La liste grise du GAFI, un encouragement ou une sanction ?

Le Cameroun est placé par le Groupe d’action financière sur sa « liste grise » des pays qui ne satisfont pas pleinement ses critères en matière de transparence financière. Paradoxalement, l’organisme salue les progrès du pays contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Le GAFI (Groupe d’action financière) est un observatoire international de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’organisme, qui étudie la façon dont le terrorisme est financé et l’argent blanchi, élabore des normes et émet des recommandations – non contraignantes –, afin que les pays membres puissent prendre les mesures nécessaires et remédient aux défaillances relevées.
Pour l’heure, cette inscription sonne davantage comme un signal d’alerte, voire un encouragement à poursuivre l’effort. Le Cameroun n’est qu’au premier stade de la liste, qui n’est que « gris clair », en quelque sorte.
Le 23 juin 2023, le GAFI a inscrit le Cameroun sur sa « liste grise des pays sous surveillance renforcée ». Cette liste inclut des pays qui présentent des retards ou des déficiences dans leurs efforts de lutte contre le blanchiment d’argent ou la lutte contre le financement du terrorisme. Toutefois, ces pays ont pris l’engagement de collaborer avec le GAFI pour améliorer la situation. Tel est le cas par exemple de l’Afrique du Sud, du Burkina Faso, de la RD Congo, du Mali, du Mozambique, du Sénégal, du Soudan du Sud, et de l’Ouganda. Le Nigeria et le Yémen font aussi partie de la « liste grise » mais « ont choisi de différer leur déclaration », déplore le GAFI. On se souvient qu’en février 2023, le Maroc était sorti de la liste grise, après cinq ans d’efforts en matière de transparence financière. De son côté, la Russie est suspendue de l’organisme.
Pour les premiers pays nommés, reconnaît l’organisation, les juridictions faisant l’objet d’une surveillance renforcée « travaillent activement avec le GAFI pour remédier aux défaillances stratégiques de leurs régimes de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération ». D’ailleurs, lorsque le GAFI place une juridiction sous surveillance renforcée, cela signifie que « le pays s’est engagé à résoudre rapidement les défaillances stratégiques identifiées dans les délais convenus ». D’où le distinguo avec les pays qui eux, n’ont pas pris de tels engagements et que le GAFI place en « liste noire ». Cette dernière ne comporte que trois pays : l’Iran, la Corée du Nord et la Birmanie.
À part pour ces trois pays, donc, le GAFI n’appelle pas à des mesures de vigilance renforcée. « Les normes du GAFI n’envisagent pas de supprimer les risques ou d’exclure des catégories entières de clients, mais préconisent l’application d’une approche fondée sur le risque. »
Renforcer la surveillance
En juin 2023, explique l’organisme, le Cameroun a pris l’engagement politique de haut niveau de travailler avec le GAFI et les organismes équivalents. Depuis 2021, les autorités camerounaises ont progressé sur certaines des actions recommandées en augmentant les ressources consacrées aux contrôles et en renforçant la capacité des autorités d’enquête et des organes judiciaires à mener efficacement les affaires de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
Reste au pays à s’aligner sur les recommandations des institutions internationales et à contrôler la mise en œuvre de ses engagements. Le Cameroun, comme ses pairs, doit répondre aux mieux aux demandes de renseignements des institutions internationales, en hiérarchisant les priorités. Le pays doit « renforcer la surveillance des banques, fondée sur les risques, et mettre en œuvre une surveillance efficace pour les institutions financières non bancaires et les entreprises non financières ». Et plus généralement, faire preuve de bonne volonté en matière de lutte contre le blanchiment, en apportant les renseignements nécessaires et en décidant d’enquêtes et de sanctions, si nécessaire.

Concernant le pays d’Afrique centrale, cette inscription intervient dans un contexte particulier, relève le site Investir au Cameroun. Les revendications des régions anglophones sont soutenues par une grande partie de leur diaspora. Or, « certains membres ont été récemment condamnés aux États-Unis pour avoir apporté, depuis leur pays d’accueil, des concours financiers aux séparatistes », relève le magazine en ligne.
Fin 2022, l’ancien secrétaire permanent du Groupe d’actions contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (Gabac) avait averti de la prochaine décision du GAFI, indiquant que le Cameroun ne satisfaisait pas tous les critères requis. Le Cameroun fait partie des pays « particulièrement exposés à des risques de blanchiment des capitaux liés à l’intégration dans le système financier des produits issus de la corruption, des détournements de deniers publics, de la fraude douanière et fiscale, du braconnage, du trafic d’espèces fauniques et d’essences forestières protégées », pour reprendre les termes du GAFI détaillant son champ d’action.
Rendez-vous en octobre
Pour l’heure, cette inscription sonne davantage comme un signal d’alerte, voire un encouragement à poursuivre l’effort. Le Cameroun n’est qu’au premier stade de la liste, qui n’est que « gris clair », en quelque sorte. Aucune raison que les activités financières, commerciales, privées ou publiques en soient affectées ; aucune raison que les taux d’intérêt de la dette publique. Et aucune raison, si l’État joue le jeu de la bonne gouvernance, que le pays ne s’approche de la « liste noire ». Néanmoins, des institutions comme le FMI pourraient relever leurs niveaux d’exigences, lors de négociations d’une facilité de crédit ou d’un prêt à taux concessionnel, par exemple.
En octobre 2023, le GAFI tiendra sa prochaine séance plénière. L’organisme pourrait à cette occasion préciser son opinion sur le Cameroun et réviser sa « liste grise ». Et, s’inquiète-t-on déjà du côté de N’Djamena, y inclure des pays comme Tchad, qui partagent le même espace économique et la même législation que le Cameroun.
@AB