La technique du dessalement de l’eau de mer, répandue en Afrique du Nord, est peu développée en Afrique subsaharienne. Le Sénégal et Djibouti ont des projets bien avancés, d’autres pays se lancent, en quête de partenariats.
Gourmand en capital et en énergie et difficile à rentabiliser sans hausse conséquente du tarif de l’eau facturée aux usagers – sauf à la subventionner largement –, les technologies de dessalement d’eau de mer restent encore largement hors de portée des pays en développement. D’ailleurs, les rares projets de grande envergure ayant été menés à bien en Afrique subsaharienne présentent un bilan en demi-teinte, constate une étude de Global Sovereign Advisory. La région compte toutefois quelques grands chantiers, financés par l’Aide au développement ou dans le cadre de PPP (partenariats public-privé).
La Mauritanie envisage depuis plusieurs années de lancer, en PPP, une gigantesque unité (jusqu’à 434 000 m3/jour) pour alimenter la capitale, Nouakchott, confrontée à des pénuries récurrentes.
Après la mise en service d’une centrale à Accra en 2015, puis à Djibouti en 2021, Dakar, Lomé, ou encore Le Cap misent à leur tour sur le dessalement pour garantir l’accès de leurs populations à une ressource vitale, dans un contexte de stress hydrique croissant qui met en péril leurs ressources conventionnelles. Des projets plus embryonnaires sont aussi à l’étude à Mombasa, Luanda ou encore Lagos, mais sont confrontés à de fortes difficultés de financement.
De leur côté, les pays nord-africains, y compris le Maroc, continuent d’investir fortement, pour pallier les pénuries. Les coûts d’investissement et d’exploitation, encore très importants, sont toutefois en baisse continue, et l’emploi des énergies renouvelables pour alimenter – au moins partiellement –, les stations de dessalement, devient envisageable.

Du côté du privé, des acteurs de premier plan, venus notamment du Golfe (ACWA Power, Metito, Wetico) ou d’Israël (IDE Technologies) se positionnent en Afrique, « nouvelle frontière du marché du dessalement ». Enfin, l’essor récent des micro-centrales, conteneurisées et alimentées par panneaux photovoltaïques, rend possible la production à très petite échelle d’eau potable dans les zones non raccordées aux réseaux d’électricité ou de distribution d’eau.
Plus récent chantier lancé, le projet de centrale de dessalement de Mamelles, à Dakar, a été attribué en juin 2022 par la Société nationale des eaux du Sénégal (SONES) à une société d’ingénierie japonaise, Nippon Koei, qui en a délégué la construction au français Eiffage, à l’indien VA Tech Wabag (en charge du traitement de l’eau) et au japonais Toyota Tsuho Corporation. Cette solution s’est imposée en raison des risques majeurs pesant sur l’approvisionnement en eau du triangle Dakar-Mbour-Thiès.
Les financements se font attendre
À Djibouti, le même constat a conduit à la construction, pour l’Office national de l’eau et de l’assainissement (Onead) de la centrale de Doraleh par Eiffage et Tedagua, inaugurée en 2021. Le pays, aride et dépendant de ses nappes phréatiques, se trouve depuis 1992 en situation de pénurie extrême. Les 22 500 m3/jour produits par l’usine de Doraleh auront donc un impact significatif sur la sécurité de l’eau de la ville, tout en diminuant sa dépendance vis-à-vis de l’Éthiopie – et de son créancier chinois.
À Dakar comme à Djibouti, les projets n’ont été rendus possibles que par l’engagement financier massif d’institutions d’aide au développement. Au Sénégal, la JICA qui finance la quasi-totalité du chantier, par le biais d’un prêt concessionnel d’environ 205 millions d’euros, au taux de 0,7% échelonné sur trente ans, et un délai de grâce de dix ans. À Djibouti, le Fonds européen de développement de l’Union européenne a contribué à hauteur de 73 millions d’euros, contre 5,5 millions d’euros pour l’État djiboutien.
Ailleurs en Afrique subsaharienne, les projets en cours peinent à trouver les fonds nécessaires. Au Kenya, l’accord signé en 2019 entre la Mombasa County Authority et Almar Water Solutions pour la construction d’une centrale de 100 000 m3/jour reste lettre morte, faute de l’obtention des 200 millions de dollars nécessaires à sa réalisation. Juste au sud de Mombasa, Aqua Swiss fait face au même problème pour son contrat de Likoni (30 000 m3/jour), lui aussi paraphé en 2019.

Au Nigeria, l’agglomération de Lagos est une candidate « naturelle » à la réalisation de centrales de dessalement : moins de 40% de ses plus de 22 millions d’habitants avaient accès à l’eau en 2021. La croissance explosive de la plus grande mégalopole d’Afrique a conduit à la surexploitation de ses aquifères, et les lagunes qui l’entourent sont partiellement saumâtres – moins chères à dessaler que l’eau de mer.
Malgré ces défis financiers, plusieurs nouveaux projets de grande envergure sont annoncés sur le continent. Sans attendre la livraison de la centrale de Mamelles, Dakar envisage déjà la construction d’une seconde unité, quatre fois plus grande (200 000 m3/jour), en PPP. Son projet pourrait être concomitant à la réalisation, par ACWA Power, d’une centrale électrique alimentée au gaz, issu de la mise en production des champs offshore de Grand-Tortue- Ahmeyim.
Un projet indispensable à Nouakchott
De son côté, le Togo a signé en avril 2022 un protocole d’accord avec AMEA Power pour la construction d’une centrale de 100 000 m3/jour à quelques kilomètres à l’est de Lomé. Le groupe émirati, qui n’a aucune référence dans le dessalement, compte financer 20% de l’investissement nécessaire – 180 millions de dollars au total.
AMEA Power négocie actuellement le contrat d’achat d’eau avec la Togolaise des eaux et espère boucler le financement en novembre 2023, pour une mise en service deux ans plus tard.
En Namibie, le ministère de l’eau et de l’agriculture et le service public des eaux NamWater ont validé en 2022 le principe d’un PPP pour construire une seconde centrale de dessalement (70 000 m3/jour, estimée à 165 millions $), après avoir renoncé à racheter celle construite en 2010 à Erongo pour alimenter la mine d’uranium d’Orano, qui alimente désormais d’autres sites miniers ainsi que la ville de Swakopmund.
Enfin, la Mauritanie envisage depuis plusieurs années de lancer, en PPP, une gigantesque unité (jusqu’à 434 000 m3/jour) pour alimenter la capitale, Nouakchott, confrontée à des pénuries récurrentes. Le projet – évalué à 3,6 milliards $ –, fait l’objet d’une concurrence diplomatique entre le Maroc et l’Algérie.
Reste la délicate question de l’alimentation en énergie de ces centrales. Les États comme les opérateurs explorent la possibilité d’alimenter les centrales à partir d’énergies renouvelables, en particulier le photovoltaïque et l’éolien.
Toutefois, la nature intermittente des énergies éolienne et solaire rend l’alimentation à 100% de centrales de dessalement pratiquement impossible. En effet, les usines de dessalement sont conçues pour tourner en permanence, l’emploi discontinu provoquant une usure accélérée des systèmes. Dans les faits, donc, les grandes centrales, qui consomment plusieurs dizaines de MW, doivent nécessairement être raccordées au réseau électrique haute tension. L’énergie renouvelable permettra toutefois de faire baisser le coût moyen de production.
@AB