Vera Songwe : La diversification doit créer plus d’emplois

Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique, Vera Songwe s’implique dans les grandes problématiques du continent via cet outil d’études et d’aide à la décision. Elle nous fait pénétrer les coulisses de cette institution onusienne.
Entretien avec Hichem Ben Yaïche et Nicolas Bouchet
Le grand public connaît peu la Commission économique pour l’Afrique, cette instance des Nations unies. Pouvez-vous définir en deux mots sa mission ?
La mission de la CEA est de créer et d’innover pour aboutir à une Afrique prospère. Notre devise est Ideas for a Prosperous Africa.
Votre organisation est une sorte de « boîte à outils » pour les chefs d’Etat, africains notamment. Quels sont vos grands chantiers en matière de prospective, d’analyse et d’études ?
La CEA, ce sont cinq directions stratégiques qui créent et renforcent la capacité analytique de nos pays membres. Elles formulent aussi des cadres macroéconomiques pour la fiscalité, l’harmonisation des ressources, les questions sanitaires, l’éducation… Un troisième point est le financement innovant de ces politiques sur le continent, comme avec ce que nous appelons le blended financing. Nous allons vers le marché pour fédérer les fonds de pension.
L’intégration est le quatrième volet, qui passe évidemment par la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine), et concerne les infrastructures comme le projet de rail Dakar-Djibouti et les pools énergétiques. Ces politiques doivent intégrer la dimension de l’emploi, nécessaire à une Afrique prospère.
À la CEA, nous avons ouvert tout un monde de financements innovants pour le continent qui lui a permis de s’autonomiser. Nous avons traversé cinquante ans de dépendance politique et nous devons désormais atteindre l’indépendance économique. Celle-ci passe par une mobilisation des ressources internes continentales.
Enfin, nous menons un plaidoyer pour l’Afrique concernant le changement climatique, dont il faut financer l’impact, le genre, la paix, particulièrement au Sahel. Nous nous efforçons de mener ces cinq grands thèmes.
Concrètement, on voit que le choc de la pandémie continue à produire ses effets. L’Afrique compte environ 30 millions de vaccinés, bien en deçà de tous les objectifs. N’est-ce pas un vrai problème pour la reprise économique ?
Evidemment, cette reprise passe par la vaccination. Vous l’avez dit, ailleurs, beaucoup de pays approchent des 60% de vaccinés. En Afrique, cette part est de 2,1%. Les Africains ont décidé de prendre leur sort en main. L’équipe d’acquisition de vaccins pour l’Afrique, dont la CEA fait partie, a pu acquérir 400 millions de vaccins à dose unique Johnson & Johnson, avec des ressources africaines.
Nous regardons le reste du monde et disons que le problème de l’Afrique n’est pas celui des ressources mais du manque de vaccins disponibles à l’achat. Il faut augmenter la capacité de production des vaccins et nous y travaillons dans plusieurs pays dont le Rwanda, le Sénégal, l’Afrique du Sud, le Ghana, l’Égypte, le Kenya… Nous espérons atteindre une plus grande production d’ici à la fin de l’année et espérons atteindre les 800 millions de doses pour compter 60% de vaccinés sur le continent.
L’autre question fondamentale pour l’Afrique est la dette africaine. Comment la traiter aujourd’hui ?
Avant la crise, environ sept pays étaient déjà en état de crise de la dette. Le Soudan du Sud, l’Erythrée et le Zimbabwe étaient déjà en difficultés de paiements. Pour entrer dans une telle crise, il faut être incapable d’honorer ses obligations, ce pour quoi on a constaté une résilience des pays. Or on n’a pas vu de grands défauts de paiement.
Avec le G20, qui l’a proposé, nous avons créé un cadre pour la restructuration de la dette. Le Tchad, l’Ethiopie et la Zambie en ont demandé l’accès, d’autres pourront le faire. La dette n’est pas un problème structurel pour nos pays mais son coût en est un. Nous défendons l’idée que si nous pouvons réduire le coût de la dette de certains pays, la question de sa soutenabilité ne sera pas aussi aiguë.
Je donne pour cela l’exemple de la Grèce. Quand ce pays emprunte sur les marchés, il émet des bons du Trésor offrant une prime de 40 points de base. L’Égypte, l’Afrique du Sud ou le Ghana doivent offrir environ 600 points. Ils présentent bien sûr des facteurs de solidité macroéconomique qui créent l’écart du coût de la dette, mais il y a aussi la prime de liquidité. C’est-à-dire qu’une fois que la dette est émise, pouvons-nous la revendre, la recycler ? C’est impossible pour beaucoup de pays en développement qui ne disposent pas des institutions de recyclage des bons du Trésor et des obligations.
La CEA propose de créer de telles institutions en Afrique. Elles existent en Europe et gèrent 7 000 milliards de dollars de bons, aux États-Unis ce sont 26 000 milliards $. La question n’est pas de plaider une aide supplémentaire mais de dire que si nous voulons des marchés efficaces et fonctionnels et résoudre la question de la dette, nous devons conjuguer cela en réduisant le coût de la dette pour la rendre beaucoup plus abordable. Comme aux États-Unis, comme le fait la France, comme le fait la Grèce. La deuxième solution est celle de savoir comment les pays en développement peuvent mobiliser davantage leurs ressources internes. Aujourd’hui, en France, la fiscalité représente environ 40% du PIB, alors qu’en Afrique c’est 17%.
Vous soulevez là le problème de la fiscalité. En Afrique, ce sujet revient régulièrement mais n’est pas traité en profondeur, au détriment du développement.
Vous avez tout à fait raison. Une très grande partie de nos économies reste dans l’informel. Nous étudions, avec les NTIC, comment élargir le cadre de la fiscalité. Évidemment, la fiscalité est très liée au contrat social. Si l’on sait que payer des impôts apporte des services hospitaliers, de l’éducation, des routes bien faites et des téléphones qui fonctionnent, je crois que les gens seront plus amenés à les payer. Si cela n’est pas le cas ou s’il faut trois mois à un entrepreneur pour payer des impôts, on n’a pas le temps ! On n’arrive alors pas à élargir la fiscalité.
Se pose aussi la question de la diversification de nos économies. C’est pour cela que la ZLECAf est importante. Avec des économies plus diversifiées, nous créerons plus d’emplois et nous augmenterons les recettes fiscales. Nous sommes heureux que parmi notre plaidoyer, le G7 et le G20 aient repris la question des financements illicites. Nous le voyons, nous avons de nombreux problèmes posés par les industriels étrangers qui viennent en Afrique sans payer d’impôts. Nous souhaitons aussi travailler sur la question de la corruption du blanchiment d’argent.
Il demeure un handicap profond : l’Afrique est connectée à 17%. C’est un seuil extrêmement faible.
Les NTIC constituent évidemment un maillon important, nécessaire et essentiel du développement africain, surtout à la sortie de la crise de la Covid-19. Nous en avons vu toute l’importance pour 300 millions qui ont vu leur scolarité interrompue. Ceux qui ont accès à l’Internet ont pu continuer à suivre des cours sur un continent qui compte assez d’inégalités.