La ZLECAf ouvre une nouvelle ère de possibilités

L’ambitieux pacte de libre-échange africain vise à transformer le continent en créant un marché unique de 1,3 milliard de personnes. Où en est ce projet encore mal connu ?
Le rapport PAFTRAC rendu public ce 21 novembre révèle que les patrons et cadres africains eux-mêmes méconnaissent les retombées attendues du libre-échange à l’africaine.
L’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est un pacte commercial ambitieux qui vise à transformer la position commerciale des pays africains en transformant le continent en la plus grande zone de libre-échange du monde. Lorsqu’il sera pleinement mis en œuvre, il créera un marché unique de biens et de services pour près de 1,3 milliard de personnes dans toute l’Afrique, avec un PIB combiné d’environ 3 400 milliards de dollars.
Au Rwanda, Igire Coffee, une société d’exportation détenue par des femmes et qui s’approvisionne auprès d’une coopérative de femmes productrices de café a été la première entreprise à exporter des marchandises à partir du pays.
La décision d’œuvrer à la création d’un marché continental des biens et des services a été prise par l’Union africaine en 2012. Les négociations pour La ZLECAf ont commencé en 2015 et l’accord a été signé par 44 des 55 États membres de l’Union africaine à Kigali, au Rwanda, le 21 mars 2018. Le seul pays qui n’a pas encore signé est l’Érythrée.
Selon Wamkele Mene, qui dirige Secrétariat de La ZLECAf – l’institution chargée de coordonner la mise en œuvre de l’accord – la ZLECAf offre à l’Afrique une « nouvelle occasion d’orienter ses relations économiques de manière qu’elles ne dépendent plus des donateurs extérieurs, des créanciers étrangers et d’une dépendance excessive à l’égard des produits de base, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle ère économique axée sur une coopération autonome, une intégration plus poussée et des niveaux plus élevés d’échanges commerciaux intra-africains ».
Dans un rapport de 2020, la Banque mondiale estimait que, dans le cadre de la ZLECAf, le volume des exportations totales augmenterait de près de 29 % par rapport au statu quo d’ici à 2035. Les exportations intracontinentales augmenteraient de plus de 81 %, tandis que les exportations vers les pays non africains augmenteraient de 19 %.
De nombreuses questions restent à résoudre
En mai 2019, le nombre d’États ayant ratifié le traité a dépassé le seuil de 20 requis pour son entrée en vigueur ; ce nombre s’élève désormais à 47. Cependant, alors que les échanges commerciaux dans le cadre de la ZLECAf ont officiellement débuté le 1er janvier 2021, le commerce réel n’a commencé que dans huit pays. La mise en œuvre est un processus continu et il faudra des années avant que cette ambition n’atteigne son plein potentiel.
Les négociations de la ZLECAf se sont déroulées en trois phases. La phase 1 s’est achevée avec la ratification de l’accord, qui était accompagné de protocoles sur le commerce des services et des marchandises et sur le règlement des différends. Cela a permis de jeter les bases du libre-échange, mais de nombreux détails doivent encore être réglés.
Par exemple, les pays se sont engagés à éliminer les droits de douane sur 97 % des biens et services produits, 90 % devant être éliminés en tranches égales sur cinq ans dans les économies les plus avancées et sur dix ans dans les économies moins développées. Les États doivent soumettre leurs propositions de listes de réduction tarifaire à la négociation, mais un certain nombre d’entre eux ne l’ont pas encore fait, y compris la plus grande économie d’Afrique, le Nigeria.
Les barrières non tarifaires (BNT), c’est-à-dire les obstacles au commerce qui prennent une forme autre que les droits de douane, sont interdites par la ZLECAf, mais leur suppression sera un processus de longue haleine. Les commerçants peuvent déposer des plaintes en ligne concernant les BNT auprès du mécanisme continental de lutte contre les barrières non tarifaires, qui les transmet ensuite aux fonctionnaires chargés de les éliminer, mais à ce jour, très peu de plaintes ont été déposées.
Les règles d’origine prévues par le protocole sur le commerce des biens et des services se sont également révélées être un point d’achoppement. Les réductions tarifaires ne s’appliquent qu’aux biens produits dans les États membres, mais des ambiguïtés apparaissent lorsque les produits contiennent des intrants provenant de pays non-membres de la ZLECAf. Certains pays, comme le Nigeria, ont adopté une position plus conservatrice sur ce point afin de protéger les industries naissantes, tandis que d’autres, comme l’île Maurice, qui pourrait tirer profit d’accords commerciaux avec la Chine sur le textile et l’habillement, cherchent à obtenir une interprétation plus libérale.
Les négociations de la phase 2 ont abouti à l’adoption de projets de protocoles sur les droits de propriété intellectuelle, l’investissement et la politique de concurrence, en février 2023. Le protocole sur la concurrence exigera de nombreux pays qu’ils adoptent des lois pour promouvoir une concurrence saine et sera supervisé par une autorité de la concurrence de la ZLECAf. Un autre protocole sur les femmes et les jeunes dans le commerce doit encore être négocié et abordera les obstacles spécifiques auxquels ces groupes sont confrontés par le biais d’engagements juridiquement contraignants.
Des échanges significatifs commencent
La phase 3 des négociations pour un protocole sur le commerce numérique est toujours en cours. Le secrétariat de La ZLECAf a récemment intégré les commentaires des parties étatiques et non étatiques dans un deuxième projet de protocole. Il contient des sections sur l’accès au marché des produits numériques, des cadres solides de gouvernance des données, et met l’accent sur l’inclusion numérique avec de nouveaux articles axés sur la sécurité en ligne, la promotion de l’entrepreneuriat numérique, et la volonté d’améliorer les compétences numériques.
En octobre 2022, l’initiative de commerce guidé a été lancée pour permettre un certain degré de libre-échange significatif entre les pays qui avaient satisfait aux exigences minimales et pour tester l’environnement opérationnel, institutionnel, juridique et de politique commerciale de La ZLECAf. Huit pays (Cameroun, Égypte, Ghana, Kenya, Maurice, Rwanda, Tanzanie et Tunisie) y participent. Le Nigeria devait adhérer en août 2023, mais au moment de la rédaction de ce rapport, il n’avait toujours pas satisfait à toutes les exigences.
Les patrons africains optimistes à l’égard de la ZLECAf
Parmi les autres évolutions importantes, on peut citer le lancement du système panafricain de paiement et de règlement en 2021, qui a contribué à simplifier les échanges transfrontaliers. Il s’agit d’une plateforme continentale de traitement, de compensation et de règlement des paiements intra-africains, conçue pour permettre aux particuliers, aux entreprises et aux gouvernements d’effectuer des paiements transfrontaliers instantanés dans plus de 40 monnaies africaines différentes, réduisant ainsi la nécessité de se procurer des dollars.
En mars 2023 a été lancé le Fonds d’ajustement de la ZLECAf, destiné à aider les pays africains et le secteur privé à s’adapter aux nouvelles conditions commerciales. Ce fonds de 10 milliards $ contribuera à atténuer les effets négatifs potentiels de la perte des recettes tarifaires et à combler les déficits d’infrastructure qui entravent la mise en œuvre de l’accord.
Impliquer le secteur privé
« Les étapes importantes franchies dans le cadre de la ZLECAf dans un laps de temps relativement court témoignent de la volonté politique, du pouvoir de la coopération et de la vision commune des dirigeants politiques africains », déclarait Wamkele Mene, secrétaire général de La ZLECAf, lors d’une réunion qui s’est tenue à Nairobi en mai.
Et il a également souligné que la ZLECAf ne serait pas couronnée de succès sans l’implication du secteur privé, dont on estime qu’il représente environ 80 % de la production et qu’il emploie 90 % de la population en âge de travailler. « Il est donc essentiel qu’il reçoive le soutien nécessaire pour qu’il puisse avoir un impact majeur sur la transformation du continent. »
Au Rwanda, Igire Coffee, une société d’exportation détenue par des femmes et qui s’approvisionne auprès d’une coopérative de femmes productrices de café a été la première entreprise à exporter des marchandises à partir du pays dans le cadre de l’initiative de commerce guidé.
La propriétaire de l’entreprise, Briggette Harrington, a reconnu quelques problèmes avec la certification, mais son entreprise a bien augmenté ses volumes commerciaux. « Il est certain que l’accord fonctionne ! », s’est-elle félicitée.
@AB