Investir pour une relance durable

Les pays et institutions africaines expriment des ambitions fortes d’industrialisation et de diversification stratégique pour leurs PME. Ils doivent encore convaincre les financiers internationaux de multiplier les facilités et de promouvoir l’investissement productif.
Par Nicolas Bouchet
« Nous demandons un New Deal pour le développement. » Si la formule n’est pas neuve, les participants de haut niveau à l’Africa Forum organisé par l’OCDE le 22 février 2021 n’ont pas manqué d’imagination pour délivrer des messages ambitieux et optimistes.
Le président sénégalais Macky Sall a donné le ton en affirmant : « Nous devons apprendre à vivre en présence du virus pour un temps indéterminé : faire le choix de la santé et de l’économie. » Le temps ne serait plus seulement à la gestion de la crise… mais toute vision du développement a un besoin urgent de soutien.
Les partenaires internationaux, pour répondre à de telles attentes, devront aller au-delà de la traditionnelle Aide publique au développement, « à réimaginer » selon Angel Gurria, secrétaire-général de l’OCDE, et dont les montants globaux plafonnent à 150 milliards $. « Rien en comparaison des trillions contre la Covid. »
En effet, les conclusions du rapport conjoint à l’Union africaine et à l’OCDE, « Dynamique de développement en Afrique », présenté à cette occasion, sont alarmantes. Le rapport projette pour au moins 22 pays africains une diminution du revenu national de 10% et une chute de l’épargne nationale de 18%, pour 2020.
Les envois de fonds, frappés par la crise économique auraient diminué de 9% et, bien pire, les IDE (investissements directs étrangers) auraient reculé de 40%. Au cœur des discussions du jour, les recettes intérieures sont en stagnation à un niveau de 16,8%, inférieur aux niveaux constatés en Amérique latine (22%) et bien en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE (33%). Réagissant énergiquement à ces perspectives, l’Afrique s’accroche à une vision d’elle-même bientôt industrialisée et numérisée.
La création d’emplois de qualité doit d’abord permettre d’« éviter une autre décennie perdue », juge Mario Pezzinni, directeur du Centre de développement, ce qui passe par une industrialisation soutenable et surtout inclusive. Cette dynamique, qui vise en priorité la jeunesse arrivant massivement sur le marché du travail, repose sur le développement d’« infrastructures créatrices d’emplois », notamment numériques.
Le FMI est de cet avis qui projette « des modèles de croissance intensifs en travail qui sortent les populations de la pauvreté » pour un continent qui contribuera en 2030 pour moitié à l’augmentation de la population active mondiale. Si l’épine dorsale de cette croissance s’appelle corridors géographiques, usines, aéroports et centrales, son cœur est fait de PME. Tidjane Thiam, envoyé spécial de l’UA, l’affirme : « le succès de l’économie dépend d’entreprises résidentes fortes. »
Des aides finalement peu coûteuses
Ainsi le Rwanda, représenté par la ministre du Commerce, Soraya Hakuziyaremye, entend-il soutenir ses entrepreneurs par la création d’un fonds doté de 200 millions de dollars « pour modérer l’impact de la pandémie et permettre à nos PME de s’adapter » au nouvel environnement mondial. Le projet d’un nouvel aéroport, le développement du e-commerce en partenariat avec Alibaba, poussé par le gouvernement, sont aussi là pour aider les exportateurs à se projeter.
Le pays se veut l’exemple d’une stratégie qui, au-delà de la pandémie, vise « des investissements stratégiques pour l’avenir de la croissance ». Au regard de ces buts, le soutien direct aux PME représente un « coût minimal en prêts et en dons », considère Bongiwe Kunene, de Banking Association South Africa. Pour tirer les leçons à long terme de la crise sanitaire, l’ambition est aussi de diversifier les économies et de les rendre moins dépendantes aux chocs externes sur les prix, en particulier ceux des matières premières.
Les pays veulent renforcer les secteurs qui seront gages de leur autonomie, à commencer par le pharmaceutique pour la santé, l’éducation pour le marché du travail, l’agriculture pour la sécurité alimentaire. Le secrétaire général de la ZLECAf, Wamkele Mene, demande l’assouplissement des contraintes de propriété intellectuelle pour rendre possible localement la production de médicaments génériques.
De son côté, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat rappelle « la situation intolérable » d’une Afrique qui importe encore 50 milliards de dollars de produits agricoles. Au vu de ces ambitions, les fonds utiles à gérer la crise sanitaire ne suffisent déjà plus.
Quid de la fiscalité ?
Les pays africains doivent être capables de mobiliser les ressources intérieures de leurs pays, à commencer par l’épargne, estimée à 700 milliards de dollars par Cheikh Kanté, représentant spécial du Sénégal engagé sur ce thème.

Si beaucoup d’espoirs reposent sur la Zone de libre-échange, entrée en vigueur le 1er janvier, l’accélération des échanges intra africains, qui représentent actuellement 15% des échanges totaux, prendra du temps. Le consensus de Dakar sert de référence à ces objectifs.
Négocié fin 2019 entre membres de l’Uemoa et institutions financières internationales, son application a souffert de la crise de la Covid-19 mais offre toujours des éléments clés sur la collecte de ressources et une fiscalité des échanges plus juste.
La fiscalité du commerce avec les pays occidentaux et asiatiques entrera donc en scène la première par la révision des codes miniers et pétroliers. Les pays qui ont signé la ZLECAf souhaitent que le produit des droits d’exploitation et d’importation des matières premières soit réparti plus justement en leur faveur, et que la transformation locale se développe.
Sur le plan intérieur, seul le Botswana aborde franchement la fiscalité domestique et annonce un relèvement de la TVA, des mesures plus strictes de contrôle et recouvrement, et l’introduction de taxes sur les carburants et sur la propriété immobilière. Les pays attendent en retour des efforts importants de la part des financeurs internationaux.