Les promesses de l’hydrogène vert

Extraire, par énergie renouvelable, l’hydrogène de l’eau, permet de trouver une source d’énergie plus puissante et de produire localement de l’ammoniac utilisé dans les engrais. L’économie circulaire semble le modèle économique le mieux adapté, jugent les experts.
Les Tables rondes de l’Arbois et de la Méditerranée deviennent, d’année en année, un rendez-vous majeur de la recherche scientifique. Cette année, elles avaient pour thème « Hydrogène demain, mythe ou réalité », en partenariat avec le Centre français de la recherche scientifique (CNRS) et l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P).
La question n’est pas anodine : alors que la presse scientifique ou économique vante les mérites de l’« hydrogène vert », des initiatives de tel ou tel pays ou de tel ou tel groupe industriel, il n’est pas inutile de s’interroger sur faisabilité et la rentabilité de ces innovations. Séparer H2O en deux n’est pas une mince affaire, surtout à l’échelle industrielle. Et surtout quand la technique vise aussi – et surtout – à alimenter en énergie l’industrie des engrais et autres intrants agricoles.
« C’est un concept très complexe. Pour simplifier, la santé est quelque chose de vivant. Si nous voulons que les sols restent vivants, nous avons besoin de nutriments, en quantité adéquate. »
Intervenant lors d’une table ronde, Leonardus Vergutz est directeur de l’Innovation au sein du groupe OCP et est responsable de la chaire de Science des sols de l’UM6P.
Il établit d’abord un constat : l’agriculture l’« un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre ». Or, en Afrique, près de la moitié de ces émissions provient du changement d’affectation des terres dû à la déforestation. « Nous avons donc besoin de plus en plus de terres pour produire plus de nourriture », tandis que les terres prises à la forêt ne sont pas très productives.

De son côté, la production d’ammoniac, composant essentielle des engrais, est, selon les méthodes traditionnelles, une des plus grandes consommatrices d’énergie au monde ; environ 2 % l’énergie mondiale. De plus, une fois les engrais azotés utilisés, ils retournent dans l’environnement et causent et augmentent les gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ce qui accroît l’effet de réchauffement.
Ainsi, résume l’expert, lorsque nous prenons tous ces éléments en considération, « nous commençons à voir que l’agriculture fait désormais partie du problème plus général du changement climatique ». Pourtant, juge-t-il, l’agriculture peut – et doit – cesser d’être une partie du problème pour devenir une partie de la solution.
Une réponse à la pauvreté des sols
Ces solutions sont communes aux défis de l’énergie et à ceux de l’agriculture. Cela commence par la production d’électricité verte, d’énergie verte permettant de produire davantage d’engrais azotés verts, réduisant ainsi l’empreinte carbone liée à la production de ces engrais.
Une vision approfondie par Abdessamad El Faik, directeur de LIMSET, le Laboratoire de matériaux inorganiques pour les technologies d’énergie durable de l’UM6P. « Nous pouvons produire de l’ammoniac avec des procédés complètement neufs ! », confirme-t-il. En effet, pour produire l’« ammoniac vert », on a besoin seulement d’eau de mer, d’air (azote) et d’énergie ; laquelle se doit d’être « propre », bien sûr. Pour réaliser la synthèse, il faut donc des unités de dessalement, des électrolyseurs, de l’énergie verte, des unités de séparation de l’air pour produire l’azote, et bien sûr des unités de stockage pour l’azote et l’hydrogène.
Chaque étape du processus est bien connue, mais la difficulté est d’intégrer le tout. Par exemple, les usines de dessalement peuvent travailler en continu, mais pas les électrolyseurs, car l’énergie solaire est intermittente. D’où les projets parallèles d’énergies renouvelables.
À horizon 2027, le groupe OCP s’est engagé à produire 1 million de tonnes de cet ammoniac vert et 3 millions en 2032. De son côté, l’UM6P conçoit les modèles de simulation qui permettront d’anticiper une production partout dans le monde, en fonction des besoins spécifiques, des paramètres météos, de la géographie des régions, etc. Il est nécessaire, comme dans chaque processus industriel, d’étudier la résistance et la durée de vie de chaque composant.
Ces solutions vont de pair avec la lutte contre la déforestation, en particulier dans les conditions tropicales ; « ces sols tropicaux que l’on trouve principalement en Afrique, ainsi qu’en Amérique du Sud et en Asie, sont très pauvres », rappelle Leonardus Vergutz. Dans ces conditions, un cercle vicieux s’enclenche, marqué par une faible productivité de l’utilisation de la biomasse, les agriculteurs produisant également de la nourriture dans un sol très appauvri, avec peu d’eau, peu de pluie ; et la prochaine fois, ils produiront à nouveau un sol encore plus appauvri. Ils continueront à exploiter ces sols pendant quelques années, jusqu’à ce qu’ils épuisent la terre et aillent en chercher ailleurs.
L’agriculture est une solution
« Pour y remédier, nous devons donc briser ce cercle vicieux », martèle l’expert de l’OCP. Pour cela, la production d’engrais azotés verts, mais aussi l’eau douce, sont des éléments essentiels à l’amélioration de la productivité, condition de la reforestation.
Dans ces conditions, l’hydrogène est une source d’énergie très importante pour que les agriculteurs puissent produire de l’eau de qualité, afin d’améliorer les rendements.
C’est pourquoi l’hydrogène vert « fait passer l’agriculture du statut de partie du problème à celui de partie de la solution ». L’hydrogène vert réduit l’empreinte carbone de la chaîne alimentaire, des transports, de la production d’autres composants comme l’azote ; mais pour relier ces points, il faut aussi apporter de l’eau.
De son côté, l’utilisation de l’azote génère beaucoup d’oxyde de nitrate, et qui retourne ensuite dans l’atmosphère. « C’est pourquoi, à l’OCP, nous travaillons non seulement à la décarbonisation pour apporter de l’hydrogène vert, mais aussi à l’ensemble de la chaîne de valeur, en changeant la façon dont nous nourrissons les sols et les plantes pour connecter la complexité » du processus chimique.
« Une fois que nous avons décarbonisé les intrants, nous travaillons également à supprimer plus de carbone » Par exemple, OCP œuvre à l’amélioration de la santé des sols, en apportant des solutions qui permettent de nourrir les micro-organismes contenus dans les sols et ainsi enrichir la terre tout en laissant le carbone dans la terre. Charge ensuite aux plantes de faire leur travail de dissolution du carbone…
Voilà qui justifie la stratégie orientée vers l’« ammoniac vert ». « Nous devons donc nous efforcer d’avoir de plus en plus de légumineuses et de végétation pour utiliser les engrais azotés de la bonne manière afin de nourrir les plantes sur la base des micro-organismes contenus dans le sol. Ce sont donc des alliés de taille pour nous aider à décarbonner notre agriculture tout en fixant l’azote de la bonne manière, selon l’équilibre dont les plantes ont besoin. » Une technique à la portée des agriculteurs africains, la production nécessaire d’azote peut se faire localement.
La dessalinisation, un procédé peu coûteux
Le « cercle vicieux » devient vertueux : préserver les sols permet aussi de mieux utiliser l’eau, d’assurer la sécurité alimentaire, et aussi atténuer le changement climatique. Pour l’heure, l’utilisation d’eau salée est l’une des principales causes de la perte des sols. Nous perdons les sols non seulement par érosion, mais aussi en les rendant de plus en plus salins. C’est aussi pourquoi OCP se lance dans la dessalinisation d’eau de mer, afin d’apporter de l’eau de qualité aux agriculteurs.

Évoquant la dessalinisation, réputée gourmande en énergie, Abdessamad El Faik (UM6P) revient sur les innovations récentes. Ainsi, la technologie la plus avancée, baptisée « osmose inverse », permet de produire de l’hydrogène pour un coût de 1,5 à 3 dollars par kilogramme. Or, la contribution du dessalement à ce coût est de l’ordre de 0,01 dollar par kg ! Voilà pourquoi la technologie du dessalement aura, selon lui, « un grand impact », notamment en Afrique. Des unités serviront conjointement à la production d’ammoniac vert et à la production d’eau douce pour les communautés locales et l’agriculture. Le gain est à la fois industriel et social, donc.
Afin de réduire les coûts, il faut avoir dans le même site la production d’hydrogène et d’ammoniac, précise Abdessamad El Faik. Pur, ce produit ne peut pas être utilisé comme fertilisant, il faut d’autres composants dans des usines de fertilisant, ce qui suppose une logistique de transport vers ces unités de production. C’est pourquoi les sites industriels doivent être proches des ports, notamment.
Interrogé sur l’utilisation de l’énergie solaire dans la région sahélienne, où les sols se dégradent rapidement, Leonardus Vergutz, de l’OCP, explique qu’une partie de ces sols doit être utilisée à la pose de panneaux solaires pour produire l’énergie nécessaire au dessalement de l’eau. « Le modèle que nous essayons de mettre en place vise à modifier l’agriculture de manière qu’elle s’adapte à toutes les conditions. » Bien sûr, « ce n’est probablement pas la solution pour tous les endroits », reconnaît-il, conscient des surfaces prises par des panneaux solaires.
Et encore, révèle-t-il, il est désormais possible de combiner, au même endroit, panneaux solaires et plantations ! De nouveaux panneaux solaires captent une partie de la lumière pour produire de l’énergie et laissent la lumière photosynthétique traverser, pour lui permettre d’atteindre la plante et pour qu’elle puisse continuer à produire. « C’est l’une des meilleures solutions que nous puissions avoir dans les régions où le manque d’eau et l’excès de lumière constituent un problème majeur. »
Une économie circulaire
Une réponse aux défis démographiques de l’Afrique, considère l’ingénieur. Résumant sa logique : « Nous ne devons pas seulement nourrir les plantes, les micro-organismes, mais aussi la santé des sols. C’est un concept très complexe. Pour simplifier, la santé est quelque chose de vivant. Si nous voulons que les sols restent vivants, nous avons besoin de nutriments, en quantité adéquate. » Ainsi, en apportant la bonne quantité de nutriments, l’agriculture pourra combler de nouvelles lacunes qu’ils utiliseront. « Si nous maintenons le statu quo, la plupart des pays d’Afrique utiliseront, d’ici à 2050, 250 % de terres en plus qu’aujourd’hui ! »
Une fois trouvée l’harmonie entre zones cultivables et forêts tropicales, celles-ci pourront être utilisées pour la bioéconomie, l’extraction de produits pharmaceutiques, de nouveaux micro-organismes bio-bactériens que les agro-industriels pourront utiliser ailleurs. « Nous pouvons même laisser la terre se régénérer pour fixer davantage de carbone. C’est en apportant la bonne quantité d’intrants, en particulier en Afrique, que nous pourrons alimenter cette superéconomie du carbone », explique le responsable de l’OCP.
Le groupe marocain, d’ailleurs, travaille sur ce sujet. « Nous établissons des cartes des sols, afin de comprendre ce dont ils ont besoin pour permettre aux plantes de pousser. Nous développons également de nouveaux systèmes agricoles. » Une science toujours en mouvement…
@AB