura un impact profond sur les opérateurs télécom historiques. S’ils sont en partie concurrencés, ils ont l’opportunité d’étendre leur service y compris dans les régions les plus reculées, avec la perspective, à terme, de faire disparaître les « zones blanches » non-desservies.

Initialement, ces nouveaux acteurs télécom ne seront pas en mesure de proposer une connexion haut débit à des tarifs abordables pour les franges les plus pauvres des pays en développement. Ces innovations restent toutefois porteuses d’opportunités pour les pays émergents. En effet, de nombreuses applications ne nécessitent pas forcément un accès au haut débit : Mobile money, e-gouvernement, services sociaux, agriculture, alertes d’urgence, etc.

 

Des coûts trop élevés

« Les gouvernants devront toutefois définir un cadre réglementaire adapté pour permettre et maîtriser le développement de ces technologies sur leurs marchés nationaux, tout en protégeant les recettes fiscales issues du secteur des télécom », prévient GSA.

L’urgence est là : malgré les progrès rapides du déploiement des réseaux mobiles à haut débit des infrastructures de fibre optique, 2,9 milliards de personnes ne disposent toujours d’aucun accès à Internet dans le monde, 738 millions de personnes en Afrique, selon l’ITU. Seule 50% de la population africaine vit dans une zone bénéficiant d’une couverture 4G (sans nécessairement pouvoir y accéder).

Les facteurs de cette fracture numérique sont à la fois géographiques et économiques : les opérateurs télécom rechignent à réaliser les lourds investissements nécessaires pour couvrir les zones moins densément peuplées, un facteur particulièrement déterminant en Afrique où 60% de la population est rurale.

 

À ces disparités s’ajoute celle du coût : L’Afrique présente ainsi des coûts réels bien plus élevés que le reste du monde.

Pourtant, soulignent les spécialistes, l’amélioration de l’accès à l’Internet et aux réseaux de télécommunications se traduit rapidement en gains économiques quasiment immédiats. De plus, l’accès au haut débit améliore les chances d’un candidat de trouver un emploi, le Mobile money favorise l’inclusion financière…

Reste le coût souvent prohibitif du dernier kilomètre. Que ne peuvent pas résoudre les technologies constituant l’ossature des réseaux actuels, fibre optique et réseaux GSM, en raison des investissements à consentir.

 

C’est pourquoi l’irruption du haut débit par satellite constitue un bouleversement inédit. Il est permis par l’effondrement des coûts de lancement en orbite basse et la production industrialisée de satellites télécoms miniaturisés.

Fin mai 2023, le Mozambique est devenu le troisième pays d’Afrique SpaceX à activer son offre Starlink, après le Nigeria en janvier et le Rwanda en février. D’ici à la fin de l’année, le groupe d’Elon Musk proposera son service dans une quinzaine d’autres pays d’Afrique subsaharienne, une douzaine d’autres devant suivre en 2024.

Sur le plan technique, les plus de 3600 satellites déjà opérationnels de la constellation Starlink assurent déjà une couverture de la totalité du globe terrestre. Et cette flotte, que l’entreprise américaine va continuer à faire croître jusqu’à 12 000 – voire 42 000 à plus long terme – pour améliorer le débit proposé.

 

La concurrence OneWeb

« Pour nombre de marchés émergents, dont l’Afrique, l’offre de Starlink s’apparente à une véritable révolution, ne serait-ce qu’en matière de prix », observent les analystes de GSA : pour un abonnement inférieur à 50 dollars mensuels – auxquels s’ajoutent les 500 à 600 $ nécessaires à la fourniture de l’antenne –, l’opérateur américain promet des débits allant de 50 à 150 mégabits/seconde. Un coût très nettement inférieur aux offres des opérateurs traditionnels.

Un second opérateur, OneWeb, compte achever courant 2023 la mise en orbite de sa « mégaconstellation » et lancer son service commercial dans la foulée ; l’opérateur dispose désormais de 634 satellites en orbite, sur les 648 prévus dans sa campagne de tir.

Il privilégie, initialement, un modèle « B2B », réservant son réseau à des entreprises clientes. Les entreprises opérant dans des régions reculées (industries extractives, logistique, exploitations agricoles, tourisme…) pourront aussi souscrire à des abonnements. Ainsi, les opérateurs télécom comme Q-KON Africa pourront-ils ainsi s’appuyer sur son réseau pour installer des antennes-relais GSM dans des endroits jusque-là impossibles à desservir.

De son côté, Greg Wyler a fondé en février 2022 E-Space, toujours dans l’objectif de créer une constellation de plusieurs centaines de milliers de satellites LEO. E-Space mise particulièrement l’Afrique pour sa croissance. Fin 2022, la société a signé un protocole d’accord avec le Botswana, dans le cadre de sa Vision 2036. Le pays entend utiliser les technologies d’E-Space pour développer l’agriculture numérique (surveillance, contrôle des systèmes de gestion des cultures), contribuant à assurer sa sécurité alimentaire. Le Nigeria a également récemment accordé des landing rights à E-Space, pour offrir une connectivité dans tout le pays, et ce pour de multiples usages potentiels (agriculture numérisée, santé, énergie). La société a notamment suscité l’intérêt du Rwanda. C’est d’ailleurs Kigali qui a déposé au nom d’E-Space, en 2021, une demande d’autorisation pour la mise en orbite de 300 000 satellites auprès de l’ITU.

Le déploiement prévu de Starlink en Afrique.
Le déploiement prévu de Starlink en Afrique.

 

Les relations entre Greg Wyler et les autorités de Kigali sont anciennes, tout comme le sont les ambitions spatiales du Rwanda. En 2019, le ministère rwandais des Télécommunications avait formé un partenariat avec OneWeb, ancienne maison de Wyler, pour le lancement de son satellite « Icyerekezo », mis en orbite depuis la base française de Kourou. Met aussi en avant la possibilité d’aider des États à créer leurs propres constellations souveraines.

 

De nombreux services à impact

Le lancement commercial de Starlink et de OneWeb pourrait transformer rapidement le paysage télécom des pays les plus défavorisés dans l’accès aux télécom. L’abonnement de l’opérateur américain reste trop coûteux pour la majeure partie de la population, mais il est à la portée des États ou des organisations d’aide au développement.

Avec l’appui du Tony Blair Institute for Global Change, le Rwanda a ainsi mené un projet-pilote pour fournir l’Internet à haut débit à 50 écoles. Quelque 450 supplémentaires devraient en bénéficier grâce à des fonds de la Banque mondiale.

Selon GSA, c’est la capacité des constellations satellite à proposer un service de backhaul (réseaux intermédiaires) aux opérateurs de téléphonie mobile qui pourrait avoir, à terme, le plus d’impact, en leur permettant d’étendre à moindre coût leurs réseaux en se passant des coûteuses poses de fibre optique comme des faisceaux hertziens terrestres, qui nécessitent une ligne de mire dégagée.

Aucun opérateur de service « satellite-to-phone » ne pourra proposer avant plusieurs années de services à haut débit au plus grand nombre. Toutefois, une bande passante de quelques kilobits par seconde permet de déployer de nombreux services numériques dans les zones jusque-là inaccessibles. La possibilité d’envoyer des SMS permettra par exemple aux usagers d’accéder à des services de Mobile money. De même, il devient possible de proposer des systèmes d’information destinés aux agriculteurs : bulletins météo, alertes épidémiques précoces, cours de vente des produits agricoles ou des intrants, etc. Enfin, divers services d’e-gouvernement – de l’inscription à une caisse d’assurance sociale au vote électronique en passant par la distribution ciblée de subventions – peuvent aussi être envisagés sans nécessiter un service haut débit.

Du côté de l’Internet des objets, on trouve déjà de nombreuses applications, du contrôle des infrastructures à la gestion des troupeaux. Par exemple, Sateliot travaille avec le groupe sud-africain Streamline à la production en grande série de balises d’identification du bétail, qui permettront de localiser en temps réel des troupeaux pour lutter contre le vol de bétail – source récurrente de conflit dans de nombreux pays – et lutter contre les épizooties telles que la fièvre aphteuse.

@AB

Écrit par
Laurent Soucaille

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