Le FMI plaide pour des réformes audacieuses

Durant plusieurs mois, peut-être plusieurs années dans certains pays, les États africains devront à la fois gérer l’urgence et préparer l’avenir. Sur le principe, les réformes à entreprendre sont connues, juge le FMI qui appelle à les poursuivre sans relâche.
Par Laurent Soucaille
La dernière note de conjoncture du FMI ne relève pas de l’optimisme excessif. En 2021, l’Afrique subsaharienne sera la région du monde qui devrait enregistrer la croissance la plus faible. Après, il est vrai, avoir plutôt bien amorti le choc en 2020 ; la récession n’a été que de 1,9%, tandis que les projections effectuées en octobre anticipaient un repli de 3%.
Cette année, la croissance pourrait atteindre 3,4%, sous l’impulsion d’une augmentation des exportations et des cours des produits de base, ainsi que d’une reprise de la consommation des ménages et de l’investissement privé. À court terme, seule une distribution mondiale rapide de vaccins, concertée et équitable, pourrait améliorer les perspectives de la région à court terme. Toutefois, prévient le FMI, ce n’est qu’après 2022 que la production par habitant ne retrouvera ses niveaux de 2019, voire qu’en 2025, pour certains pays.
Une des pistes est de mieux adapter l’Afrique aux impératifs de la croissance verte et de résilience aux changements climatiques. Les réformes permettraient de remédier aux carences du marché et de l’État, grâce à un ciblage sectoriel intelligent et large, estime le FMI.
Tandis que les pays devront à la fois agir dans l’urgence contre d’éventuelles nouvelles vagues de la pandémie et préparer l’avenir, le FMI préconise d’accélérer les réformes structurelles. Outre des mesures concrètes portant sur les recettes et les dépenses, « les autorités peuvent optimiser l’espace budgétaire en améliorant leurs cadres budgétaires », soulignent les Perspectives économiques régionales. C’est-à-dire un cadre à moyen terme qui concilie, de manière crédible, le besoin de mesures immédiates et un rééquilibrage à moyen terme. L’objectif est à la fois de maîtriser les coûts d’emprunt et d’entretenir la confiance.
Plus généralement, le Fonds invite les États à « bâtir un avenir meilleur, en exploitant pleinement le potentiel de l’Afrique ». Ce, alors que la crise accru les inégalités et les maux des Africains et que « le développement est à l’arrêt ». Il faudra privilégier les réformes audacieuses, privées, qui renforcent la résistance aux futurs chocs, et mettre l’accent sur les secteurs les plus prometteurs pour la croissance et l’emploi.
Chaque année, en Afrique subsaharienne, 20 millions de nouveaux demandeurs d’emploi arrivent sur le marché du travail. À court terme, offrir des possibilités d’emploi à ces nouveaux arrivants est l’un des défis les plus urgents que la région doit relever. Cependant, cette tendance démographique « pourrait se révéler comme l’un des principaux points forts de la région à long terme. »
Libre-échange et numérisation vont bien ensemble
Au cours des dix-quinze prochaines années, la contribution de l’Afrique à la croissance de la population active dépassera celle du reste du monde. Si la bonne stratégie est adoptée, les résultats de l’intégration de la main-d’œuvre africaine dans l’économie mondiale pourraient être sans précédent.
D’autre part, l’une des perspective les plus prometteuses de la région tient à la nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), un marché potentiel de 1,3 milliard de personnes, au PIB cumulé de près de 3 500 milliards de dollars. Alors qu’aujourd’hui, seul un cinquième des exportations des pays africains est à destination de l’Afrique.

Tandis que 90 000 nouveaux Africains, chaque jour, utilisent Internet pour la première fois, la diffusion des technologies numériques « offrent de nouvelles perspectives de progrès et d’intégration », souligne le FMI. L’Afrique subsaharienne a encore « beaucoup à faire » pour combler la fracture numérique avec les pays plus riches à travers le monde. « Cela étant, le dynamisme et le potentiel de la région sont remarquables », acte le FMI. Selon qui le cadre de la ZLECAf augmentera sans doute les possibilités de développer les échanges de services et le commerce électronique.
Selon les économistes, il est nécessaire de mettre à profit l’investissement privé, pour entretenir un climat des investissements plus favorable. Il faut poursuivre les réformes afin d’attirer davantage de capitaux privés. « Ces réformes sont connues depuis longtemps mais elles sont aujourd’hui plus urgentes que jamais. » Elles consistent à renforcer la contestabilité des marchés, à lever les principaux obstacles (comme un réseau électrique non fiable), à égaliser les conditions de concurrence entre entreprises privées et publiques. Il faudra aussi harmoniser le traitement des entreprises des secteurs formel et informel, simplifier les formalités administratives, améliorer la gouvernance et élargir l’inclusion financière.
Ces mesures qui relèvent du libéralisme économique doivent se doubler, juge le FMI, de dispositifs de protection sociale. Le renforcement de ces derniers « constitue depuis longtemps un enjeu technique et budgétaire pour la région, notamment en raison du poids du secteur non structuré ». La pandémie a toutefois souligné leur importance. À l’avenir, il sera important de s’appuyer sur les initiatives prises lors de la crise sanitaire pour renforcer les filets de protection.
Une plus grande diversification s’impose
Ce travail devrait procéder d’une stratégie ciblée sur les dispositifs de protection sociale, qui définit précisément les populations visées et les mécanismes de mise en œuvre et peut être amplifiée rapidement en réaction à des chocs ou réformes économiques. Ce travail suppose une stratégie crédible d’augmentation des recettes intérieures, afin de ne pas avoir à évincer d’autres dépenses prioritaires.
Enfin, dans l’objectif de renforcer la résilience, « une plus grande diversification s’impose », estime le FMI, qui en veut pour témoignage les résultats « relativement faibles » des pays tributaires du pétrole, dont les revenus par habitant devraient encore diminuer, en 2021. La logique est la même pour les pays trop dépendants de produits primaires. Dans ce processus de redéploiement d’une activité à une autre, « les dirigeants pourraient jouer un rôle volontariste ».

Ce qui peut imposer la modification de certaines stratégies actuelles. Une des pistes est de mieux adapter l’Afrique aux impératifs de la croissance verte et de résilience aux changements climatiques. Les réformes permettraient de remédier aux carences du marché et de l’État, grâce à « un ciblage sectoriel intelligent et large ». Il s’agit d’appuyer des secteurs prometteurs et lever les obstacles à leur essor (inadéquation des compétences, mauvaise réglementation, manque de concurrence, etc.).
Il n’existe pas de recette globale, chaque pays gardant sa spécificité. Par exemple, il peut être essentiel de supprimer les obstacles tarifaires et l’encadrement des taux d’intérêt pour améliorer la productivité de l’agriculture. Tandis que les réformes du secteur financier, la libéralisation des investissements étrangers et des routes de meilleures qualités s’avèrent plus importantes pour l’industrie manufacturière. Pour les services, la libéralisation des industries de réseau comme les télécommunications s’avère cruciale.
« Attention à ne pas réitérer les erreurs du passé », prévient le FMI. Qui cite en exemple le remplacement coûteux et inefficace des importations, une politique protectionniste qui a tendance « à ancrer la dépendance de l’économie aux intrants essentiels, tout en assurant des rentes de monopole aux proches du pouvoir ».
LS