L’affaire P&ID, symbole des problèmes de gouvernance

Un litige de longue date entre le Nigeria et la compagnie P&ID pourrait trouver un aboutissement en janvier. Cette affaire constitue un avertissement sur le comportement des multinationales et sur la nécessité d’améliorer les normes de gouvernance entre les juridictions.
L’une des plus grandes affaires d’arbitrage international de l’histoire récente pourrait enfin trouver son terme en 2023. De longue date, ce litige oppose le gouvernement nigérian à une société d’exploitation de ressources naturelles basée dans les îles Vierges britanniques pour un montant égal à dix fois le budget annuel de la Santé du Nigeria. Il sera jugé par la Haute Cour de Londres en janvier.
Cette affaire de 11 milliards de dollars – intérêts compris –, donc, met en lumière la collision entre des entreprises étrangères opaques et intéressées et une gouvernance chroniquement faible, dont les Nigérians les plus pauvres sont les principales victimes.
Aussi malheureuse que soit cette histoire, l’application cohérente de normes de gouvernance dans toutes les juridictions ne peut être que bénéfique pour les entreprises mondiales et les pays moins prospères. Les processus de ce type renforcent les institutions.
L’histoire commence en 2010, lorsque deux ressortissants irlandais – Michael Quinn et son partenaire Brendan Cahill – qui avaient déjà été chargés de réparer des chars et des avions pour l’armée nigériane, ont fondé Process and Industrial Developments (P&ID) dans les îles Vierges britanniques.
P&ID a ensuite obtenu un contrat de vingt ans pour le traitement du gaz destiné au marché énergétique national nigérian. Deux ans plus tard, P&ID a entamé une procédure d’arbitrage, affirmant que le gouvernement nigérian n’avait pas construit l’infrastructure requise pour le projet énergétique et qu’il avait en fait renoncé au contrat. Un tribunal d’arbitrage de Londres a donné raison à P&ID et lui a accordé en 2017 une indemnisation de 6,6 milliards $. Avec l’ajout d’intérêts rétroactifs de 7 % par an, le montant a presque doublé au fil du litige.
Le Nigeria affirme que le projet a été compromis dès le départ. À la suite d’une enquête menée au Nigeria, un jugement de la Haute Cour d’Angleterre en 2020 a trouvé des preuves solides que le contrat initial a été obtenu par la corruption et que l’arbitrage ultérieur a été corrompu par la collusion entre les avocats du gouvernement nigérian et P&ID.
Quinn et Cahill, affirment les Nigérians, n’avaient guère d’intention de respecter le contrat initial, car leur objectif initial et exclusif était d’extorquer au gouvernement le maximum d’argent. Leur société P&ID a été rachetée immédiatement après la sentence de 2017 par Lismore Capital et VR Advisory Ltd.
Lismore appartient à l’avocat représentant P&ID, et VR est décrit comme un « fonds vautour » par le gouvernement nigérian. La constatation par la haute cour d’un « solide cas prima facie (à première vue) de fraude » a ouvert la voie au Nigeria pour faire appel de la sentence arbitrale, avec des victoires ultérieures à New York, aux îles Vierges britanniques et à Londres donnant accès à des documents clés, dont certains détenus par Limore Capital, VRAdvisory et P&ID .
« La République fédérale du Nigeria… ne néglige aucune piste dans son combat devant les tribunaux », martèle le gouvernement. « Il s’agit d’une nouvelle étape dans notre effort de longue haleine pour révéler qui profite de l’une des plus grandes escroqueries du monde. »
Des intérêts personnels dans tous les domaines
P&ID semble avoir lié plusieurs récompenses financières au résultat de l’arbitrage, ce qui ajoute du poids à l’accusation du Nigeria selon laquelle ses patrons n’ont jamais eu l’intention de fournir l’énergie promise. Selon les documents judiciaires, la moitié de tout paiement supérieur à 1 milliard $ devait aller à Adetunji Adebayo, une figure de l’industrie pétrolière et gazière nigériane, en vertu d’un accord qu’il a signé avec la société pour faciliter les négociations autour d’un règlement potentiel en 2014.
En outre, selon les Nigérians, le cofondateur Brendan Cahill a convaincu un ancien employé de ne pas témoigner au procès en lui promettant une rémunération qui dépendait du succès de l’arbitrage en faveur de P&ID.
Pour le Nigeria, cependant, l’épisode est tout aussi peu reluisant. Après tout, c’est le gouvernement qui a examiné et signé le contrat initial, et qui avait déjà traité avec les fondateurs de P&ID dans les années 1990.
La longue liste de corruptions découverte au cours de l’enquête donne l’impression que les actions de P&ID ont été encouragées par l’État lui-même. Dans un cas, P&ID aurait laissé tomber un sac contenant 50 000 dollars en espèces dans la voiture d’un fonctionnaire nigérian. D’autre part l’appel du Nigeria repose sur de multiples cas de fonctionnaires ayant divulgué des documents gouvernementaux privilégiés et confidentiels P&ID en échange de paiements en espèces.
Un récit édifiant
Cette affaire représente un autre exemple de « la malédiction des ressources », c’est-à-dire la relation négative durable entre la richesse en pétrole et en gaz, les chercheurs de rente et les résultats sociaux, économiques, politiques et de gouvernance. Bien qu’il soit le plus grand exportateur de combustibles fossiles d’Afrique depuis plus d’une demi-décennie, le Nigeria conserve le plus grand déficit d’accès à l’énergie au monde. Le gouvernement invoque l’impact « flagrant » que son versement à P&ID aurait sur les 40 % de la population qui vivent encore sous le seuil de pauvreté.
Un certain nombre de nations africaines, dont le Nigeria, se préparent à étendre massivement leurs efforts d’extraction de pétrole et de gaz pour accélérer le développement économique dans leur pays tout en complétant l’offre mondiale à l’étranger, pour répondre à la demande d’investisseurs, d’entreprises et de gouvernements étrangers apeurés par le chaos du marché de l’énergie à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Cette affaire judiciaire n’est qu’une mise en garde de plus concernant le comportement des entreprises multinationales dans les pays en développement. Les entreprises multinationales doivent être tenues de respecter les mêmes normes sur tous les marchés mondiaux.
Renforcer les institutions
Aussi malheureuse que soit cette histoire, l’application cohérente de normes de gouvernance dans toutes les juridictions ne peut être que bénéfique pour les entreprises mondiales et les pays moins prospères. Les processus de ce type renforcent les institutions.
Une justice rendue pourrait, par exemple, permettre au Nigeria de progresser dans le classement de la compétitivité mondiale. Le sens du fair-play et de la transparence contribue également à la perception de l’État de droit par les investisseurs internationaux, qui sont devenus ces dernières années plus attentifs aux problèmes de gouvernance dans le cadre du passage à l’investissement durable qui prend en compte les paramètres ESG (Environnementaux, sociaux et de gouvernance). Le dernier de ces trois éléments est trop souvent négligé.
Enfin, comme les médias du monde entier se concentrent sur l’issue de l’affaire, il est plus probable que l’issue soit juste. On ne saurait sous-estimer l’effet des médias en tant que soutien institutionnel à la gouvernance, aux procédures régulières et aux efforts de transparence sur les marchés des capitaux.
@NA