Le dynamisme de l’économie dopé par le pétrole et le gaz

De l’aéroport international Blaise-Diagne à la capitale Dakar, les réalisations du gouvernement impressionnent les investisseurs et les visiteurs. Sur les 50 km du trajet, une multitude de grands projets d’infrastructure se dressent fièrement sous le soleil de l’Afrique de l’Ouest.
L’aéroport a été construit pour 575 millions de dollars par deux entreprises turques, Limak et Summa, qui ont remporté un contrat de 25 ans avec l’État sénégalais en 2016 pour gérer l’installation. En se rapprochant de Dakar, la nouvelle ville de Diamniadio s’élève de part et d’autre de l’autoroute, riche d’un stade, un centre de conférence et une arène ultramodernes, tous construits par la société turque Summa.
De son côté, le français Eiffage a obtenu un accord de concession avec le gouvernement pour construire l’autoroute à péage entre l’aéroport et Dakar. Le long de l’ouvrage se trouve une voie ferrée qui relie également la ville à l’aéroport, construite par les sociétés françaises Engie et Thales pour un montant de 2 milliards $.
Ces projets titanesques témoignent de la grande diversité des partenaires qui ont choisi d’investir au Sénégal et qui contribuent à la croissance diversifiée et soutenue du pays.
Il existe une multitude de grandes entreprises et de conglomérats au Sénégal, notamment le producteur de ciment Soccocim, l’entreprise alimentaire Sedima et l’entreprise de boissons Soboa, mais nombre d’entre elles doivent encore passer à la phase de croissance suivante et devenir des entreprises d’un milliard de dollars.
« Si l’on considère les quinze dernières années, peut-être depuis la crise financière, ce qui est unique et peut-être légèrement inhabituel, c’est que le Sénégal a connu une croissance équilibrée », résume Mark Bohlund, analyste principal de la recherche sur le crédit chez REDD Intelligence, un groupe de recherche sur les marchés émergents.
« La dynamique de croissance est générale. Le secteur des services est solide. Le secteur agricole a été assez fort, ce qui contraste avec d’autres pays d’Afrique subsaharienne où le secteur agricole est faible ou en déclin. Avec l’arrivée de la production pétrolière, le Sénégal devrait afficher les taux de croissance les plus élevés d’Afrique. »
Des références en matière d’investissement
En effet, ajoutés à une base économique solide, deux projets pétroliers et gaziers devraient stimuler la croissance à 8,0 % en 2023 et 10,5 % en 2024, soit les taux de croissance les plus élevés d’Afrique, selon la Banque mondiale.
En 2014, plus d’un milliard de barils de pétrole et 120 billions de pieds cubes de gaz naturel ont été découverts dans l’océan Atlantique. Ces énormes découvertes d’hydrocarbures ont entraîné une vague d’investissements de la part des compagnies pétrolières et gazières, dont la major britannique BP et l’opérateur américain Kosmos Energy, qui ont injecté 4,8 milliards $ dans le développement du projet de GNL Greater Tortue Ahmeyim (GTA), dont les réserves de gaz récupérables s’élèvent à 15 billions de pieds cubes et dont la mise en service est prévue pour 2024.
La compagnie pétrolière australienne Woodside Energy développe également le champ de Sangomar, à 100 km au sud de la capitale Dakar, qui a la capacité de produire 100 000 barils de pétrole par jour et devrait entrer en service au quatrième trimestre 2023.
En plus de ces énormes investissements dans les hydrocarbures, DP World a réalisé son plus gros investissement en Afrique en 2020 en engageant 1,3 milliard $ dans le développement d’un port en eau profonde à 50 km au sud de Dakar. Tous ces projets ont vu les investissements étrangers augmenter de façon spectaculaire, passant de 3,4 milliards $ en 2015 à 10,5 milliards $ en 2021, selon les données de la CNUCED.

Outre une croissance solide et diversifiée, la plupart des investisseurs sont favorables au Sénégal en raison de sa politique relativement stable, de sa bonne gouvernance, de sa main-d’œuvre qualifiée mais peu coûteuse et de sa position géographique en tant que porte d’entrée stratégique de l’Afrique de l’Ouest.
« Pour nous, le Sénégal est une histoire positive », relate Martjin Proos, directeur du Fonds d’infrastructure pour l’Afrique émergente (EAIF). « Historiquement, c’est un pays politiquement stable. Bien géré, il dispose de bons cadres de partenariat public-privé, ce qui permet au secteur privé d’intervenir dans divers secteurs. Pour nous, c’est donc un pays intéressant pour les projets d’infrastructure. »
Le fonds, qui est soutenu par les gouvernements britannique, néerlandais, suédois et suisse, a investi 70 millions $ au Sénégal à ce jour, dans divers secteurs, et Martjin Proos juge qu’il y a « beaucoup plus d’investissements à venir dans le pipeline ».
Dettes et déficit
Toutefois, le ratio dette/PIB du Sénégal suscite quelques inquiétudes ; il a largement augmenté en raison de la frénésie d’emprunts du gouvernement pour financer les grands projets d’infrastructure. Parallèlement à des décennies de croissance soutenue, la dette publique du pays est passée de 17,7 % du PIB en 2006 à un niveau record de 77 % l’année dernière, selon le FMI.
« Le Sénégal est déjà confronté à des niveaux élevés de dette et pourrait continuer à l’être », reconnaît Ibrahima Fall, directeur national du Sénégal pour Invest in Africa. « Le FMI a soulevé la question et l’endettement devient un peu alarmant à ce stade. Le gouvernement devra trouver un équilibre entre son désir d’obtenir tous les capitaux nécessaires à la réalisation de ces projets et la prudence nécessaire pour ne pas trop s’endetter. »
Dans un climat économique mondial difficile, le financement s’est globalement replié dans toute l’Afrique, ajoutant une pression supplémentaire sur le Sénégal pour qu’il génère des revenus plutôt que d’emprunter à nouveau pour rembourser la dette. Alors que les euro-obligations étaient autrefois sursouscrites en Afrique, les émissions peinent à être remplies, et d’importants créanciers comme les Chinois réduisent leurs prêts. Pékin prend du recul par rapport à son initiative Belt and Road (BRI) sur le continent.
L’Afrique n’a plus besoin d’aides mais de partenariats positifs !
En plus de ce problème, le FMI relève que le Sénégal a un déficit budgétaire de 6,2 %, l’un des écarts budgétaires les plus élevés de la région. Pour contrer l’explosion de la dette et l’augmentation du déficit budgétaire, les analystes estiment que le Sénégal doit se tourner vers son secteur privé, qui est un moteur essentiel de la croissance économique.
Des entreprises à faire croître
Le Sénégal possède un secteur privé florissant, avec environ 300 000 PME réparties sur l’ensemble du territoire, qui compte 17 millions d’habitants.
La composition de l’économie est restée globalement la même au cours des dernières décennies, avec environ 50 % du PIB provenant des services, 25 % de l’industrie et 15 % de l’agriculture. Les institutions financières représentent une grande partie du secteur des services, avec 26 banques basées au Sénégal, ainsi que des sociétés de télécommunications et des sociétés immobilières.
Les initiatives gouvernementales et les interventions réglementaires de la dernière décennie ont donné lieu à une croissance impressionnante du secteur privé.
Le programme phare du Président Macky Sall, le Plan Sénégal émergent (PSE), a été mis en œuvre pour maintenir la croissance annuelle du Sénégal au-dessus de 7 %. Ce plan comprend 27 grands projets d’investissement et 17 réformes qui mettent l’accent sur les infrastructures et les services de transport, les infrastructures et les services énergétiques, l’agriculture et l’agroalimentaire, l’eau et l’assainissement, l’éducation et la formation ainsi que la santé et la nutrition.
Plusieurs organisations ont également été spécialement créées pour stimuler l’économie, notamment l’APIX, un organisme public chargé d’aider le Sénégal à attirer les investissements étrangers, et l’Agence pour le développement et l’enregistrement des PME (ADEPME). Pendant le mandat du président Sall, le Sénégal a fait un bond sur l’échelle de la facilité de faire des affaires de la Banque mondiale, passant de la 178e place sur 190 pays en 2013 à la 129e en 2019.

Cependant, les analystes affirment qu’il demeure plusieurs domaines à améliorer pour libérer toute la force du secteur privé sénégalais. Pour les PME, le principal problème est le financement.
Malgré la présence de 26 banques, il reste difficile pour ces entreprises d’accéder au financement dans le pays, reconnaît Ibrahima Fall d’Invest Africa, car les prêteurs sont réticents au risque et n’ont pas trouvé de moyens efficaces de financer les petites entreprises. Les entreprises elles-mêmes ont également de mauvaises méthodes de comptabilité et de structuration, ce qui les rend difficiles à financer.
À l’autre bout de l’échelle, les entreprises sénégalaises n’ont pas encore émergé en tant que champions panafricains comme les entreprises d’autres pays tels que le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Égypte. Il existe une multitude de grandes entreprises et de conglomérats au Sénégal, notamment le producteur de ciment Soccocim, l’entreprise alimentaire Sedima et l’entreprise de boissons Soboa, mais nombre d’entre elles doivent encore passer à la phase de croissance suivante et devenir des entreprises d’un milliard de dollars.
Ibrahima Fall distingue deux raisons principales à cela : l’hésitation à se développer en dehors des marchés nationaux et l’hésitation à prendre des participations pour stimuler la croissance. Il attribue cette situation au fait que la plupart des grandes entreprises sénégalaises sont des entreprises familiales de la vieille école qui préfèrent garder en interne la maitrise de la gestion et de la stratégie en interne.
« Elles ne veulent pas s’ouvrir au capital-investissement. Ses actionnaires rejettent cette solution d’emblée en expliquant qu’ils ne veulent pas perdre le contrôle. Mais si vous voulez passer d’entreprise familiale à méga-entreprise, vous devez être ouvert aux investisseurs. »
Pour illustrer ce point, aucune entreprise sénégalaise ne figurait dans la liste des 250 plus grandes entreprises d’Afrique établie par African Business en 2022. Les entreprises hésitent également à s’implanter dans la région, bien qu’elles fassent partie d’une union économique qui compte plus de 100 millions d’habitants.
L’hypothèque des élections de 2024
Mark Bohlund, de REDD Intelligence, estime que le Sénégal a manqué une importante opportunité de croissance à cet égard. Selon lui, le pays devrait viser à dominer la région avec des entreprises sénégalaises et en tant que centre de fabrication. Le Sénégal pourrait suivre la voie d’autres pays africains comme le Kenya, qui a installé des usines d’assemblage de voitures et qui est aujourd’hui l’un des principaux exportateurs de véhicules en l’Afrique de l’Est.
Malgré ces points positifs, l’un des plus grands risques politiques et pour les investisseurs au Sénégal est l’élection de 2024. En mars, des centaines de partisans d’Ousmane Sonko, figure controversée de l’opposition, ont fermé une grande partie de Dakar lors de violentes manifestations. Ils affirment que l’opposant est injustement visé par le gouvernement à l’approche des élections. Ousmane Sonko a été condamné, le 30 mars 2023, à deux mois de prison avec sursis pour diffamation ; selon ses avocats, cette sentence ne l’empêche pas de concourir aux élections.

Le président Sall n’a pas encore indiqué s’il se présentera pour un troisième mandat, une décision qui entraînerait probablement d’importantes manifestations dans tout le pays. Toute perturbation ébranlera la confiance des investisseurs dans le marché et un éventuel débordement de l’exécutif pourrait ternir la réputation du Sénégal en tant que pays à la politique stable.
De son côté, Ousmane Sonko a adopté une position beaucoup plus dure à l’égard des partenaires étrangers, en particulier les Français, et qui est considéré comme une figure plus nationaliste que Macky Sall. Lors des dernières émeutes, les partisans de Sonko ont brûlé un supermarché Auchan, dans une manifestation délibérée d’hostilité à l’égard de l’ancien colonisateur. On sait que l’opposant a néanmoins rencontré un ministre français, fin mars, et la France a indiqué qu’elle ne voulait en rien interférer dans la vie politique du Sénégal.
@AB