x
Close
Industrie

L’Ouganda transforme le jacquier en substitut de viande

L’Ouganda transforme le jacquier en substitut de viande
  • Publiémai 10, 2023

Dans sa quête d’expansion et de valorisation de ses produits agricoles, l’Ouganda voit une voie vers la prospérité. Visite d’une entreprise de transformation de fruits du jacquier qui approvisionne le marché mondial des substituts de viande.

 

Les bonnes affaires, explique le président ougandais Yoweri Museveni, assis sous un grand acajou et s’adressant à un groupe de journalistes lors d’une visite parrainée par le Royaume-Uni et les États-Unis, « nécessitent quatre facteurs de production : la terre, la main-d’œuvre, le capital et l’esprit d’entreprise. Le Royaume-Uni possède le capital et l’esprit d’entreprise, nous avons la terre et la main-d’œuvre ». Il s’exprime alors qu’une pénurie de légumes frais touche le Royaume-Uni. Yoweri Museveni affirme que les produits de l’Ouganda pourraient réapprovisionner les rayons.

L’Ouganda est confronté à des compromis entre son respect traditionnel de la terre et le développement des infrastructures pétrolières, notamment l’oléoduc entre l’Ouganda et la Tanzanie.

L’appel aux entreprises britanniques s’inscrit dans le cadre de la campagne menée par le gouvernement pour mieux faire connaître sa production agricole et stimuler les exportations vers les marchés occidentaux. Une nouvelle initiative du gouvernement, intitulée Comité consultatif présidentiel sur les exportations et le développement industriel (PACEID), a été lancée il y a un an. Composé et dirigé par le secteur privé, le PACEID souhaite transformer et améliorer le potentiel d’exportation de l’Ouganda. L’organisme s’est fixé l’objectif ambitieux de faire passer les recettes provenant des fruits et légumes de 45 millions de dollars actuellement à 197 millions $ d’ici à 2027.

Zahra est une entreprise créée en 2018, destinée à promouvoir les produits alimentaires à grande échelle et à contribuer à l’augmentation des recettes par leur transformation.

C’est l’une des rares entreprises ougandaises à être certifiée selon le système de gestion de la sécurité des denrées alimentaires de l’Organisation internationale de normalisation (ISO). Zahra transforme une gamme de fruits frais et secs, de noix, de thés, d’herbes et d’épices. Elle vend ses produits sous la marque Blossomz.

Les ananas et les mangues séchés ont commencé à garnir les rayons des supermarchés du Kenya et de l’Ouganda, et Zahra a conclu un accord exclusif avec Uganda Airlines pour la fourniture de noix et d’autres produits de grignotage. Mais le produit le plus innovant de Zahra est sans doute le jacquier séché. Bien que la vente et l’exportation de fruits du jacquier ne soient pas inhabituelles, la plupart des fruits du jacquier sont actuellement exportés sous forme de boîtes de conserve.

 

Des fruits énormes à la peau épineuse

Avec une durée de conservation de 18 mois, un kilo de jacquier séché peut produire 8 kilos de « viande » de jacquier. Actuellement, ce produit est principalement exporté vers les Pays-Bas.

Les jacquiers adultes sont courants en Ouganda et peuvent produire par an entre 200 et 500 de ces énormes fruits à la peau hérissée, pesant chacun entre 10 kg et 25 kg. Les arbres poussent dans la plupart des fermes et des jardins, chaque parcelle abritant trois ou quatre arbres.

Zahra envoie des chefs d’équipe dans tout le pays pour rencontrer les petits exploitants, collecter les fruits et utiliser une application pour enregistrer et peser les jacquiers avant de les rapporter à la base. Là, ils subissent un examen qualité et sont transformés, emballés et préparés pour l’exportation.

Des ouvriers traitent les fruits du jacquier dans l'usine de Zahra à Kampala.
Des ouvriers traitent les fruits du jacquier dans l’usine de Zahra à Kampala (photo Jamila Versi).

 

La chair fibreuse du jacquier a une texture semblable à celle de la viande. Elle absorbe facilement les saveurs, ce qui en fait un substitut idéal de la viande. Le jacquier a connu un essor mondial en tant qu’alternative au tofu et à d’autres substituts de viande. Il pousse naturellement et sa production ne nécessite pas de déforestation. Le jacquier, abondant en Ouganda, était peu commercialisé jusqu’à ce que des entreprises comme Zahra commencent à l’adapter au commerce international, apportant ainsi un revenu supplémentaire aux agriculteurs et aux ménages ruraux.

Un problème inhabituel peut toutefois entraîner des difficultés d’approvisionnement. Le fruit lui-même a une signification presque mythologique en Ouganda ; dans certains endroits, il est considéré comme quelque chose qui ne doit jamais être vendue. Certains considèrent le fruit comme une assurance alimentaire : « Même si vous ne gagnez pas d’argent, vous pouvez toujours manger votre fruit du jacquier », dit le proverbe. Il faut toujours en avoir assez pour en offrir à vos voisins.

La tradition autour du jacquier est si forte que Zahra a constaté, à plusieurs reprises, que les jacquiers collectés avaient été détruits par des agriculteurs en colère. Néanmoins, Zahra persiste. L’entreprise emploie 39 % de femmes et son fondateur, Quresh Fidahusein, indique qu’elle est en train d’installer certaines opérations dans des camps de réfugiés. L’Ouganda accueille plus de 1,5 million de réfugiés, à qui ce projet donnerait l’occasion de gagner des salaires durables et de s’engager dans l’économie locale.

 

Des produits qui ne s’envolent pas

L’ambition de Zahra est de promouvoir sa marque Blossomz non seulement dans les supermarchés d’Afrique de l’Est – où elle occupe déjà une niche – et d’étendre son empreinte sur le marché mondial, grâce à des produits tels que les samosas végétaliens, les boulettes de viande et les enveloppes de chapati « Rolex », l’un des en-cas préférés des Ougandais.

Cependant, Zahra, à l’instar d’autres producteurs de produits frais, doit faire face à un casse-tête. Certaines chaînes internationales de supermarchés, comme la chaîne néerlandaise Albert Hejn, ont déclaré qu’elles ne stockeraient plus les produits transportés par fret aérien à partir de juin 2023. Cela pose d’énormes problèmes à un pays enclavé comme l’Ouganda, malgré sa contribution négligeable au changement climatique mondial.

Zahra est également confrontée à la faiblesse endémique des infrastructures, aux coûts de transport élevés et aux réglementations incertaines. PACEID s’efforce de résoudre ces problèmes en fixant des objectifs d’exportation spécifiques, en développant des stratégies commerciales et des informations sur les marchés, et en veillant à ce que les producteurs respectent les exigences techniques et phytosanitaires des partenaires commerciaux.

Des contrôles de sécurité rigoureux sont effectués non seulement sur les sites de production, mais aussi à l’aéroport, qui a réorganisé ses installations de stockage et ses contrôles d’assurance qualité. Tout produit ne satisfaisant pas aux réglementations entraîne l’interdiction du producteur.

Les performances d’entreprises comme Zahra et le développement de cafés de spécialité à haute valeur ajoutée pourraient avoir un effet accélérateur et apporter une valeur ajoutée considérable au secteur agricole ougandais ; ce qui, à son tour, pourrait accroître la taille de la classe moyenne dans le pays. Le commerce est considéré comme une force stabilisatrice.

Interrogé sur l’impact que les instabilités régionales à l’est du Congo pourraient avoir sur les accords de la ZLECAf, Museveni répond que « la classe moyenne est la classe stabilisatrice » et affirme que son absence a alimenté l’instabilité. L’intensification des échanges commerciaux garantirait l’augmentation de la classe moyenne, ce qui renforcerait la stabilité.

Un représentant de Blossomz mesure un fruit du jacquier.
Un représentant de Blossomz mesure un fruit du jacquier (photo: Jamila Versi).

 

En outre, le libre-échange est considéré comme un outil essentiel pour lutter contre les insécurités régionales et pour forger l’avenir de l’Afrique. « L’Afrique a été brisée. Il faut trouver de la colle et assembler chaque pièce. Le meilleur outil pour recoller le verre brisé est la ZLECAf. Le commerce est le meilleur moyen d’y parvenir », déclare Odrek Rabwogo, conseiller présidentiel et chef de la commission PACEID. L’agriculture est au cœur de l’économie ougandaise, considère-t-il, et la protection des rivières et des terres sera essentielle pour son avenir.

Pourtant, le pays est confronté à des choix difficiles. La production commerciale de pétrole devant débuter en 2025, l’Ouganda est confronté à des compromis entre son respect traditionnel de la terre et le développement des infrastructures pétrolières, notamment l’oléoduc entre l’Ouganda et la Tanzanie. Les écologistes surveilleront de près l’impact sur les terres agricoles fertiles qui continuent à fournir une source de revenus vitale.

@AB

 

(Photo: Jamila Versi)

Écrit par
Jamila Versi

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *