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African Business

Des doutes sur l’avenir de l’hydroélectricité

Des doutes sur l’avenir de l’hydroélectricité
  • Publiémars 28, 2023

Les investisseurs dans le secteur de l’hydroélectricité doivent examiner de près les tendances climatiques, car les sécheresses sont de plus en plus fréquentes dans une grande partie de l’Afrique. Cette menace pèse sur une source d’énergie cruciale.

 

De nombreux pays, comme le Cameroun, la Zambie, le Zimbabwe, subissent de graves coupures de courant depuis le début de l’année. Motif invoqué : la sécheresse fait chuter les niveaux d’eau des installations hydroélectriques. La situation se détend grâce à l’arrivée de la saison des pluies, mais que signifie cette crise pour l’avenir de l’hydroélectricité en Afrique, à une époque où les précipitations deviennent moins fiables sur une grande partie du continent ?

« Il y a toujours des dépassements de coûts gigantesques ; on arrive toujours beaucoup plus tard qu’on ne le pense ; les opportunités de corruption sont trop belles pour ne pas les saisir ; les dommages environnementaux et sociaux sont toujours sous-estimés, et reviennent toujours vous mordre plus tard. »

« Avec un peu de chance, ce n’est un signal d’alarme », espère Harry Verhoeven, chercheur principal au Center on Global Energy Policy de l’université Columbia. « L’avenir a plus de chances de ressembler à ce que nous vivons, et nous devons donc vraiment faire ce que nous pouvons avec les ressources limitées dont nous disposons pour résoudre ces problèmes. »

Une grande partie de l’Afrique dépend de l’hydroélectricité. Les réseaux électriques du Lesotho, de la République centrafricaine, de la RD Congo, de l’Éthiopie, de l’Ouganda, de la Zambie, de la Sierra Leone et du Mozambique produisent tous au moins 80 % de leur énergie grâce à des sources hydroélectriques.

Certains des plus grands barrages d’Afrique, dont celui de Kariba en Zambie, datent de la fin de la période coloniale. Une autre vague de construction de barrages a débuté au début des années 2000. Harry Verhoeven affirme que, dans la plupart des cas, les planificateurs ont continué à traiter les impacts du changement climatique sur la production d’électricité comme une « réflexion après coup ».

Le débit du barrage de Kariba, en Zambie.
Le débit du barrage de Kariba, en Zambie.

 

« D’après mon expérience, le nombre de plans d’urgence qui sont effectivement mis en œuvre est généralement assez limité », prévient-il. « Je suis sûr que si vous consultez les documents des projets, le climat est évoqué 20, 30, 50 fois – mais cela ne signifie pas nécessairement, bien sûr, qu’il est réellement intégré dans le fonctionnement de l’infrastructure. »

Kariba est loin d’être la seule centrale hydroélectrique à avoir connu des difficultés l’année dernière. En 2022, la sécheresse en Europe a fait chuter la production d’hydroélectricité à son niveau le plus bas depuis plus de vingt ans. Dans le même temps, des usines de la province chinoise du Sichuan ont dû fermer leurs portes en août dernier, après qu’une grave sécheresse a empêché les installations hydroélectriques du fleuve Yangtze de fournir de l’énergie.

Selon la dernière évaluation du GIEC, les précipitations devraient diminuer dans la plupart des régions d’Afrique d’ici au milieu du siècle. Dans le même temps, les pluies tomberont généralement en rafales plus intenses sur une grande partie du continent.

Cela crée un problème fondamental pour les installations hydroélectriques, car ces changements dans la configuration des précipitations rendront le débit des rivières moins fiable. « Si les précipitations sont plus intenses sur une période plus courte, les pics de débit sont concentrés sur une période plus courte et les périodes sèches sont plus longues », explique Simon Trace, d’Oxford Policy Management.

 

Défis environnementaux

De nouveaux projets hydroélectriques sont encore en cours de développement dans plusieurs régions du continent. Le projet Grand Inga sur le fleuve Congo, par exemple, serait la plus grande installation hydroélectrique du monde. L’Afrique du Sud prévoit de se procurer 5 000 MW grâce à ce projet, qui implique une nouvelle ligne de transmission de plus de 2 000 kilomètres de long.

Pour l’instant, Grand Inga reste cependant fermement attaché à la planche à dessin, dans un contexte de questions sans réponse sur le financement de ce mégaprojet et de sérieuses inquiétudes quant à son impact environnemental et social.

Le fort potentiel d’Inga III

 

Les opposants aux projets hydroélectriques ont souvent souligné les impacts inévitables sur les populations et les habitats lorsque les terres sont inondées par les réservoirs qui se forment derrière les murs des barrages. Aujourd’hui, selon eux, l’évolution du climat remet sérieusement en cause les arguments en faveur de nouveaux projets hydroélectriques.

Siziwe Mota, chargée de campagne pour l’Afrique à International Rivers, une ONG qui cherche à protéger les rivières, affirme que les projets hydroélectriques à grande échelle « ne doivent pas être considérés comme une solution énergétique ». La grande hydroélectricité est « encore moins fiable face au changement climatique et à des schémas météorologiques plus extrêmes sur le continent », juge la militante, arguant que les technologies renouvelables comme l’éolien et le solaire sont de meilleures alternatives. « Il est désormais possible de développer la production d’énergie tout en réduisant considérablement les émissions de gaz à effet de serre et en préservant nos rivières à écoulement libre. »

« Relativement parlant, l’éolien et le solaire seront moins chers à long terme », concède Simon Trace. Qui note que les décideurs de certains pays africains sont souvent plus à l’aise avec l’hydroélectricité, une technologie qui fournit de l’électricité à la région depuis des décennies. « Il y a encore des malentendus sur les coûts du solaire et de l’éolien et un manque de familiarité avec ces technologies par rapport à l’hydroélectricité, qui est une technologie mature. » Au total, quelque 43 000 MW de nouvelles capacités hydroélectriques sont prévues d’ici 2045 dans les 12 pays qui composent le pool énergétique d’Afrique australe.

Pourtant, selon « Climate Compatible Growth » près de la moitié de cette nouvelle capacité serait « non rentable » dans tous les scénarios envisagés.

 

Nouveaux projets

Malgré les incertitudes entourant les perspectives de l’hydroélectricité, de nouveaux projets de tailles diverses continuent d’obtenir des financements, notamment de la part des institutions de financement du développement et des banques multilatérales de développement.

En décembre, la BAD (Banque africaine de développement) a finalisé un financement  pour une centrale hydroélectrique de 44 MW à Singrobo en Côte d’Ivoire. Parmi les autres investisseurs du projet figurent l’Emerging Africa Infrastructure Fund (EAIF), une société du Groupe de développement des infrastructures privées (PIDG).

Paromita Chatterjee, directrice des investissements chez EAIF, insiste sur le fait que l’hydroélectricité a encore un rôle à jouer en Afrique. « Les modèles climatiques changent, le temps change, et il est beaucoup plus imprévisible qu’il y a plusieurs années », reconnaît-elle. « Cela étant, l’hydroélectricité reste une pièce très importante du puzzle et elle continuera à être un élément très important de l’approvisionnement de base pour la plupart des pays africains. »

En effet, les installations hydroélectriques sont généralement conçues pour fournir un approvisionnement stable en électricité, tout comme les centrales à charbon ou nucléaires. À condition que le débit des rivières reste dans les limites de certains paramètres, l’hydroélectricité est un complément important de l’énergie éolienne et solaire, qui est par nature plus intermittente.

Mais les centrales hydroélectriques peuvent également être conçues pour libérer rapidement plus d’eau et ainsi augmenter la production d’électricité en cas de hausse rapide de la demande. Selon Paromita Chatterjee, le projet Singrobo contribuera ainsi à réduire la demande de générateurs diesel aux heures de pointe en Côte d’Ivoire.

Selon Paromita Chatterjee, les promoteurs et les financiers doivent accorder une attention accrue aux données climatiques, notamment aux tendances pluviométriques à long terme, avant d’investir dans l’hydroélectricité. Elle cite l’exemple de la centrale Bambuna II proposée en Sierra Leone, qui, selon elle, a été considérablement réduite à la lumière de la modélisation de la baisse du débit des rivières.

Dans des pays comme l’Ouganda, où l’EAIF a financé plusieurs projets hydroélectriques, les installations hydroélectriques peuvent s’attendre à voir leur capacité de production varier davantage en fonction des saisons et des années. Cependant, Paromita Chatterjee estime qu’« à long terme, elles devraient se révéler des actifs très utiles », notant que les installations ougandaises ont été en mesure de couvrir les coûts d’exploitation et d’assurer le service des dettes malgré des précipitations parfois irrégulières ces dernières années.

Les régimes pluviométriques ne changeront pas de manière uniforme ; les changements peuvent même parfois être bénéfiques pour l’hydroélectricité.

En effet, le GIEC ne prévoit pas que l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique du Sud-Est et la région du Sahara et du Sahel connaîtront une diminution des précipitations globales, mais il s’attend à davantage de fortes pluies et d’inondations dans ces trois sous-régions.

 

La taille compte

Si la récente crise du barrage de Kariba s’est avérée si dévastatrice pour la Zambie et le Zimbabwe, c’est en partie parce que les deux pays ont trop compté sur cet atout unique. N’ayant pas réussi à développer d’autres sources d’approvisionnement, leurs gouvernements se sont retrouvés dans l’incapacité d’assurer l’éclairage lorsque l’installation n’a plus pu produire à pleine capacité.

Cette réalité suggère que les responsables politiques devront faire preuve de prudence dans le développement de très grands projets hydroélectriques dont ils deviennent très dépendants. « Il faudrait vraiment un degré d’optimisme héroïque pour plaider en faveur des grands barrages à un niveau général ! », juge le chercheur Harry Verhoeven. « Il y a toujours des dépassements de coûts gigantesques ; on arrive toujours beaucoup plus tard qu’on ne le pense ; les opportunités de corruption sont trop belles pour ne pas les saisir ; les dommages environnementaux et sociaux sont toujours sous-estimés, et reviennent toujours vous mordre plus tard. »

Le barrage de Soubré, en Côte d’Ivoire.

 

Selon le chercheur, les petits projets hydroélectriques sont généralement « un peu plus intéressants ». Paromita Chatterjee reconnaît que les petites centrales présentent des avantages importants, même si elle estime que les grands projets peuvent jouer un rôle de « transformation » pour les économies avides d’énergie.

La clé, suggère-t-elle, est que les pays s’assurent d’avoir accès à « un mélange diversifié » de sources d’énergie à mesure que le climat change. L’hydroélectricité restera certainement importante pour les décennies à venir ; la clé sera de s’assurer que les planificateurs énergétiques ne mettent pas tous leurs œufs dans le panier de l’hydroélectricité.

@AB

 

 

 

Écrit par
Ben Payton

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