Inventeur, développeur, industriel et homme d’affaires polyvalent, ce Franco-Tunisien (67 ans) investit aujourd’hui dans les énergies renouvelables et s’engage politiquement dans son pays d’origine. Retour sur un parcours atypique.
Par Guillaume Weill-Raynal
Cet homme à qui tout semble avoir toujours réussi s’est pourtant construit dans la solitude. Parfois dans la souffrance, mais aussi, parfois, avec une étonnante indifférence aux obstacles et aux humiliations.
Aujourd’hui encore, il ne se définit paradoxalement qu’à travers les deux pôles très opposés de son identité. « Je suis un industriel », résume Mohamed Ayachi Ajroudi sobrement quand on l’interroge sur son parcours professionnel. Ce qui le pousse dans sa vie ? Son moteur, ses motivations premières ? « Je suis toujours à la recherche de l’amélioration d’un outil, par rapport au besoin d’autrui. »
Souci du bien commun, bien sûr, mais son moi profond y trouve aussi son compte. « Je suis un bâtisseur. Mon plus grand plaisir, c’est quand je démarre un chantier. »
D’un autre côté, lorsqu’on l’interroge sur ses récents engagements politiques, il revendique des racines africaines profondes, bien au-delà de la simple identité tunisienne : « Je viens du sud tunisien, d’une tribu, d’une famille guerrière, militaire, on avait accès à tout le Sud, je suis un enfant du désert, j’y chassais, je m’y baladais… »
Une enfance quasiment paradisiaque à Gabès, partagée entre l’école publique Ben Attia – « On l’appelait du nom de notre directeur qui était de confession juive, tellement on l’aimait » – et les copains, « il y avait de tout dans notre quartier, des musulmans, des juifs, des chrétiens, des athées, des Maltais, des Siciliens… nous avons tous grandi ensemble », avec lesquels, tous les jours à la plage, il regardait la mer « on se posait la question : qu’est-ce qu’il y a de l’autre côté ? ».
À huit ans, première épreuve, lors du départ massif des Juifs de Gabès. « Un matin je sors comme ça, et je ne trouve pas mes amis. J’ai tapé à toutes les portes, ils étaient partis de l’autre côté, le choc a été terrible », raconte-t-il. «Et le deuxième choc a été le décès de mon père, vraiment très, très dur». Mohamed a 14 ans.
Sa vision ne se limite pas au politique. En industriel avisé, il ne voit d’avenir pour la Tunisie que dans d’ambitions projets d’infrastructures ferroviaires et portuaires. Ainsi, à Gabès, le port pourrait alimenter l’Afrique et l’aéroport recevoir des gros porteurs.
L’un de ses oncles décide de l’envoyer étudier en France. « L’épisode a complètement changé ma vie. J’étais orphelin, pas de valise à faire, je suis parti en emportant le foulard de ma mère, c’était mon assurance, c’était son odeur ». École de la Marine à Saint-Malo, « J’ai fait cinq ans, trois mois et 23 jours de navigation », puis une formation Ponts et Machines à l’École de la Marine polyvalente, d’où il sort ingénieur.
Une jeunesse innovante
Malgré ses résultats brillants, aucune des entreprises qui embauchent directement à la sortie de l’école ne lui propose quoi que ce soit. Dans la France des années 1970, il ne fait pas forcément bon s’appeler Mohamed Ayachi Ajroudi. « Mais moi, à l’époque, je ne mesurais pas, je n’avais pas ça en tête, je me disais qu’il y avait peut-être d’autres raisons. »
Laisser un commentaire