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Industrie

Eau : quelle place pour les entreprises privées ?

Eau : quelle place pour les entreprises privées ?
  • Publiémars 29, 2023

Le potentiel d’investissement du secteur privé dans le domaine de l’eau est énorme, mais le sujet reste controversé dans le monde entier.

 

Des infrastructures obsolètes et surchargées, souvent gérées par des entreprises publiques en difficulté, ont conduit à un accès coûteux et peu fiable à l’eau dans de nombreuses villes du continent. Il s’agit non seulement de remédier aux pénuries d’eau dans les zones de sécheresse et de catastrophe climatique, mais aussi d’établir des normes d’accès à l’eau plus élevées dans les villes.

Jusqu’à présent, secteur privé s’est très peu engagé dans le domaine de l’eau dans le continent. Les gouvernements africains ont généralement pris le contrôle total du secteur, gérant la ressource comme un bien public.

Rami Ghandour, directeur général de Metito, la société de distribution d’eau basée aux Émirats arabes unis et présente en Afrique, estime que les services publics ont eu un effet globalement négatif sur le secteur. Selon lui, ce système freine les investissements cruciaux.

« Les gouvernements peuvent tirer des avantages considérables s’ils ouvrent le secteur aux investissements privés et créent les cadres juridiques et réglementaires. Dans le même temps, il est important de rendre le secteur financièrement viable tout en préservant le caractère abordable pour l’utilisateur final. »

« Les autorités chargées de l’eau dans de nombreux pays du continent perdent des sommes considérables. Par conséquent, elles ne sont pas en mesure de mettre en œuvre des projets sur une base durable. Mais les gens ont quand même besoin d’eau, et ce que vous obtenez, c’est que les gens utilisent des solutions de réservoirs qui sont souvent 20 à 30 fois plus chères que les solutions municipales correctement étudiées et mises en œuvre. On a la fausse impression que les tarifs fortement subventionnés profitent à la population alors qu’en réalité, ils empêchent la réalisation de projets viables et obligent les citoyens à trouver des solutions alternatives. »

Metito et British International Investment, institution britannique de financement du développement et investisseur d’impact, viennent de lancer leur nouvelle société Africa, Water Infrastructure Development, AWID , une plateforme inédite pour développer à grande échelle des projets d’eau intelligents face au climat et accroître la sécurité de l’eau dans toute l’Afrique.

Une manière de pallier que Rami Ghandour appelle l’« eau non génératrice de revenus » : l’eau qui est illégalement siphonnée des canalisations ou perdue en raison de fuites. Dans les cas extrêmes, jusqu’à 90 % de l’approvisionnement en eau peut être perdu dans certaines métropoles africaines. Il est donc beaucoup plus difficile pour le secteur privé de réaliser des bénéfices et cela crée un grand obstacle à l’investissement.

Selon les données collectées par la Banque mondiale et le Public-Private Infrastructure Advisory Facility (PPIAF), il n’y a eu que 51 partenariats public-privé (PPP) dans le secteur de l’eau et de l’assainissement en Afrique entre 1992 et 2012.

 

L’exemple du Rwanda

Malgré ces difficultés, Rami Ghandour estime que le secteur privé dispose d’un potentiel considérable, notamment en matière de PPP. Il cite celui conclut pour l’approvisionnement en eau de Kigali au Rwanda. En 2010, la croissance rapide de la population de Kigali exerçait une pression extrême sur l’infrastructure de l’eau. Le gouvernement s’est fixé pour objectif d’atteindre une couverture en eau de 100 % en 2018 et a fait appel à la Société financière internationale (SFI) pour l’aider à mettre en place un PPP.

En 2015, Metito a remporté une concession de 27 ans avec le gouvernement pour développer, exploiter et entretenir une usine de traitement de l’eau et trois réservoirs qui pourraient fournir 40 millions de litres d’eau propre chaque jour à 500 000 personnes. L’unique prestataire du projet était la société nationale des eaux, la Water and Sanitation Corporation.

Le projet de 60,8 millions $ a été financé principalement par l’Emerging Africa Infrastructure Fund (EAIF), une société gérée par le Private Infrastructure Development Group (PIDG), une organisation financière financée par les gouvernements du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Suisse, de l’Australie, de la Suède et de l’Allemagne, et par la SFI. L’EAIF a fourni 20,6 millions $ en dettes.

« Ce projet a démarré ses activités il y a un peu moins de deux ans et il fonctionne très bien depuis lors », déclare Rami Ghandour. « C’est un modèle économique pour l’Afrique, en matière d’implication du secteur privé dans le secteur de l’eau. La plupart des projets qui arrivent sur le marché sont financés par des fonds publics. »

Le succès du projet devrait ouvrir la voie à d’autres PPP en Afrique. La plupart des projets de Metito se déroulent en Afrique du Nord, principalement en Égypte, mais l’accent est mis sur les PPP en Afrique subsaharienne depuis le projet de Kigali. En 2021, le gouvernement du Botswana a fait appel à la SFI pour créer un PPP de type rwandais transformant les eaux usées en eau potable à Gaborone. Le PPP d’assainissement de Glen Valley, d’un montant de 100 millions de dollars, vise à créer 140 millions de litres d’eau potable par jour en combinant une usine de traitement des eaux usées et une usine de réutilisation.

« La structure juridique et financière est très similaire à celle du Rwanda », explique Sami Ghandour. Mis à part le Botswana, le marché est encore inexploité à 99 %, ce qui représente d’énormes opportunités pour les entreprises internationales du secteur de l’eau. Avec Metito, les entreprises françaises et chinoises sont les plus actives dans le secteur de l’eau en Afrique.

 

Controverses

Le rôle des entreprises privées dans l’approvisionnement en eau est controversé dans le monde entier. Les critiques affirment que l’implication du secteur privé peut entraîner une hausse des tarifs, l’émergence de monopoles et l’enrichissement des entreprises au détriment du bien public. Les mouvements anti-privatisation soutiennent que la fourniture publique est le modèle le plus adéquat pour la réalisation du droit humain d’accès à l’eau et à l’assainissement.

En 2020, Léo Heller, alors rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, a présenté un rapport dans lequel il recommandait que « les États, lorsqu’ils adoptent une législation autorisant la privatisation, déclarent explicitement que l’eau et l’assainissement sont des droits de l’homme, établissent que les prestataires privés doivent respecter le même niveau d’obligations que les prestataires publics et définissent qu’une évaluation des droits de l’homme doit précéder la décision de privatiser ou non les services ».

L’évaluation doit étudier les alternatives disponibles avant que les États n’optent pour la privatisation, indique le rapport.

En 2005, un projet phare de privatisation de l’eau en Tanzanie s’est effondré lorsque le gouvernement a annulé son contrat avec l’entreprise britannique Biwater, qui était chargée d’approvisionner en eau potable la capitale, Dar es Salaam, et la région environnante dans un délai de cinq ans, en installant de nouvelles canalisations. Le gouvernement a déclaré que le projet de 140 millions $ financé par la Banque mondiale n’« avait pas réussi à produire les bienfaits escomptés ».

La plateforme AWID a été créée le 15 mars 2023 par un accord entre Metito et British International Investment.
La plateforme AWID a été créée le 15 mars 2023 par un accord entre Metito et British International Investment.

 

Tous les gouvernements ne sont pas convaincus de la participation du secteur privé. Martijn Proos est directeur de la société Ninety One, qui est le gestionnaire du fonds EAIF. Selon lui, l’un des principaux obstacles aux PPP dans le secteur de l’eau en Afrique tient dans l’impulsion des gouvernements. Si celui du Rwanda n’avait pas fait les premiers pas il y a plus de dix ans, le projet de distribution d’eau de Kigali n’aurait pas été possible.

« Les gouvernements peuvent tirer des avantages considérables s’ils ouvrent le secteur aux investissements privés et créent les cadres juridiques et réglementaires. Dans le même temps, il est important de rendre le secteur financièrement viable tout en préservant le caractère abordable pour l’utilisateur final. »

 

Avantages à long terme

Martijn Proos estime qu’à terme, la participation du secteur privé sera un élément essentiel pour combler le déficit de l’offre d’infrastructures. Il compare cela au secteur de l’électricité, qui était auparavant presque entièrement dominé par les gouvernements.

« Il y a vingt ans, le secteur de l’électricité était principalement dirigé par des entreprises publiques », explique Martijn Proos. « Il n’y avait pratiquement aucun producteur d’électricité indépendant (IPP) sur le continent. Aujourd’hui, le secteur des IPP s’est considérablement développé et le déficit d’approvisionnement en électricité a été comblé dans de nombreuses régions d’Afrique. De nombreux pays ont suivi un modèle qui a été lancé en Côte d’Ivoire et au Kenya, entre autres. Je pense que nous verrons une tendance similaire dans le secteur de l’eau. Parfois, il est considéré comme un peu audacieux de faire le premier pas pour faire participer le secteur privé. Mais vous pouvez constater que les avantages sont énormes à long terme. »

D’ailleurs, l’EAIF cherche à augmenter le nombre de projets dans le domaine de l’eau, suivant l’exemple de Kigali.

@AB

 

Écrit par
Tom Collins

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