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African Business Entretien

L’Afrique est au cœur des transitions soutenables

L’Afrique est au cœur des transitions soutenables
  • Publiémars 20, 2023

Le secrétaire exécutif par intérim de la Commission économique pour l’Afrique, Antonio Pedro, partage son point de vue sur la promotion d’une chaîne de valeur des minéraux verts et sur la manière d’accélérer le développement.

 

Le modèle d’exploitation des richesses de l’Afrique est une « malédiction », chacun en est convaincu ; une autre voie permettant au continent de profiter de ses ressources est indispensable

Antonio Pedro, secrétaire exécutif par intérim de la Commission économique pour l’Afrique, est convaincu que cette voie est à portée de main. « Nous sommes à l’ère des transitions durables et l’Afrique est au cœur de ces solutions. »

La CEA a saisi les possibilités que ce nouveau paradigme énergétique, en particulier dans le domaine des transports, offre à l’Afrique. En partenariat avec d’autres agences multilatérales de développement, notamment la Banque africaine de développement, la Banque africaine d’import-export, la BADEA et la Société financière africaine. Ces instances ont intensifié leurs efforts pour placer la RD Congo et la Zambie au centre de la chaîne de valeur de la production de batteries et de véhicules électriques.

Les réserves prouvées de cobalt et de cuivre de la RD Congo la placent en très bonne position pour récolter une part importante d’une industrie dont on prévoit qu’elle vaudra 7 700 milliards de dollars d’ici à 2025 et 46 000 milliards $ à horizon 2050.

Selon Antonio Pedro, ces efforts s’inscrivent dans le droit fil de la conviction qui anime la CEA. En effet, dès 2007, l’institution a joué un rôle déterminant dans les efforts visant à réformer et à améliorer le secteur des industries extractives en Afrique.

« Il était clair, déjà à l’époque, que pour assurer l’avenir de l’industrie extractive africaine, il fallait l’émergence d’entreprises africaines d’exploitation des ressources naturelles », explique-t-il. Cette année-là, nous avons organisé la conférence sur la « Gestion des ressources naturelles de l’Afrique pour la croissance et la réduction de la pauvreté ». La conclusion de ce sommet était que les régimes miniers existants ne servaient pas vraiment l’Afrique et qu’il était nécessaire de les réexaminer.

En réponse, la CEA a mis sur pied un groupe d’étude international sur les régimes miniers en Afrique, qui a produit un rapport fondamental intitulé « Les minéraux pour le développement de l’Afrique », dans lequel il évalue la nature de l’industrie.

« Il a reconnu la nécessité de revoir la configuration de l’industrie, qui fonctionne comme des enclaves sans lien avec les économies locales », se souvient Antonio Pedro. Le rapport a servi de base à la formulation de la Vision minière pour l’Afrique, qui a ensuite été adoptée par l’Union africaine en février 2009. « L’Afrique a le potentiel de gagner beaucoup plus que ce qu’elle gagne en se contentant d’exporter des matières premières. C’est un comble qu’elle ne le fasse pas. »

 

Ce sont ces leçons durables qui continuent d’animer la mission de la CEA en RD Congo et un sujet qui, on peut le dire, fascine le secrétaire exécutif par intérim de la CEA. Forte des résultats d’une étude de BloombergNEF qui a montré que la production de batteries dans le pays impliquerait des coûts et des émissions plus faibles que dans d’autres centres de production dans le monde, la CEA s’engage avec des partenaires locaux et internationaux à faire progresser la RDC dans la chaîne de valeur.

 

Mesures pratiques

Mais la vision nécessite des mesures pratiques et la CEA y travaille également. Il s’agit notamment de la création d’un conseil des batteries, d’une structure ad hoc pour veiller à ce que les citoyens ordinaires ne soient pas laissés pour compte et d’un centre d’excellence pour la production de batteries afin de développer les capacités locales, la recherche et le développement ainsi que la main-d’œuvre.

Les pays voisins se sont également montrés enthousiastes à l’égard de cette vision. Lors d’un sommet en 2021, le président de la Zambie – un pays également riche en minéraux – et le ministre marocain du commerce, – le Maroc étant l’un des plus importants constructeurs automobiles d’Afrique – qui étaient tous deux présents, ont exprimé leur intérêt. Depuis, la Zambie a signé un accord de coopération avec la RD Congo, qui fera l’objet d’un rapport de faisabilité attendu pour le quatrième trimestre 2023.

Avec 70 % de la production mondiale de cobalt et un marché mondial évalué à 1,3 billion de dollars en 2022, l’industrie de la RDC pourrait potentiellement être transformatrice non seulement pour la région, mais aussi pour l’ensemble du continent. Le ministère des Finances de la RD Congo estime qu’il pourrait multiplier ses revenus par 25 s’il était en mesure de produire des pièces de batteries, au lieu d’exporter les métaux bruts.

La production locale de batteries présentera également d’autres avantages. Le continent sera mieux à même d’exploiter l’énergie solaire, éolienne et les autres énergies renouvelables, qui nécessitent toutes des batteries pour stocker et distribuer l’énergie, une autre opportunité que les zones économiques transfrontalières chercheront à exploiter.

Cela signifie également que l’Afrique pourra alimenter les quelque 2 millions de camions nécessaires au transport des marchandises dans le cadre de la zone de libre-échange continentale africaine à l’aide de ses propres batteries fabriquées localement.

 

Une opportunité pour les investisseurs

Pour les investisseurs, l’occasion est trop belle pour être laissée de côté. Et si les questions habituelles de gouvernance et d’État de droit doivent être abordées, Antonio Pedro souligne qu’elles n’ont pas empêché les investissements dans l’industrie extractive par le passé et qu’elles ne devraient donc pas faire obstacle maintenant que l’objectif est de favoriser la production locale et la création de valeur ajoutée. Quoi qu’il en soit, la CEA est convaincue que les zones économiques spéciales, telles que celle qui sera construite sur 2000 hectares au Katanga, peuvent isoler les investisseurs et les encourager à s’engager dans le plan.

« C’est quelque chose que nous devons prendre très au sérieux et c’est pourquoi nous avons insisté pour créer toutes ces structures. Et nous serons activement impliqués dans ces institutions afin de pouvoir continuer à apporter notre soutien au pays. » Les modèles de production seront probablement des coentreprises entre l’État et les acteurs du secteur privé, les propriétaires de la technologie conservant probablement la majorité des parts.

L’important est de créer de la valeur sur le continent. « Il est possible, affirme-t-il, de créer une chaîne de valeur à l’échelle de l’Afrique » : les pôles de production de véhicules électriques étant le Maroc, l’Algérie et l’Égypte au nord, l’Éthiopie et le Kenya à l’est, l’Afrique du Sud au sud et le Sénégal à l’ouest.

 

Une stratégie claire est nécessaire

Toujours dans la poursuite de cette vision, la CEA travaille avec l’UA, la BAD et d’autres parties prenantes pour développer une stratégie africaine des minéraux verts afin de guider et d’orienter la manière dont le continent utilise ses minéraux dans cette nouvelle ère.

« Nous avons besoin d’une stratégie claire pour ne pas rater cette opportunité », explique Antonio Pedro. L’UA dirige ce processus et l’intégrera dans sa propre stratégie en matière de produits de base. Le secteur privé africain doit également jouer un rôle dans la construction de cette industrie. « Nos propres capitaines d’industrie doivent également investir dans la chaîne de valeur des batteries et des véhicules électriques. Nous nous engageons auprès d’eux pour leur faire connaître l’ampleur des opportunités. Ils ont déjà investi le ciment, les engrais et d’autres secteurs. Il s’agit de la prochaine opportunité. »

Malgré les opportunités alléchantes et les risques encourus si elles ne sont pas saisies, Antonio Pedro est prudent quant à l’utilisation de tactiques musclées telles que l’interdiction des exportations de minerais pour batteries. Il rappelle que l’Indonésie a tenté de le faire pour le nickel et qu’elle a dû faire marche arrière après seulement quelques mois. Il est préférable, selon lui, de laisser les chiffres et les preuves plaider en faveur de la production locale et de prévoir une période de temporisation au cours de laquelle les capacités locales pourront être mises en place.

Il y a déjà eu une certaine intégration verticale entre les entreprises minières et technologiques, ce qui est de bon augure pour l’acquisition des compétences et de la technologie qui seront nécessaires. En fin de compte, il sera impossible de résister à la logique financière : « Il arrivera un moment où l’exportation de matières premières deviendra très coûteuse en raison des objectifs de réduction des émissions de carbone et des frontières de l’UE, par exemple. » Dès lors, « la question qui se posera sera de savoir pourquoi vous ne produisez pas ici, car votre profil d’émissions sera bien meilleur que celui de n’importe qui d’autre. Voilà donc le type de politique industrielle que nous envisageons : une politique intelligente et fondée sur des données prouvées », explique-t-il.

 

Développer les marchés du carbone

Une approche tout aussi intelligente et fondée sur les connaissances devrait guider les efforts de l’Afrique sur les marchés d’échange de droits d’émission de carbone. C’est la raison pour laquelle la CEA a réuni divers acteurs lors de l’Africa Business Forum sur le thème « Faire fonctionner les marchés du carbone pour l’Afrique », en marge du sommet de l’UA en février.

« Nous voulions utiliser cette plateforme pour sensibiliser aux opportunités et partager des connaissances sur la manière de développer les marchés du carbone en Afrique », explique Antonio Pedro. La conférence a également été l’occasion de mettre en lumière quelques exemples de réussite afin d’aiguiser l’appétit des acteurs. Selon lui, la conférence a été un succès à tous points de vue. La CEA a désormais l’intention de travailler en étroite collaboration avec les pays qui ont manifesté leur intérêt et de les soutenir tout au long d’un processus plutôt complexe.

 

Un partenariat entre l’Initiative africaine pour le marché du carbone et la Fondation Rockefeller a permis de créer une plateforme pour l’échange de carbone au niveau local, tandis que la Commission du climat du bassin du Congo élabore également des règles fondamentales pour l’industrie naissante. « La confiance et la crédibilité sont essentielles dans ce domaine, et nous devons investir dans ce domaine dès le départ. »

Lors de la COP27 en Égypte, la CEA a présenté des projets combinant l’action climatique, la conservation de la nature et l’amélioration des moyens de subsistance pour en démontrer le potentiel. Selon lui, ces co-bénéfices les rendront extrêmement précieux.

« Certaines des actions menées par les entreprises peuvent être converties en crédits carbone qui généreront des revenus pouvant être investis dans des programmes de protection sociale. Nous en sommes très heureux et nous avons maintenant un certain nombre d’activités à entreprendre pour les deux prochaines années », déclare-t-il. Le successeur de Vera Songwe est également encouragé par l’initiative de la Grande Muraille bleue, lancée lors de la COP27, et qui comprend des projets pouvant être monétisés en crédits carbone en raison des effets qu’ils ont sur l’économie bleue, les efforts de conservation et les moyens de subsistance.

D’une manière plus générale, la CEA a l’intention de recalibrer son approche pour s’adapter au moment que nous vivons. Antonio Pedro, qui a pris ses fonctions de secrétaire exécutif par intérim en septembre 2022, indique que l’organisation se concentrera sur le financement durable et la gouvernance économique, l’industrialisation et la diversification économique, en mettant particulièrement l’accent sur les possibilités offertes par la ZLECAf, l’action climatique, la transition énergétique et les questions connexes.

Sur le plan organisationnel, elle renforcera son intégration horizontale entre le siège, les divisions et ses cinq bureaux sous-régionaux, ainsi que l’intégration verticale avec les États membres et les équipes de pays des Nations unies.

 

Réforme de l’architecture financière mondiale

La CEA a été au centre des solutions proposées pour soutenir les économies africaines face aux récents chocs mondiaux. Dans ce contexte, la CEA s’est fixée comme grand objectif de mener certaines des discussions autour de l’architecture financière mondiale.

« Nous continuons certainement à travailler sur la réforme de l’architecture financière mondiale, en engageant les parties concernées sur les droits de tirage spéciaux et sur la manière dont nous pouvons démocratiser cet espace et améliorer l’efficacité. Malgré sa taille, l’Afrique n’est pas présente à la table des négociations. »

Antonio Pedro a eu l’occasion d’exposer la vision de la CEA lors de la 55e session de la CEA. Il affirme qu’il discutera avec les ministres de la nécessité d’encourager ces réformes, y compris la proposition du secrétaire général d’une relance de 500 milliards de dollars pour financer les objectifs du Millénaire pour le développement. Mais il présentera également des suggestions sur la manière d’accélérer l’industrialisation durable, la diversification économique et la croissance inclusive qui « ne laisse personne de côté », pour reprendre le slogan des Nations unies. Les ressources naturelles de l’Afrique peuvent faciliter ces transformations.

La CEA continuera à soutenir de telles approches, y compris avec des solutions technologiques qui permettent aux pays et aux investisseurs de mieux cibler leurs investissements. « Une partie de ce que nous voulons faire est d’aider nos pays avec de meilleures études diagnostiques sur la croissance, des modèles d’aide à la décision commerciale, une analyse des points chauds des opportunités économiques » grâce au SIG, le système de cartographie à plusieurs niveaux, par exemple.

@AB

 

Écrit par
Omar Ben Yedder

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