Les décaissements inutilisés du Cameroun

Le Cameroun vit un paradoxe. Tandis que l’on s’inquiète, peut-être exagérément, pour la dette de ses administrations publiques et de ses entreprises, le pays n’utilise pas assez vite les facilités de crédit obtenues auprès de ses partenaires, juge une note de conjoncture.
La conjoncture économique au Cameroun est principalement marquée par la dépréciation du franc CFA par rapport au dollar, dans le sillage de l’euro. C’est ce qui ressort de la note de conjoncture de la Caisse autonome d’amortissement (CAA). Laquelle se penche également sur l’accord intervenu fin juin avec le FMI – qui a abouti à un décaissement de 79,9 millions de dollars – et les préparatifs du budget de l’année 2023.
« Ces lenteurs dans l’exécution des budgets constituent un frein important pour l’absorption rapide des financements disponibles, nécessaires pour la réalisation des projets du Cameroun, dans les délais afin d’atteindre la vision souhaitée par le chef de l’État, d’un Cameroun émergent, uni dans sa diversité, à l’horizon 2035. »
De leur côté, les chocs « exogènes » comme la guerre en Ukraine ont entraîné une flambée des prix des produits agricoles et des hydrocarbures, comme dans d’autres pays. Ce qui contribue à gonfler l’enveloppe des subventions, ou « manque à gagner » du Cameroun qui tente de maintenir stables les prix à la pompe. Ces manques à gagner auraient totalisé 317 milliards de F.CFA (483,3 millions d’euros) au premier semestre.
Les économistes tablent désormais sur une inflation de 3% en 2022, et non plus de 2% comme prévu jusque-là. Ils abaissent de 0,2 point leurs prévisions de croissance économique, à 4%. De son côté, l’Institut national des statistiques (INS) prévient du risque d’insolvabilité de certaines sociétés dont il a examiné la situation fiscale. Selon l’INS, l’endettement global des entreprises camerounaises représente 6,77 fois leurs fonds propres, se situant « bien au-dessus de la norme de solvabilité », commente la CAA.
Une dette maîtrisée
Il reste du chemin à parcourir pour assainir la situation, a reconnu le ministre des Finances, en lançant les travaux préparatifs au Budget 2023. Pourtant, il faudra prioritairement maintenir une attention à la hauteur des besoins en direction de tous les foyers de crises sécuritaires dans le pays, il faudra maintenir le soutien au carburant, et poursuivre l’apurement de la dette de l’État vis-à-vis des enseignants.
Globalement, la dette du secteur public (11933 milliards de F.CFA, 18,2 milliards d’euros) représente 45,8 du PIB, ce qui reste « dans la bonne trajectoire » par rapport à la cible fixée de 50% du PIB à fin 2024.
De plus, l’État du Cameroun (administration centrale) dispose, à fin juin 2022, auprès de bailleurs de fonds extérieurs, de 3 746,9 milliards de FCFA (5,7 milliards d’euros, hors appuis budgétaires) pour financer ses projets. Ils représentent 15,5% du PIB du Cameroun. Cette manne financière a déjà fait l’objet d’accords de prêt, mais n’a pas encore été consommée par le pays, fait observer le site Investir au Cameroun. D’où l’appellation technique de « Soldes engagés non décaissés » (SEND).
Ils sont liés à 57,7% aux conventions de financements signées avec les bailleurs de fonds multilatéraux, dont la Banque mondiale ; à 25,1% à la coopération bilatérale, dont la Chine ; et à 18,6% des prêts signés avec les partenaires commerciaux, dont le chinois ICBC.
Ces SEND devraient être totalement utilisés d’ici à 2025. Ce qui paraît difficile à respecter juge la CAA. « Pour absorber ces SEND en quatre ans, il faudrait décaisser en moyenne plus de 900 milliards de F.CFA. Pour une absorption en cinq ans, il faudrait des décaissements minimums de 700 milliards de F.CFA par an », calculent les économistes de la Caisse. Qui déplorent : « Sur les deux précédentes années, les décaissements annuels sur prêts projets n’ont pas excédé 450 milliards de F.CFA, expliqués entre autres par la crise née de la Covid-19 et l’environnement international morose ».
Et la CAA de dénoncer « les lenteurs dans le processus de l’exécution de nombre de projets ». Ces lenteurs « constituent un frein important pour l’absorption rapide des financements disponibles, nécessaires pour la réalisation des projets du Cameroun, dans les délais afin d’atteindre la vision souhaitée par le chef de l’État, d’un Cameroun émergent, uni dans sa diversité, à l’horizon 2035 ».
Afin d’apporter sa pierre à l’édifice, la CAA va publier un « catalogue » de projets et programmes actifs, qui pourraient bénéficier des décaissements promis. Ce document se veut « un outil d’aide à la communication sur l’implémentation effective des projets de l’État à financement conjoint, suivis par la CAA, ainsi qu’un curseur fiable sur la mobilisation des ressources publiques affectées ». Un outil à suivre.
@AB