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L’Égypte construit une amitié improbable avec la Corée du Sud

L’Égypte construit une amitié improbable avec la Corée du Sud
  • Publiéseptembre 18, 2023

Les relations sont de plus en plus étroites entre la Corée du Sud et l’Égypte dans les domaines des échanges commerciaux, du développement et de la sécurité. Comment expliquer cet attachement politique et économique accru entre les deux pays ?

 

En 2022, les échanges commerciaux entre la Corée du Sud et l’Égypte ont dépassé les 3 milliards de dollars, les exportations égyptiennes vers Séoul atteignant le chiffre record de 1,69 milliard $. Soit une augmentation de plus de 160 % par rapport à l’année précédente. Selon la Banque d’import-export de Corée, la Corée du Sud a consenti l’an passé des investissements cumulés d’un peu moins de 800 millions de dollars en Égypte. Comment expliquer l’importance politique et économique accrue, que les deux pays donnent à une relation qui ne cesse de s’étendre, de s’approfondir et de gagner en importance géopolitique ?

En mars 2016, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi s’était rendu en Corée du Sud, pour signer un accord de partenariat global visant à élargir le champ de la coopération entre les deux pays, en particulier dans les domaines commercial et militaire.

Depuis janvier 2022, la Corée du Sud et l’Égypte mènent des études de faisabilité conjointes sur les modalités d’un accord bilatéral de libre-échange, qui serait le premier accord commercial conclu par Séoul avec un pays africain.

À son tour, le président sud-coréen de l’époque, Moon Jae-in, a été reçu au Caire lors de sa tournée dans le Golfe et en Afrique du Nord en janvier 2022, et les deux présidents ont signé plusieurs protocoles d’accord qui ont montré à quel point les relations avaient progressé en six ans. Les deux présidents ont signé plusieurs protocoles d’accord qui témoignent de l’évolution des relations depuis six ans, notamment un accord de « coopération financière » d’un montant d’un milliard de dollars, Séoul offrant également des centaines de millions de dollars sous forme de prêts et de subventions.

 

Tirer les leçons du miracle économique coréen

Des responsables égyptiens laissent entendre que la Corée du Sud, qui s’est développée rapidement dans les années qui ont suivi la fin de la guerre de Corée en 1953, était une source d’inspiration pour son propre développement potentiel. Au début des années 1960, les gouvernements sud-coréens successifs ont décidé d’utiliser la main-d’œuvre bon marché disponible dans le pays comme un avantage concurrentiel pour la production de biens bon marché destinés à l’exportation.

Avec l’aide du financement du développement fourni par le FMI et la Banque mondiale, la Corée du Sud est devenue une plaque tournante mondiale dans la fabrication de produits électroniques et d’autres produits destinés à l’exportation, dans un processus surnommé le « miracle du fleuve Han ». La Corée du Sud passe d’une économie à faible revenu en une économie à revenu élevé et en un leader mondial de l’innovation et de la technologie.

Certains ont suggéré que l’Égypte pourrait chercher à suivre cet exemple. Lors d’une récente réunion avec l’ambassadeur sud-coréen au Caire, Kim Yong-Hyun, le ministre égyptien des finances, Mohamed Maait, a souligné l’importance des investissements sud-coréens en Égypte pour stimuler le développement. Hany Selim, l’ambassadeur égyptien à Séoul, s’est montré enthousiaste à l’idée d’amener en Égypte des projets inspirés par la Corée du Sud.

Pour sa part, Séoul semble vouloir contribuer à la promotion du développement de l’Égypte. En juin 2023, le Fonds de coopération pour le développement économique (EDCF) de la Corée du Sud a signé un accord avec le ministère égyptien de la coopération internationale, en vertu duquel le gouvernement sud-coréen fournira 460 millions $ pour la production de rames de métro au Caire. En avril, les deux gouvernements ont signé un protocole d’accord visant à renforcer la coopération douanière, à faciliter les échanges entre les deux pays et à développer le marché d’exportation de l’Égypte. En 2022, le gouvernement sud-coréen a désigné l’Égypte comme partenaire prioritaire de l’Aide publique au développement.

 

Ramifications sécuritaires

La Corée du Sud a intérêt à encourager une industrie égyptienne plus forte et plus résistante pour plusieurs raisons. Sur le plan économique, le renforcement des liens entre Séoul et Le Caire a permis aux entreprises sud-coréennes de décrocher d’importants contrats de fabrication dans le pays nord-africain. En août 2023, Korea Hydro & Nuclear Power Company, une filiale de Korea Electric Power Corporation, dans laquelle le gouvernement détient une participation majoritaire, a remporté un contrat de 2,5 milliards $ pour la construction de la première centrale nucléaire égyptienne. En août, le géant sud-coréen Samsung a obtenu une « licence dorée » du gouvernement égyptien pour établir une usine de fabrication de téléphones portables à Beni Suef.

La Corée du Sud considère l’Égypte comme sa porte d’entrée vers les marchés du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Hong Jin-Wook, l’un des anciens ambassadeurs du pays en Égypte, expliquait, en début d’année : « Nous nous attendons à ce que les entreprises coréennes participent activement aux exportations depuis l’Égypte, en tant que plaque tournante vers les pays voisins, par le biais de l’accord de libre-échange africain ». 

Selon Alon Levkowitz, de l’Université Bar-Ilan de Tel-Aviv, ces développements économiques pourraient avoir d’importantes implications géopolitiques. L’universitaire juge que la Corée du Sud pourrait jouer un rôle important pour « stabiliser l’économie en promouvant et en construisant des projets qui offriront du travail aux Égyptiens ».

 

Il explique à African Business que « la Corée du Sud est une « puissance moyenne » aujourd’hui. « Elle déclare qu’elle n’a pas d’agenda impérialiste, comme les superpuissances, et qu’elle n’a pas non plus d’agenda caché qui éclatera une fois qu’elle commencera à faire des affaires. Séoul s’efforce de maintenir une politique neutre au Moyen-Orient, afin de ne pas être perçue comme penchant d’un côté ou de l’autre. » Le renforcement du rôle d’une puissance « neutre » en Égypte pourrait contribuer à apporter une stabilité indispensable dans un pays qui a souvent été le théâtre d’une concurrence géopolitique entre grandes puissances.

Le pivot de l’Égypte vers la Corée du Sud est également un développement important pour Séoul, car le Caire a traditionnellement entretenu des relations chaleureuses avec son voisin belliqueux, la Corée du Nord.

 

L’importance de l’histoire

« Ces relations remontent à la crise de Suez en 1956, lorsque la Corée du Nord a exprimé sa solidarité avec la décision de Nasser de nationaliser le canal de Suez », nous confie Edward Howell, de l’Université d’Oxford. « Les deux États ont également échangé des missiles balistiques Scud dans les années 1980 et 1990. L’Égypte a également aidé la Corée du Nord à échapper aux sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies, en lui permettant d’exporter des armes vers l’Afrique via les ports égyptiens. »

Bien que l’Égypte ait apparemment coupé les liens militaires avec la Corée du Nord en 2017, l’importance de l’histoire ne peut être sous-estimée. La société de télécommunications égyptienne, Orascom, a joué un rôle déterminant au cours des deux dernières décennies en collaborant avec une société de télécommunications nord-coréenne pour exploiter le seul service de téléphonie mobile 3G de Corée du Nord. 

Le resserrement des liens entre Séoul et Le Caire a donc d’importantes ramifications en matière de sécurité en Asie de l’Est et pourrait aider la Corée du Sud à isoler son principal adversaire sur les plans diplomatique, économique et militaire. En effet, en février 2023, les forces armées égyptiennes ont signé deux protocoles d’accord avec leurs homologues sud-coréens afin de renforcer la coopération militaire. L’entreprise sud-coréenne Hanwha a également conclu un accord pour la fabrication d’obusiers K9 pour l’Égypte. En ce qui concerne la politique étrangère au sens large, le président Sissi s’est également engagé à veiller à ce que « nous coordonnions les positions des deux pays dans divers forums internationaux ».

 

Avantages mutuels

Les relations de plus en plus étroites entre la Corée du Sud et l’Égypte revêtent une grande importance pour les deux pays. Séoul s’efforce d’éviter une ère de stagnation économique dans un contexte de faible croissance économique, de baisse des exportations et de vieillissement de la population. L’ouverture d’un accès aux marchés à croissance rapide d’Afrique du Nord est un élément important de la stratégie du gouvernement visant à revitaliser l’économie sud-coréenne et à rajeunir les exportateurs du pays.

Pour l’Égypte, qui est également confrontée à de graves problèmes économiques, des relations solides avec une puissance économique mondiale ne pourraient être mieux accueillies. L’augmentation rapide des exportations vers la Corée du Sud pourrait constituer une source particulièrement importante de devises étrangères dont le pays a désespérément besoin.

Toutefois, les relations peuvent encore s’intensifier. Depuis janvier 2022, la Corée du Sud et l’Égypte mènent des études de faisabilité conjointes sur les modalités d’un accord bilatéral de libre-échange, qui serait le premier accord commercial conclu par Séoul avec un pays africain. Des hommes politiques égyptiens ont laissé entendre qu’un tel accord pourrait entraîner un doublement des échanges commerciaux entre les deux pays.

Bien qu’il reste à voir si cet accord se concrétisera, Séoul et Le Caire affirment tous deux être déterminés à approfondir leurs relations dans tous les domaines.

@AB

Écrit par
Harry Clynch

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