Le nouveau départ du train Dakar-Bamako
La réhabilitation du chemin de fer Dakar-Bamako est un enjeu clé dans l’intégration et l’essor du commerce dans la sous-région. Mais la route vers un transport performant et compétitif, garant d’un aménagement équilibré, est pavée d’obstacles.
Chemin de fer mythique inauguré le 1er janvier 1924 par l’ambitieux administrateur de l’ancien Soudan français, le commandant Gallieni, la liaison Dakar-Bamako avait pour vocation première de relier le vaste bassin du Niger, coeur continental de l’avancée coloniale française en Afrique de l’Ouest, aux côtes atlantiques.
Outil majeur de désenclavement, le rail est loin de se limiter au seul transport de voyageurs. C’est toute la question du transport de marchandises et de l’intégration régionale qui est au coeur de cette infrastructure majeure pour le développement du continent.
Aujourd’hui, le Dakar-Bamako a ralenti sa course et les trains de voyageurs ne circulent plus depuis 2009. Le temps de l’express qui reliait les deux capitales sur 1 228 kilomètres de voies ferrées est révolu. Les déraillements fréquents, la vétusté des wagons et des emprises anarchiques sur les voies ont sonné le glas du transport de voyageurs.
Si le fret se poursuit, la vitesse du train ne dépasse guère les 30 kilomètres à l’heure avec un train de marchandises journalier, parfois deux. Sur un trafic de trois millions de tonnes sur le corridor Dakar-Bamako, seulement 10 % sont acheminés par le rail, contre 90 % par la route. À l’époque où le rail fonctionnait correctement, le volume était de 1 million et demi de tonnes par an. Premier partenaire commercial du Sénégal, le Mali importe 2,7 millions de tonnes de marchandises du Sénégal, en majorité des produits manufacturés qui viennent du port, des hydrocarbures, des produits agricoles et chimiques, des engrais. Deux cents camions quittent chaque jour Dakar pour Bamako !
Délaissée jusque-là, la relance du chemin de fer est un enjeu fort du président Macky Sall. Un secrétaire d’État au Réseau ferroviaire national, Abdou Ndene Sall a été nommé lors du remaniement de juillet 2014 pour suivre spécifiquement les projets. Pour l’un de ses conseillers techniques en charge du dossier, Macky Sall est « l’homme du rail, il a une vraie volonté politique de relancer le projet abandonné par son prédécesseur ».
Environ 3 000 km de voies devraient mailler le territoire sénégalais si les projets se concrétisent. Ainsi, à l’occasion du Forum pour les partenariats publics-privés (PPP) tenu à Dakar en mai, les investisseurs potentiels ont pu découvrir huit projets majeurs de la relance du chemin de fer : du Train express régional de Dakar-Aéroport international Blaise-Diagne, à la ligne Nepad entre Dakar, Tambacounda et Bamako, en passant par les projets vers Saint-Louis et la réhabilitation de la ligne Dakar-Bamako. Des projets plus ou moins avancés, dont le montage sous la forme de PPP apparaît a priori comme la solution la plus favorable à leur financement. Reste néanmoins à passer pour certaines de ces lignes ferroviaires de l’idée à l’élaboration du projet et à dessiner un schéma des transports ferroviaires cohérent et réaliste financièrement.
Projet phare le plus avancé, la réhabilitation de la ligne de chemin de fer à écartement métrique Dakar-Bamako intègre la reconstruction de la plateforme, la construction d’ouvrages d’art, la restauration des voies principales et secondaires, l’acquisition de matériel roulant, la rénovation et l’aménagement des gares. Le coût n’est pas encore estimé avec précision, mais l’évaluation première fait état de 1 000 milliards de F.CFA. Une infrastructure ferroviaire dont l’ambition est de favoriser les échanges économiques dans la sous-région en développant l’accès au port de Dakar et en visant un flux à moyen terme de 6 millions de tonnes de marchandises.
En décidant fermement de reprendre le contrôle du chemin de fer, les États signifient clairement que le rail peut contribuer à l’essor du continent.
Mais le projet est suspendu à l’épineux problème de l’aboutissement des négociations engagées entre les deux pays et Transrail SA, concessionnaire du chemin de fer. Pour comprendre l’imbroglio du dossier, il faut remonter au processus de cette privatisation.
La société nationale des chemins de fer qui a succédé en 1989 à la régie nationale des chemins de fer créée après l’indépendance en 1960, est démantelée en 2003 pour créer Transrail SA, une société de droit malien constituée d’un consortium franco-canadien majoritaire (51 %), des deux États (10 % chacun), d’une souscription réservée aux salariés (9 % qui n’ont jamais été souscrits), le reste appartenant à des privés maliens et sénégalais. La concession, d’une durée de 25 ans doit s’achever en 2028. Cette privatisation était devenue l’une des conditions de l’octroi d’un prêt de 61,6 millions d’euros par les bailleurs de fonds. En 2007, avec une prise de participation majoritaire de sa société Advens, à hauteur de 58 %, entre en scène Abbas Jaber. Trader devenu patron dans l’agro-industrie et propriétaire des huiles Suneor, il a également investi dans le coton au Mali. Le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, décide de lui déléguer la concession intégrale du chemin de fer Dakar-Bamako.
Pour Abdoulaye Lo, directeur général de l’Agence nationale des chemins de fer du Sénégal, « en confiant le destin du rail au secteur privé en 2003, on a entamé le démantèlement du chemin de fer. Le mal était fait, s’ajoutant au problème de gestion et de sous-investissement ».