Gilbert Houngbo élu à la tête de l’OIT

Le Togolais Gilbert Houngbo a été élu directeur général de l’Organisation internationale du travail, ce 25 mars 2022. Il a obtenu dès le deuxième tour qui opposait quatre candidats, 30 voix sur 56 votants, contre 23 voix à Muriel Pénicaud, ancienne ministre française du Travail. Le président du FIDA sera le 11e dirigeant de l’OIT, et le premier Africain. Il prendra ses fonctions en octobre. Récemment, il nous présentait sa vision d’une nouvelle mondialisation dans la période qui s’ouvre.
Tribune rédigée par Gilbert Houngbo, en janvier 2022
La crise de la Covid-19 entraîne des perturbations sociales qui, si elles ne sont pas abordées à travers un effort multilatéral renouvelé, engendreront dans les années à venir des conséquences majeures pour l’économie et la société.
Les tendances observées antérieurement se sont aggravées, notamment en ce qui concerne les inégalités de revenus. C’est ainsi que les recherches de l’Organisation internationale du travail (OIT) montrent que les populations les plus vulnérables ont été touchées de manière disproportionnée, en matière de pertes d’emploi ou de baisse des revenus, tandis que celles à revenus élevés ont continué de prospérer.
Ce grand fossé mine le contrat social et complique la tâche aux décideurs politiques lorsqu’il s’agit de relever les principaux défis, dont, en premier lieu, la dégradation de l’environnement qui appelle urgemment, inlassablement, à la réduction des émissions de carbone si vitale pour la survie de l’humanité.
Ce que l’on remarque le moins, c’est que la pandémie a annihilé certains des acquis antérieurs ; en particulier le processus de rattrapage des pays en développement semble s’être arrêté. Pour la première fois depuis le début du siècle, le revenu moyen par habitant des pays en développement, pris dans leur ensemble, a diminué par rapport aux économies avancées au cours de la période 2020-2021.
Tel est le constat des Perspectives économiques du FMI, qui montrent que l’Afrique et une grande partie de l’Asie en développement, à l’exception de la Chine, ont fait un bond en arrière de quinze ans, l’Amérique latine de 17 ans et le monde arabe de quasiment deux décennies.
L’accès inégal aux vaccins et aux traitements médicaux contre le virus représente, bien évidemment, un frein majeur. Or, ce n’est pas tout : les pays à faible revenus ne disposent pas de l’espace fiscal nécessaire pour engager le type de programmes de protection sociale et de d’emploi qui, ailleurs, ont permis d’amortir les effets de la crise sur les niveaux de vie.
Il en résulte des niveaux de pauvreté plus élevés et une précarité croissante de l’emploi, ainsi qu’une vulnérabilité macroéconomique majeure pour le monde. Ce fait est tout aussi important que la question vaccinale.
Le grand fossé
L’évolution la plus critique est probablement le sentiment de gâchis des nombreuses possibilités offertes par les nouvelles technologies et la mondialisation – ces grands moteurs de changement –, qui, pour la plupart des personnes, ne répondent pas à leurs besoins.
Lorsqu’elles existent, les enquêtes révèlent une large perception selon laquelle les nouvelles générations mèneront une vie plus difficile que celle leurs parents ; une tendance qui s’est accentuée par rapport à l’ère pré-Covid.
Ce sentiment d’insécurité s’est répandu en raison de la situation sanitaire. C’est ainsi que, selon une enquête Gallup, la proportion de travailleurs se préoccupant de leur avenir a augmenté de manière quasi ininterrompue au cours de la dernière décennie pour atteindre 40% en 2020 ; bien entendu des tendances structurelles sont également à l’œuvre.
Les vagues successives de la Covid-19, imposant des confinements et des restrictions à la libre circulation des personnes, ont eu un impact disproportionné sur les possibilités de formations des populations à faibles revenus.
Le fait que les jeunes soient entrés sur le marché du travail en cette période difficile est une autre préoccupation majeure.

Enfin, les perspectives d’élimination des multiples obstacles qui entravent le rôle des femmes dans l’économie sont davantage retardées. Est-il utile de le rappeler ici que les femmes ne reçoivent qu’un peu plus d’un tiers du revenu total du travail, le reste revenant à leurs homologues masculins, selon la dernière enquête menée par World Inequality Lab ?
Ce grand fossé mine le contrat social et complique la tâche aux décideurs politiques lorsqu’il s’agit de relever les principaux défis, dont, en premier lieu, la dégradation de l’environnement qui appelle urgemment, inlassablement, à la réduction des émissions de carbone si vitale pour la survie de l’humanité.
Cependant, la transition vers une économie plus verte ne va pas sans coûts sociaux ; ceux-ci doivent être examinés frontalement, lucidement. Ce faisant, l’indemnisation des perdants – comme on le préconise parfois – ne peut représenter la seule solution, compte tenu de la redistribution massive que cela impliquerait. La pré-distribution est également primordiale, d’où le rôle de politiques de travail décent bien conçues, qui apportent la stabilité aux travailleurs et ouvrent la voie à des entreprises durables.
Une autre conséquence probable de cette grande fracture serait la prolifération de solutions contre-productives de repli ou unilatérales face aux problèmes mondiaux actuels. Cela s’observe à la tendance d’un nationalisme étroit teinté de xénophobie à l’érection de multiples barrières au commerce et aux investissements internationaux.
L’égoïsme vaccinal en est un autre exemple, malgré les efforts des Nations unies pour convaincre le monde que « personne ne sera en sécurité tant que tout le monde ne le sera pas ».
En fin de compte, si l’on n’y remédie pas, les déséquilibres sociaux porteront atteinte à la croissance économique, compromettront les progrès accomplis en matière de réalisation des objectifs environnementaux et exacerberont les tensions géopolitiques. La justice sociale, condition préalable à des relations pacifiques, constitue un bien public mondial.
Un contrat social mondial
Pour sortir de ce grand fossé, pour le surpasser, il faut mettre la mondialisation au service de tous. Tout comme pour l’environnement, l’action isolée des pays ne peut guère, à elle seule, contrecarrer les forces polarisantes de marchés mondiaux non gouvernés.
La mondialisation devrait subir une réforme plaçant au centre de ses préoccupations le travail décent pour l’ensemble des femmes et des hommes. Il va sans dire que les employeurs et les travailleurs, en tant qu’acteurs de l’économie réelle, doivent être impliqués dans un tel processus.
L’économie numérique, qui se répand rapidement, comporte un risque de dumping social. L’expérience montre également que des politiques tripartites isolées visant à promouvoir des emplois de qualité peuvent être inopérantes si la concurrence propose de bas salaires et de mauvaises conditions de travail. Enfin, la compétition fiscale internationale érode la base de financement des systèmes de protection sociale.
En d’autres termes, la mondialisation devrait subir une réforme plaçant au centre de ses préoccupations le travail décent pour l’ensemble des femmes et des hommes. Il va sans dire que les employeurs et les travailleurs, en tant qu’acteurs de l’économie réelle, doivent être impliqués dans un tel processus.
Les gouvernements peuvent galvaniser cette énergie s’ils s’engagent dans une action coordonnée visant à renforcer le système normatif de l’OIT. Ce, afin, premièrement, de mettre en place un seuil de conditions sociales et de travail et, deuxièmement, de renforcer la cohérence avec les autres parties du système multilatéral.
C’est pourquoi, si je suis élu à la tête de l’OIT, je convoquerai aussitôt une conférence sociale à laquelle participeront tous les principaux acteurs mondiaux et les partenaires sociaux. Un contrat social mondial est le meilleur moyen pour l’humanité de retrouver sa dignité et de reprendre en main son destin.
@GH
2 Commentaires
Si le berceau de Moise n’a pas chaviré et que Moise a pu sortir le peuple de Dieu d’Egypte (Exode 2 & 13), le berceau de l’humanité ne chavirera pas et c’est le tour d’un enfant d’Afrique de prendre la commande du monde du travail.
Mettre le travail décent au cœur de la mondialisation pour permettre à l’humanité de retrouver sa dignité nécessite que la destinée de cette dernière puisse être confiée à l’enfant noir. L’enfant noir étant né dans la pauvreté, ayant grandi et renforcé ses carapaces dans la pauvreté, ayant su dompter les pièges de la pauvreté pour en faire son bâton de pèlerin et finalement transformer ce handicap en une échelle qui lui a permis d’arriver au niveau que nous lui connaissons tous, Dieu lui tendra la main et fera de lui, l’Elu qui organisera dans les meilleurs délais sa conférence sociale.
Dieu est Afrique !!!
Bonjour a vous
Félicitations a lui. Mais est ce qui aura tous les leviers pour décider ?