Garder la tête froide

L’Afrique se lance dans le développement d’une infrastructure de refroidissement : les fortes vagues de chaleur soulignent la nécessité d’améliorer l’accès à des services durables de climatisation et de chaîne du froid.
En matière de gestion de la chaleur, l’Afrique a beaucoup d’expérience. Avec l’aggravation du changement climatique, les températures extrêmes constituent des menaces de plus en plus graves pour la santé humaine et la sécurité alimentaire sur tout le continent. En témoignent les records récents de chaleur, atteints notamment en Afrique du Nord.
Fort probablement, ces conditions étouffantes deviendront de plus en plus courantes, ces prochaines décennies. Une étude d’universitaires d’Oxford publiée par Nature met en garde contre le fait que les dix pays qui connaîtront la plus forte augmentation absolue des besoins en climatisation se trouvent tous en Afrique. Ils se basent sur l’augmentation modélisée des « degrés-jours de climatisation », une mesure couramment utilisée pour quantifier la demande de climatisation).
La vague massive d’urbanisation que connaît l’Afrique offre une grande opportunité de faire en sorte que les villes du futur soient conçues de manière à maximiser le refroidissement passif.
Elizabeth Wangeci Chege, spécialiste de l’efficacité énergétique et de la climatisation à Sustainable Energy for All (SEforALL), un groupe à but non lucratif lié aux Nations unies, explique que la climatisation a toujours été un « angle mort » pour les décideurs politiques en Afrique.
Cependant, nous voyons des signes de changement. Les récentes vagues de chaleur ont rendu le besoin de refroidissement incontournable, tandis que la lutte pour la distribution des vaccins Covid-19 en Afrique a attiré l’attention sur le manque d’infrastructures de la chaîne du froid. Il s’agit également d’un problème majeur pour le secteur agricole : près de la moitié des denrées alimentaires produites en Afrique sont gaspillées en raison du manque d’installations de stockage à froid et d’autres inefficacités de la chaîne d’approvisionnement.
Le refroidissement devrait être l’un des principaux points à l’ordre du jour du sommet sur le climat COP28 qui se tiendra à Dubaï dans le courant de l’année. La Cool Coalition, dirigée par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), préconise une série d’actions visant à promouvoir des solutions de refroidissement durables.
Efficacité énergétique
Paradoxalement, la climatisation est elle-même un facteur important du changement climatique. Selon le PNUE, les solutions de refroidissement conventionnelles, telles que les climatiseurs, sont responsables de 7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Wangeci Chege prévient que l’Afrique risque de « créer le prochain grand problème » si elle se contente de suivre la voie tracée par d’autres régions en augmentant l’utilisation des climatiseurs traditionnels.
Certes, pour l’instant du moins, la climatisation est hors de portée de la grande majorité de la population africaine. Un problème plus immédiat est qu’environ 600 millions de personnes vivent sans connexion électrique, ce qui limite considérablement l’accès aux infrastructures de refroidissement de base, telles que les réfrigérateurs.
Les réfrigérateurs utilisés en Afrique sont souvent anciens et parfois dangereux. Les vieux réfrigérateurs « jetés » en Afrique peuvent consommer environ trois fois plus d’énergie que les réfrigérateurs modernes. Améliorer l’accès aux équipements économes en énergie est une « solution à portée de main », considère Wangeci Chege.
Aurélien Pillet, spécialiste du financement climatique à l’agence de Bâle pour l’énergie durable (BASE), souligne également que les appareils économes en énergie présentent des avantages financiers à long terme. « Si l’on considère le cycle de vie de l’équipement, en tenant compte des coûts initiaux, mais aussi des coûts de maintenance et d’exploitation de l’équipement, il est évident qu’il est beaucoup plus rentable pour quelqu’un d’utiliser un produit économe en énergie qu’un produit de qualité inférieure. »
BASE a contribué à la mise en œuvre d’un programme au Ghana et au Sénégal visant à améliorer l’accès aux appareils de refroidissement modernes. Aurelien Pillet explique à African Business qu’avant le lancement du programme en 2020, les appareils les plus efficaces sur le plan énergétique n’étaient pas disponibles dans la région, car les fournisseurs de technologie pensaient qu’il n’existait pas de marché.
L’un des principaux obstacles est que le coût initial des produits modernes à haut rendement énergétique est inévitablement plus élevé. Aurélien Pillet estime que l’une des solutions réside dans le concept de « Cooling-as-a-Service » ou CaaS.
Le CaaS « déplace les responsabilités entre les différentes parties prenantes afin d’encourager l’investissement dans l’infrastructure de refroidissement », explique-t-il. Le fournisseur de l’application prend en charge le coût initial, puis les clients sont facturés en fonction de l’utilisation.
Accessibilité financière
BASE travaille sur un projet CaaS visant à promouvoir l’accès à des chambres froides alimentées par l’énergie solaire dans les zones rurales du Nigeria. Les agriculteurs peuvent utiliser une application pour accéder à ces installations en payant à l’utilisation. Aurélien Pillet estime que les investisseurs peuvent récupérer le coût de 25 000 dollars de ces chambres froides en deux ans environ, à condition que l’installation atteigne un taux d’utilisation élevé.
« Le délai de récupération est très court, l’investissement n’est pas si important », juge Aurélien Pillet. « Il devient de plus en plus rentable pour les financiers et les investisseurs du secteur privé de soutenir une infrastructure de refroidissement durable.
La start-up nigériane Koolboks est l’une des entreprises qui a su saisir l’opportunité d’investir dans les services de la chaîne du froid. Elle a mis au point un réfrigérateur à énergie solaire, qui s’adresse principalement aux petits commerces de détail alimentaire, ainsi qu’aux cliniques et aux pharmacies. Ces appareils fabriquent de la glace pendant que le panneau solaire produit de l’électricité ; celle-ci sert ensuite de « batterie à glace » qui permet à l’appareil de continuer à réfrigérer lorsque le soleil ne brille pas.
« Nous voulions une solution très simple », explique Déborah Gaël, cofondatrice et directrice des opérations de l’entreprise. Laquelle utilise essentiellement deux forces naturelles, l’eau et le soleil.

Selon Deborah Gaël, Koolboks a vendu environ 5 000 unités depuis 2020. L’entreprise réalise environ 70 % de son chiffre d’affaires au Nigeria, bien qu’elle opère dans 23 pays à travers le monde, par l’intermédiaire de distributeurs.
« Le caractère abordable est essentiel pour atteindre les PME dans ces pays », observe Deborah Gaël. Qui explique que Koolboks utilise un modèle de paiement à l’utilisation qui permet aux clients de payer les services par petites tranches. Les petites entreprises peuvent alors réaliser des économies significatives en n’ayant plus besoin d’acheter du carburant pour les générateurs diesel qu’elles utilisaient auparavant pour alimenter les réfrigérateurs.
Solutions passives
Outre l’amélioration de l’accès aux infrastructures de la chaîne du froid, Wangeci Chege, de SEforALL, affirme qu’une série de mesures relativement simples peuvent faire une grande différence pour aider l’Afrique à rester fraîche. « Je suis optimiste car l’une des principales solutions est la solution passive. »
Wangeci Chege note que le choix des matériaux de construction a un effet majeur sur la façon dont les bâtiments retiennent la chaleur. Le béton, par exemple, absorbe la chaleur et la renvoie par rayonnement, contribuant ainsi à l’« effet d’îlot de chaleur urbain ». Les villes deviennent ainsi souvent plus chaudes de plusieurs degrés que les zones rurales environnantes.
En revanche, les constructions traditionnelles africaines, parfois basées sur l’imitation de la flore locale, sont souvent mieux à même de réduire l’impact des vagues de chaleur. Maximiser l’ombre, construire des murs épais qui empêchent la chaleur de pénétrer et favoriser la circulation de l’air sont autant de techniques utiles. Le simple fait de peindre les toits en blanc peut réduire la température à l’intérieur des bâtiments d’au moins 2 degrés.
Les arbres constituent une autre « solution passive » simple mais vitale. Le couvert végétal aide à lutter contre l’effet d’îlot de chaleur urbain, car les arbres fournissent de l’ombre et rafraîchissent leur environnement en libérant de la vapeur d’eau. « Nous disposons déjà de recherches et de données qui montrent que la plantation d’arbres dans une zone urbaine peut réduire la température de 5 à 10 degrés », explique Wangeci Chege.
La vague massive d’urbanisation que connaît l’Afrique offre donc une grande opportunité de faire en sorte que les villes du futur soient conçues de manière à maximiser le refroidissement passif. En effet, « 80 % des bâtiments qui existeront en 2050 n’ont pas encore été construit », conclut Wangeci Chege.
@AB