La Tunisie doit limiter les obstacles à la concurrence

Un rapport de la Banque mondiale constate les lents progrès de la Tunisie pour ouvrir son économie, dans de nombreux secteurs clefs. Le – timide – rebond se poursuivra en 2022 et 2023, jugent les économistes qui pressent le pays de se débarrasser de ses pesanteurs.
Par Laurent Soucaille
« La reprise de l’économie est lente, ce qui exacerbe les pressions sur les finances publiques », juge la Banque mondiale. L’institution publie un rapport de conjoncture sur la Tunisie, intitulé Réformes économiques pour sortir de la crise. Après une récession de 9,2% en 2020, le pays a enregistré une croissance estimée à 3% l’an dernier, un niveau bien inférieur aux attentes initiales.
En conséquence, l’économie de la Tunisie s’est contractée bien davantage que celle de ses voisins comparables de la région. Cette lenteur de la reprise a accru le chômage, qui a atteint jusqu’à 18,4% de la population active au troisième trimestre.
«Pour sortir de cette crise, la Tunisie doit adopter des réformes décisives visant à promouvoir le développement du secteur privé, stimuler la compétitivité et créer plus d’emplois, en particulier pour les femmes et les jeunes », résume Alexandre Arrobbio, représentant résident de la Banque mondiale en Tunisie.
Les économistes passent au crible les facteurs potentiels de la lenteur de la reprise en Tunisie. La mobilité est revenue aux niveaux prépandémie suite à l’accélération de la campagne de vaccination, depuis juillet 2021 ; le plan de relance de la Tunisie est comparable à ceux mis en œuvre chez ses voisins. Ces deux facteurs ne constituent pas des arguments convaincants.
En revanche, la structure de l’économie tunisienne, notamment sa dépendance au tourisme, a sans doute exposé davantage le pays au choc négatif de la demande. En effet, les hôtels, cafés et restaurants et les transports sont les secteurs qui se sont le plus contractés depuis le début de la crise. « Bien qu’elles n’expliquent pas entièrement la lenteur de la reprise, les pertes de ces secteurs expliquent une part importante des effets négatifs de la crise en Tunisie. »
Surtout, les fortes restrictions des investissements et la concurrence semblent être un autre facteur déterminant de la mauvaise performance économique de la Tunisie pendant la pandémie. Ces restrictions limitent la réallocation des ressources, « ce qui est particulièrement important à un moment où de nouvelles activités doivent remplacer celles qui ont été négativement affectées par la pandémie ».
Et les experts de la BM de déplorer la rigidité de l’économie tunisienne, « une conséquence de la sur-réglementation des marchés de biens et services et des facteurs de production ».
Des marchés financiers méfiants
Ces rigidités comprennent « des réglementations complexes en matière de restructurations et obsolètes en matière de faillites, ainsi que le manque d’institutions qui facilitent l’évaluation des risques de crédit et de produits financiers adaptés aux entreprises viables subissant des chocs ».
Les finances publiques restent sous tension, malgré la réduction du déficit budgétaire, revenu à 7,6 % du PIB en 2021, à la faveur de l’augmentation des recettes fiscales – tirées par la TVA.
Néanmoins, les déficits accumulés ont porté la dette publique à 84 % du PIB en 2021. L’augmentation de la dette, l’absence de réformes et le retard dans les négociations avec le FMI ont exclu le gouvernement tunisien des marchés financiers internationaux, avec une dégradation de la notation souveraine en 2021. Le recours par le gouvernement du financement par la Banque centrale a « évincé » une partie du secteur privé et a contribué à l’accélération de l’inflation, portée à 6,4% en 2021.
La maîtrise de la pandémie ainsi que les réformes structurelles sont nécessaires pour sortir de la crise, poursuit la BM. Selon les prévisions de son bureau au Maghreb, la reprise restera lente en 2022 et 2023, « à moins que des réformes structurelles décisives n’abordent les rigidités ». Néanmoins, la baisse progressive du déficit budgétaire devrait se poursuivre.
Tout risque n’est pas écarté, au contraire. L’atteinte des objectifs dépendra de plusieurs facteurs, notamment de la capacité du gouvernement à contenir la pandémie, à financer les déficits publics et le remboursement de la dette, et à maintenir la stabilité macroéconomique du pays. « Pour cela, un climat politique, économique et social propice à la mobilisation des ressources et la confiance des investisseurs est nécessaire. »
C’est d’ailleurs dans ce sens que les négociations pour un – indispensable – programme avec le FMI ont été entamées.
Le rapport de la BM détaille « les barrières à l’allocation optimale des ressources » que le gouvernement doit lever.
Pistes pour une trajectoire durable
Premièrement, l’État fausse la concurrence sur les marchés par le biais de contrôles a priori. La réglementation tunisienne restreint la concurrence dans la majorité des secteurs productifs, y compris ceux qui génèrent des externalités, limitant l’entrée de nouvelles entreprises et facilitant la collusion entre les entreprises établies.
Deuxièmement, l’État supplante le secteur privé par la propriété directe d’entreprises publiques qui bénéficient, de surcroît, d’un traitement préférentiel. Troisièmement, malgré des progrès récents, le cadre institutionnel et réglementaire de la politique de la concurrence reste en cours de développement et ne protège pas les acteurs du marché contre les pratiques commerciales anticoncurrentielles.
Le domaine de l’électricité, par exemple, est fermé aux investissements privés, sauf pour la production à partir de sources d’énergie renouvelables, mais la STEG – monopole public – contrôle la transmission et la distribution.
Aussi les experts jugent-ils indispensable de limiter les obstacles à la concurrence et à la faiblesse de l’application des règles pour aider l’économie tunisienne à sortir de la crise, à retrouver une trajectoire durable et à profiter aux ménages via plus d’opportunités d’emplois et un meilleur pouvoir d’achat.
Une approche globale plutôt que sectorielle pourrait être nécessaire pour supprimer les restrictions à la concurrence. Le renforcement du Conseil de la Concurrence est également crucial pour garantir l’application de pratiques de concurrence loyale dans tous les secteurs.
@LS