TICAD8 : la promesse d’une autre croissance

La Conférence de Tunis a permis aux financiers japonais de nouer des contacts avec les entrepreneurs d’Afrique subsaharienne, tandis que les entreprises tunisiennes devraient bénéficier de retombées financières. Le Japon donne la priorité à l’investissement humain et à une croissance de qualité.
La huitième édition de la conférence de Tokyo pour le développement en Afrique a achevé ses travaux le dimanche 28 août. Il est trop tôt pour tirer un bilan exhaustif des retombées économiques de cet événement, de nombreux partenariats ne seront formellement dévoilés que dans les semaines à venir. On estime que quelque 80 projets d’envergure ont été présentés durant cette manifestation, soit une valeur de 2,7 milliards de dollars. Quelque 300 hommes d’affaires ont participé à l’événement, dont une centaine venue du Japon.
Le Premier ministre japonais entend que son pays contribue à « une croissance de qualité » en Afrique. Dans une allocution retransmise en ligne – pour cause de Covid –, Fumio Kishida a annoncé « des investissements de 30 milliards de dollars » sur trois ans. Le Japon donne la priorité à « une approche valorisant l’investissement humain et une croissance de qualité ».
Selon Macky Sall, « nous devons maintenant nous aligner sur cette déclaration et le plan d’action de Yokohama qui a été mis à jour, pour nous mettre au travail avec le budget alloué de 30 milliards de dollars, pendant ces trois années et accélérer les décaissements pour atteindre les objectifs ».
La Conférence a débouché sur une déclaration qui, pour l’essentiel, reprend les objectifs de la TICAD7, à savoir permettre à l’Afrique d’atteindre ses objectifs de développement. Feuille de route actualisée à l’aune des dégâts causés par la crise sanitaire, et par la nécessité d’investir davantage dans l’économie verte. Kaïs Saïd a aussi plaidé pour le renforcement des mécanismes de récupération des avoirs volés, conformément aux engagements précédents.
Le président tunisien, dans son allocution de clôture, a salué « la bonne ambiance qui a prévalu lors des différentes manifestations et les discussions franches qui ont eu lieu afin d’élever le niveau du partenariat stratégique qui unit l’Afrique et le Japon ». De son côté, la BAD (Banque africaine de développement) a salué le plan de 5 milliards de dollars consacré au financement du secteur privé.
TICAD8 : les engagements auprès du privé
Selon les pointages de la BAD, la TICAD8 a également donné lieu à la cérémonie de signature de 91 protocoles d’accord que le gouvernement et les entreprises du Japon ont conclus avec des sociétés ou des gouvernements africains. Les protocoles d’accord comprennent notamment des projets dans les cinq régions d’Afrique visant à développer les compétences techniques des ressources humaines et les solutions vertes en matière d’hydrogène, de dessalement de l’eau et de géothermie.
Au-delà des rencontres de haut niveau, l’intérêt porté aux start-up a retenu l’attention. De nombreux entrepreneurs ont pu présenter leur entreprise, leurs produits aux hommes d’affaires japonais ayant fait le déplacement à Tunis. Foued Kamel, entrepreneur tunisien, a présenté le prototype d’un avion amphibie qu’il développe au sein de la start-up Avionav, relate RFI. Data Integrated, société du Kenya, a dévoilé ses solutions digitales dans le secteur du transport, développées avec l’appui d’un puissant partenaire, Toyota.
Forger un système africain de croissance
Plus généralement, les Japonais ont marqué leur intérêt pour divers secteurs, comme l’industrie pharmaceutique, la santé, l’énergie verte. « Nous nous intéressons au développement d’énergie à base d’hydrogène et les autres énergies renouvelables, donc notre souhait pour l’Afrique n’est pas d’exploiter davantage les ressources minérales, mais plutôt de miser sur le développement technologique », confie Katsumi Hirano, de l’Organisation japonaise du commerce extérieur (JETRO).
L’événement a eu son lot de déclarations ouvrant une nouvelle vision pour les relations économiques entre l’Afrique et ses partenaires. Ainsi Patrick Achi, le Premier ministre de Côte d’Ivoire, a déploré que l’Afrique « ne souffre encore trop de sa dépendance aux flux commerciaux et financiers mondiaux qui font peser sur son développement une lourde incertitude face à des crises ». Aussi, selon le chef du gouvernement ivoirien, « il est venu le temps pour l’Afrique de forger son modèle de croissance ». La guerre en Ukraine et ses retombées économiques doivent être l’occasion pour le continent « de gagner en souveraineté à tous les niveaux, en passant par la préservation de la paix, la sécurité et la stabilité, la souveraineté alimentaire par la modernisation de l’agriculture, sa chaîne agricole et aquacole, le développement et l’industrialisation de la transformation de ses matières premières pour une meilleure intégration dans la chaîne des valeurs mondiales et le développement de l’innovation et des PME ».

En matière diplomatique, la Ticad a été bousculée par la rencontre entre le président Kais Saïed et le chef du Front Polisario, Brahim Ghali. Dans la foulée du rappel de l’ambassadeur du Maroc à Tunis, la presse marocaine s’est déchaînée contre l’invitation faite à l’« autoproclamée République sahraouie ». Le Japon a rappelé qu’il ne reconnaissait pas le Sahara occidental et certaines personnalités africaines ont regretté l’importance accordée à cette réception ; le président de la Guinée Bissau a quitté Tunis avant la fin de la TICAD mais son entourage a préféré évoquer « un agenda chargé » plutôt que d’y voir comme le Maroc le signe d’une protestation officielle. Macky Sall a publiquement regretté l’absence du Maroc. Du côté tunisien, si certains peuvent exprimer que la visite ait été trop médiatisée, on regrette la « sur-réaction » du Maroc, faisant observer que Brahim Ghali avait déjà été invité lors de la précédente Ticad, au Japon, et que le roi Mohammed-VI avait posé pour la même photo que lui à cette occasion.
Réparer « une erreur historique »
Quoi qu’il en soit, selon Macky Sall, « la déclaration de Tunis est un bon document qui définit les priorités du continent africain et résume les travaux de la conférence ». Le président du Sénégal considère que les pays africains doivent respecter les clauses de la Déclaration et l’actualisation du plan de Yokohama, appelant à activer le budget de 30 milliards $ alloué à l’Afrique, sur trois ans, et à accélérer la mobilisation des ressources pour réaliser les objectifs du continent. Sur le plan politique, le président Macky Sall a plaidé pour un combat plus efficace contre le terrorisme, constatant que la voie du simple maintien de la paix ne suffit pas.
De son côté, le Togo, par la voix de la présidente de son Assemblée nationale, a insisté sur l’angle diplomatique. « Nous en appelons à plus de mobilisation de nos États et réitérons notre invitation aux partenaires pour davantage d’actions coordonnées en faveur de la paix et de la sécurité », a déclaré Yawa Tsegan, devant environ 5 000 participants parmi lesquels une trentaine de chefs d’État et de gouvernement d’Afrique.
Enfin, le Japon entend réparer « une erreur historique » en plaidant pour une réforme du conseil de sécurité des Nations unies qui donne une place plus grande à l’Afrique.
@AB