Stanislas Zeze : « Au final, c’est le marché qui nous juge »

Agence de notation africaine, Bloomfield Investment radiographie les économies et les entreprises. Un observatoire d’analyse des risques et des potentiels de l’Afrique. Son PDG, Stanislas Zeze, dévoile sa vision et ce qui le distingue de ses concurrents.
Propos recueillis par Hichem Ben Yaïche et Nicolas Bouchet
Les quatorze ans d’existence démontrent la solidité du modèle économique de Bloomfield. Quelle est la structure de votre entreprise et quel est son fonctionnement ?
Comme toutes les agences de notation financière, nous avons deux activités principales. Celle de la notation financière, qui évalue la qualité de crédit, c’est-à-dire la capacité et la volonté de faire face à leurs obligations financières à court, moyen et long terme des entités et des entreprises, des pays, ou des collectivités locales.
Son objectif est d’établir leur crédibilité et leur solvabilité. Celle de l’intelligence économique, qui met à disposition des investisseurs des informations pertinentes qui leur permettent d’avoir une visibilité sur l’environnement des affaires d’un pays ou d’un secteur d’activité donné.
Un seul marché, une seule monnaie, les mêmes politiques commerciales… seraient une aubaine. Évidemment, il faut des étapes pour y arriver mais il faut commencer sérieusement à agir, et rapidement.
Depuis quatorze ans, nous avons fait preuve de beaucoup de résilience, d’indépendance, de bonne performance et d’efficacité avec notre particularité. En effet, notre agence effectue ses notations en monnaie locale, même si nous établissons des équivalences en devises pour les entités qui ont des obligations financières étrangères.
Cette approche est complètement différente de celle des agences internationales, qui notent en devises. Notre objectif est de démontrer que la notation en monnaie locale permet d’établir la vraie qualité de crédit intrinsèque des entités notées. En effet, la richesse produite par ces entités est généralement établie dans leur propre monnaie.
Dans la logique de la notation financière en devise étrangère, le problème est qu’étant donné la faiblesse des réserves de devises de la grande majorité des pays Africains, leurs notes sont systématiquement spéculatives à cause du plafond souverain établi par les agences de notation internationales. L’objectif étant de démontrer leur capacité à faire face à leurs obligations financières en devises étrangères.
Cela dit, cela ne reflète pas forcément leur capacité à générer de la richesse, ou la performance de leurs économies. Nous considérons donc cette approche de notation financière en devises, pour les entités africaines, comme biaisée. Avec le temps, nous avons démontré que nous sommes sur la bonne voie et que nous permettons d’établir la véritable qualité de crédit des entités sur le continent.
Qui sont vos associés et vos partenaires ?
Notre entreprise est entièrement africaine. Tous nos partenaires et tous nos associés sont africains. Notre objectif était d’avoir une agence de notation financière qui appartienne à des Africains, avec une approche bien spécifique. Cela ne veut pas dire que nous faisons des compromis sur les standards d’évaluation.
Nous avons les mêmes méthodologies que toutes les agences du monde mais notre approche est un peu différente mais plutôt logique et appropriée. Elle consiste à dire que la richesse des pays est établie dans leur propre monnaie. Si vous considérez leur capacité à rembourser dans une monnaie qui n’est pas la leur et dans laquelle ils sont faibles, ils seront forcément mal notés.
Aujourd’hui, la majorité des pays que nous notons ont une note en une devise et une note en monnaie locale. Cela fait sens. Les entreprises qui empruntent essentiellement dans leur environnement monétaire n’ont pas besoin de notation en devises. Elles empruntent et elles remboursent en monnaie locale.
Comment éviter les pièges de la connivence et du parti pris dans la notation ?
Vous savez, on ne peut pas tricher dans la notation financière. À un moment donné, le marché comprendra que vous publiez des opinions farfelues. Au final, c’est lui qui vous juge. Si vous dites que quelqu’un a une capacité de remboursement très élevée que vous justifiez par écrit, c’est facile. Si en réalité cette personne a une qualité de crédit faible, cela se saura sur le marché. Vous perdrez alors votre crédibilité.
Nous sommes une agence assez sérieuse. Nous avons mis l’accent sur la qualité des analyses et des rapports, et l’indépendance de l’agence. Nous intervenons sur tout le continent africain et nous exportons notre expertise en Europe, notamment en France et en Angleterre.
Quelle est votre articulation avec les autres acteurs ?
Nous sommes agréés sur plusieurs marchés. Sur celui de l’UEMOA par son Autorité des marchés financiers, sur celui de la CEMAC, et au Rwanda. En ce moment, nous sommes dans un processus d’agrément européen. Ces agréments permettent à nos notes d’être reconnues.
Au-delà de ces agréments, nous avons une politique d’implantation sur le continent et en Europe qui s’affirme de plus en plus. Nous avons aujourd’hui plus de cent entités dans notre portefeuille, toutes catégories confondues : institutions financières, instruments financiers, entreprises industrielles et commerciales, entités publiques et collectivités locales, enfin les souverains.
Nous avons réalisé plus de 2 000 notations depuis que nous existons en raison de l’aspect récurrent de la notation financière. C’est un système assez solide.
Nous avons de très bonnes références de notation en provenance des pays de l’UEMOA, de la CEMAC, de l’Afrique de l’Est, d’Afrique australe et d’Europe. Nous sommes solidement implantés en Afrique et nous sommes en train de prendre une très grande part de marché sur le continent. Nous avons décidé de nous exporter sur le continent européen et à terme sur le continent américain.
Aujourd’hui, avec la pandémie, la donne a-t-elle changé ? Avec l’outil de la notation et du suivi, comment voyez-vous les éléments déstructurants de cette crise pour les entreprises et pour les émetteurs ?
En réalité, je crois que nous sommes dans une bonne période pour les agences de notation financière à cause de la crise économique postérieure à cette pandémie. Les pays africains, à quelques exceptions, ont montré une faible résilience vis-à-vis de cette crise sanitaire mondiale. Cela veut dire que le marché des capitaux va sûrement devoir se remettre en branle pour financer les économies africaines. Et il faudra montrer patte blanche pour pouvoir accéder à tous ces financements. La logique de la notation financière devient de plus en plus permanente sur le marché des capitaux en Afrique.
C’est aussi l’occasion pour les Africains de revoir leur modèle économique, qui s’est révélé moins résilient. Et certainement de commencer à mettre l’accent sur leur capacité à générer des revenus à travers le système fiscal. C’est-à-dire, élargir leur base fiscale pour avoir beaucoup plus de revenus, ce qui permettrait certainement de réduire la course à l’emprunt. L’endettement est un mécanisme nécessaire et important dans la gestion budgétaire d’un État mais ne devrait pas être sa principale source de revenus.
Quelles sont les projections possibles ?
Je crois qu’aujourd’hui c’est surtout le service de la dette, contrairement au stock, qui commence à poser un problème aux pays africains. Il y a aussi la forte exposition en devises qui devient inquiétante. Dans la plupart des pays africains, le service de la dette absorbe entre 60% et 80% des revenus fiscaux et douaniers. Les pays entrent ainsi dans un cercle vicieux où ils empruntent pour rembourser les emprunts déjà contractés, ce qui risque de devenir insoutenable à moyen et long terme.
Aujourd’hui, il est important que les pays africains revoient la manière dont ils s’endettent. Pour commencer, ils devraient favoriser l’endettement en monnaie locale donc travailler sur des réformes pour développer les marchés des capitaux locaux et régionaux et les rendre plus profonds. Deuxièmement, ils ne devraient emprunter que lorsque c’est nécessaire et pour des projets lucratifs. Emprunter pour investir dans du social non lucratif crée des dépenses supplémentaires.
3 Commentaires
Belle interview de M. Stanislas zézé.
Il est très important pour les pays africains de prendre réellement conscience des enjeux auxquels nous sommes confrontés et de passer maintenant à l’action.
Il paraît aujourd’hui indispensable d’élargir notre base fiscale et de diminuer les taux d’imposition cela pourrait contribuer non seulement à la création d’entreprise formelle, a la formalisation des activités informelles(vue qu’elles sont comprisent dans le calcul du PIB ) mais aussi à l’amélioration des recettes fiscales vecteur de financement locales
Interview pertinent notamment dans sa conclusion, avec les recommendations de l’expert aux Etats africains.
Merci et bravo au PDG du novateur Bloomfield Investment Co pour son indépendance et acuité de jugement.
J’ajouterais dans ce paradigme nouveau au-devant de nos pays, celui incident de la promotion de champions nationaux.
toujours un plaisir d’écouter ce Monsieur un véritable manager dans l’âme et dans l’esprit .
l’Afrique regorge tellement de valeur .