La triple bataille de l’Afrique de l’Est

L’épidémie de la Covid-19, loin d’être endiguée, semble moins violente que redouté, en Afrique de l’Est. La région ne manque pas d’atouts, d’innovations. Elle doit néanmoins faire face à deux autres menaces, les inondations et les invasions de criquets, souligne une note de l’IFRI.
Par Paule Fax
Dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, le virus de Covid-19 se propage plus lentement que prévu mais la plupart des pays ne semblent pas encore avoir atteint le point culminant de l’épidémie.
La situation sanitaire varie d’un pays à l’autre, constate Sina Schlimmer, de l’IFRI (Institut français des relations internationales), qui se penche sur le cas d’école de l’Afrique de l’Est.
En Tanzanie, par exemple, où la dernière et l’une des rares prises de position publique du gouvernement date du 29, le président, John P. Magufuli, semble déjà sonner la fin de l’alerte en promettant la réouverture de l’ensemble des secteurs de l’économie.
Comme ailleurs, la pandémie ne représente pas seulement des enjeux sanitaires, mais aussi sociaux, politiques et économiques. Plus qu’ailleurs, l’Afrique de l’Est est confrontée à une conjugaison de situations d’urgence, notamment sur le plan environnemental.
La Covid-19 s’invite dans une région dont les pays se caractérisent par des trajectoires singulières en termes de politiques et de développement économique : alors que le Kenya et l’Éthiopie sont parfois considérés comme les locomotives économiques de la région, d’autres pays comme la Somalie ou le Soudan du Sud rencontrent davantage de difficultés. « Ainsi, les capacités des États à faire face aux enjeux sanitaires, mais aussi à absorber les effets socio-économiques de long terme varient fortement. »
Comme dans d’autres régions du continent, les autorités des pays d’Afrique de l’Est, marquées par la mémoire des pandémies précédentes, ont réagi avec des mesures promptes et parfois même anticipées.
Au Kenya, les écoles ont été fermées huit jours avant l’enregistrement de la première infection, une décision qui a été suivie par d’autres mesures strictes. L’Éthiopie a déclaré le 8 avril un état d’urgence d’une durée minimum de cinq mois, alors que le gouvernement en Ouganda a imposé un lockdown impliquant la fermeture de tous les magasins non essentiels.
Tandis que la Tanzanie et le Burundi n’ont pas fait de la lutte contre la crise sanitaire une priorité et se sont davantage concentrés sur des enjeux politiques internes.
Fort recul de l’activité économique
Trois mois après l’apparition du premier cas d’infection dans la région, plusieurs gouvernements ont décidé de lever certaines mesures restrictives: les hôtels et restaurants au Rwanda rouvrent progressivement, le mouvement transfrontalier des marchandises entre le Kenya et
la Tanzanie est facilité et certaines entreprises invitent leurs employés à retourner au travail. Néanmoins, le déploiement des outils pour gérer cette pandémie, tant appréhendée par la plupart des gouvernants, continuera à produire des effets politiques, sociaux et économiques de long terme.
Les mesures de restriction de la mobilité et donc de l’activité économique entraînent un ralentissement de la croissance et une baisse de la demande de produits de base, tels que le pétrole, les minerais, le cacao et le café. Des chutes d’activité économique sont attendues : selon les prévisions du FMI, la croissance de 10 % observée au Rwanda en 2019 diminuera à 3,5 % en 2020 et l’Éthiopie reviendra à 4,2%.
Les secteurs clés dans les différents pays sont fortement affectés. L’annulation à grande échelle des voyages dans la région diminuera drastiquement les revenus dans le secteur du tourisme qui représentait presque 9 % du PIB kenyan en 2019. Les filières d’exportation, comprenant le thé, les légumes verts et l’horticulture sont déjà durement impactées au Kenya. En temps normal, 70 % des fleurs coupées produites au Kenya sont destinées à l’Europe.
Trop forte dépendance à l’Aide internationale
Or, la crise n’impacte pas uniquement l’agriculture commerciale et d’exportation. Les petits exploitants approvisionnant les marchés locaux et régionaux voient leurs activités diminuer, alors que les prix des intrants et de certains produits alimentaires augmentent.
Les personnes travaillant dans le secteur informel (84 % de la population active au Kenya) sont particulièrement vulnérables. La fermeture des frontières affecte également le commerce transfrontalier des produits agricoles. En Ouganda, ces activités couvrent entre 15% et 30 % des exportations officielles et représentent une source essentielle de revenus, notamment pour les femmes.
La crise actuelle met à nu la dépendance du système alimentaire des pays d’Afrique de l’Est aux marchés et systèmes d’aides internationaux, fortement impactés par la Covid-19. La Somalie et le Soudan du Sud importent la plupart des produits alimentaires. La crise sanitaire arrive donc dans un contexte fragile en termes de sécurité alimentaire, accentué par l’accumulation actuelle des enjeux environnementaux.
Une grande partie des gouvernements d’Afrique de l’Est doivent actuellement jongler entre plusieurs interventions d’urgence pour faire face à une « triple menace ». En effet, à la crise pandémique se rajoutent des inondations dans la région des Grands Lacs et la Corne de l’Afrique suite aux pluies abondantes observées depuis le début de l’année.
Un troisième risque imminent est la probable deuxième vague d’invasion des criquets pèlerins. Arrivés en Afrique de l’Est fin 2019, ceux-ci ont sévi dans de nombreux champs jusqu’à la péninsule arabique. Une nouvelle série d’essaims est ensuite attendue vers la fin du mois de juin et le début du mois de juillet au moment de la récolte.
Ces deux phénomènes conduisent à des pénuries alimentaires et à des déplacements énormes de populations. D’où la crainte des experts des organismes de la coopération internationale d’une nouvelle crise humanitaire.
En Afrique de l’Est comme ailleurs, « la pandémie ne représente pas seulement des enjeux sanitaires, mais aussi sociaux, politiques et économiques », conclut l’IFRI.
Mais plus que dans d’autres régions, cette zone est confrontée à une conjugaison de situations d’urgence, notamment sur le plan environnemental. Les institutions financières internationales ont octroyé des fonds et de nouveaux crédits visant à soutenir les pays concernés pour combattre leurs fléaux. « Alors que cette injection financière risque d’aggraver le surendettement des pays, la mobilisation de la communauté internationale n’est pas suffisante pour absorber les problèmes sanitaires et économiques. »
Les hôtels et restaurants au Rwanda rouvrent progressivement, le mouvement transfrontalier des marchandises entre le Kenya et la Tanzanie est facilité et certaines entreprises invitent leurs employés à retourner au travail.
Aux échelles nationale et locale, des pratiques innovantes ont émergé et les acteurs se sont mobilisés. Ainsi, les modes de paiement par téléphone mobile ont façonné l’économie est-africaine depuis des années.
Au Rwanda, des drones servent à approvisionner en médicaments certains hôpitaux reculés. Au Kenya, des plateformes numériques informent les petits agriculteurs sur l’évolution des prix, l’accès à différents marchés et les options de financement des débouchés.