Gilles Boëtsch* : La Muraille verte, de Dakar à Djibouti

À l’occasion de la publication d’un ouvrage scientifique, La grande muraille verte, le chercheur Gilles Boëtsch fait le point sur ce projet essentiel pour l’Afrique subsaharienne. Bien avancée au Sénégal, la Muraille verte peine à s’imposer ailleurs.
Propos recueillis par Guillaume Weill-Raynal
Comment vous êtes-vous approprié ce sujet de «La Muraille verte»?
Je suis arrivé au Sénégal en 2009, pour installer un laboratoire international entre la France, le Sénégal, le Mali et le Burkina Faso, avec le CNRS français. Il s’agissait d’un projet très important pour le Centre, une recherche sur les relations environnement santé et sociétés dans trois capitales africaines (Dakar, Bamako, Ouagadougou). Et nous avons aussi installé un observatoire scientifique pour suivre la mise en place d’une bande de reforestation de Dakar à Djibouti.
Quelque 7 600 km de long sur 15 km de large ! J’ai discuté de ce projet – que j’ai tout de suite trouvé fascinant – avec mes collègues des universités de Dakar, avec le CNRS, etc. Notre observatoire est destiné à suivre scientifiquement l’évolution de cette muraille, aussi bien concernant la dynamique des écosystèmes que le comportement des hommes.
Il s’agit bien d’un projet africain ! Ce n’est pas un projet de la Banque mondiale ou un projet européen. Il avait été suggéré, dès 2005, lors de la 7e conférence des chefs d’États de la communauté sahélo-saharienne, par Oludegun Obasanjo, ancien président du Nigeria et soutenue par le président sénégalais Abdoulaye Wade, pour essayer de bloquer la désertification.
Quel est son but principal ?
Ce projet africain de Grande Muraille verte (GMV) a pour vocation la lutte contre la désertification dans les milieux sahélo-sahariens. La volonté politique affichée de la mise en valeur de la zone bordant le Sahara par un développement durable de son environnement et de ses populations est à la hauteur des menaces qui pèsent sur elle.
Depuis les années 1970, notamment les épisodes de sécheresse de 1973 et 1984, le déficit pluviométrique persistant, accompagné de perturbations anthropiques croissantes (apparition des forages, modification des axes de transhumance), affectent les grands équilibres écologiques de la région, entraînant une dégradation importante du milieu naturel et des conditions d’existence des populations, comme la remise en question des conditions du nomadisme.
Le projet implique les onze pays frontaliers de la zone sahélo-saharienne, du Sénégal à Djibouti, couvre une superficie de 11 662 500 hectares. La partie sénégalaise du projet s’étend sur 535 km de long et 15 km de large et couvre une superficie d’environ 80 000 hectares. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’empêcher les dunes du Sahara d’avancer, mais d’empêcher que le désert ne s’installe par une diminution de la ressource en eau et par une augmentation de la température.
Que faut-il pour que ce projet voie le jour ?
De manière très basique, il faudrait déjà que les pays voisins arrêtent d’être en guerre. Il est difficile de planter des arbres dans ces conditions… Et beaucoup, parmi les onze pays concernés, sont confrontés à des conflits armés, pour des raisons politiques, religieuses, économiques etc. C’est pourquoi le Sénégal est le plus avancé.
Notre idée est que le Sénégal en devienne une vitrine, un exemple à montrer aux autres de ce qu’il est possible de faire : le Sénégal plante chaque année deux millions de plantes. Depuis 2008 – première année du projet –, plus de 45 000 hectares ont été plantés !
Mais le problème est que tous les arbres plantés ne survivent pas. À cause de la chaleur et des troupeaux, qui menacent l’écosystème ; pourtant, les troupeaux constituent la principale ressource économique locale, principalement pour les Peuhls. Globalement, le projet avance, nous arrivons à faire des choses, mais nous n’avons pas encore trouvé le moyen de faire survivre l’ensemble des plants.
La réponse au changement climatique – et nous sommes heureux de voir qu’elle est une réponse africaine – consiste ici à miser sur le reboisement. Voici soixante ans, nous avions vingt fois plus de superficies boisées dans la zone qu’aujourd’hui. Il faudrait, au minimum, revenir à cette situation antérieure.
Comment sera-t-il financé ?
Si nous avions les moyens promis par la Banque mondiale et si le rythme actuel est maintenu, ce projet n’attendrait ses objectifs que… dans un siècle ! Mais si nous multiplions les moyens pour planter vingt fois plus, nous y parviendrons en dix ans.
Y a-t-il un exemple comparable à la Grande Muraille verte ?
L’originalité du projet est qu’il associe de nombreux scientifiques, pas seulement des botanistes ou des climatologues, mais aussi des sociologues et des anthropologues.
Chacun analyse la réaction des populations. Nous essayons de surmonter tous ces problèmes, d’abord en discutant avec les populations, en les impliquant, pour leur faire comprendre que la Muraille verte ne va pas les appauvrir en privant leur bétail de surfaces à brouter, mais va, au contraire, leur donner des surfaces alimentaires ou économiques nouvelles, avec des ressources comme le dattier du désert, qui donne une huile ressemblant un peu à l’huile d’argan.
Nous suivons ce qui se fait, et éventuellement, nous faisons des propositions en tant qu’experts. Mais nous n’allons pas donner les outils économiques.
C’est tout de même une étape importante.
Nous avons des sponsors, notamment Total environnement, ainsi que Botanic Klorane Foundation, Veolia environnement ou encore la Fondation Sococim à Dakar, qui vont nous aider à développer des recherches qui peuvent éventuellement déboucher sur des actions économiques.
Par exemple, l’acacia du Sénégal donne la gomme arabique dont l’utilisation est très importante en agroalimentaire, en pharmacie, etc. En dix ans, le Sénégal est passé du rang de premier vendeur mondial de gomme arabique au quatrième. Il est dépassé par le Soudan ! Nous avons beaucoup de choses à développer sur ce secteur.
*(Anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS)