Comment mieux financer l’action climatique ?

L’accord historique conclu lors de la conférence Cop27 en vue de dédommager les nations africaines pour les pertes et dommages liés au changement climatique est le bienvenu, mais il est nécessaire de financer davantage l’adaptation et l’atténuation.
Sans se contenter des résultats de la Cop27 à Sharm El-Sheikh, les dirigeants africains continuent d’exiger une révision de l’architecture actuelle de financement du climat afin de répondre aux besoins d’adaptation et d’atténuation du continent. Kevin Urama, économiste en chef de la BAD (Banque africaine de développement), a déclaré que la structure du financement mondial de la lutte contre le changement climatique rendait beaucoup plus difficile l’obtention de fonds pour les pays en développement considérés comme « à haut risque ».
« Nous devons faire nos devoirs. Il s’agit de fournir une base, une base factuelle, sur ce que nous considérons comme des pertes, sur ce que nous considérons comme des dommages. »
« Nous savons que le changement climatique est un accélérateur de risque pour les pays, et nous savons aussi que l’aversion au risque ne permettra pas au financement climatique d’affluer vers les pays plus vulnérables au climat. Par conséquent, « il est mal aligné avec les objectifs que nous avons fixés en termes de renversement de la vulnérabilité et des risques climatiques », considère le vice-président de la BAD.
Le manque de financement
Kevin Urama (photo ci-dessous) note l’énorme déficit de financement du climat pour l’Afrique, qui a besoin de 1 600 milliards de dollars d’ici à 2030. Les CDN sont des objectifs climatiques convenus que chaque pays s’est fixés conformément à l’accord de Paris sur le climat de 2015, qui vise à maintenir le réchauffement de la planète bien en deçà de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels – idéalement en deçà de 1,5 °C.
Depuis, les CDN ont été révisés pour devenir plus ambitieux, et l’Afrique aura besoin de 3 000 milliards $ si elle veut atteindre ces nouveaux objectifs. Mais ce que le continent a reçu jusqu’à présent est très loin de cela. Entre 2016 et 2019, les pays africains n’ont reçu que 18,3 milliards $ de financement climatique, ce qui se traduit par un déficit de financement de 108 milliards $ par an en dessous des projections de besoins moyens de 2020 à 2030.
Lors de la Cop27 en novembre, un accord historique a été conclu pour fournir un fonds dédié pour aider les pays en développement à répondre aux « pertes et dommages » liés au changement climatique, ainsi qu’un comité de transition chargé de faire des recommandations sur la manière de rendre opérationnels les nouveaux arrangements de financement lors de la Cop28. Pourtant, la compensation des pertes et dommages n’est pas une solution à l’absence de financement de l’adaptation et de l’atténuation pour aider l’Afrique à se préparer aux changements à venir.
« Les pertes et dommages sont liés à l’adaptation et à l’atténuation, car ils surviennent lorsque les efforts de réduction des émissions ne sont pas assez ambitieux et lorsque les efforts d’adaptation échouent ou sont impossibles à mettre en œuvre », explique le World Resources Institute.
Le secteur privé peut faire plus
Alors que les gouvernements sont sous pression lors des réunions annuelles de la Cop pour qu’ils apportent davantage de soutien, le secteur privé pourrait fournir beaucoup plus de fonds.
Hanan Morsy (photo ci-contre), économiste en chef et secrétaire exécutive adjointe de la CEA (Commission économique des Nations unies pour l’Afrique), juge que le secteur privé ne contribuait qu’à un maigre 14 % de l’ensemble des besoins de financement de l’Afrique en matière de climat, un chiffre bien inférieur à celui de l’Asie et de l’Amérique latine, où il se situe entre 40 % et 50 %.
La CEA a organisé des tables rondes régionales avec les pays africains à l’approche de la Cop27 pour examiner les projets verts afin de faire correspondre l’offre et la demande avec les investisseurs potentiels. « Cet exercice s’est révélé très utile, non seulement pour mettre en relation les projets avec les investisseurs potentiels, mais aussi pour le retour d’information qu’ils reçoivent sur la manière d’améliorer la conception et la structure du projet afin de le rendre plus attractif et bancable », explique Hanan Morsy.
« En général, l’Afrique paie une prime pour le financement par rapport à d’autres pays ayant les mêmes fondamentaux, jusqu’à 250 points de base de plus, et cela a également un impact sur le secteur privé », explique-t-elle : généralement, pour les investisseurs existants, les principaux obstacles sont liés aux infrastructures, tandis que les investisseurs potentiels ont tendance à s’inquiéter de la stabilité sociopolitique.
« En fait, si vous regardez sur la base d’un projet, l’Afrique a l’un des taux de défaillance les plus bas, 5,5 %, par rapport à d’autres régions de 8 % et plus. Donc ici, se pose aussi la question de la perception. » Il est possible d’y remédier en permettant un financement moins coûteux grâce à des financements mixtes et en disposant de mécanismes de dé-risque, notamment des garanties, des outils de renforcement critique et des prises de participation, juge Hanan Morsy. « C’est pourquoi le rôle des banques multilatérales de développement (BMD) est essentiel, car elles peuvent vraiment aider à résoudre tous ces problèmes, et c’est pourquoi nous avons appelé à une meilleure recapitalisation de ces BMD. »
La CEA a également demandé la réorientation des droits de tirage spéciaux du FMI vers les banques multilatérales de développement afin de favoriser les pays africains.
Le fonds pour les pertes et dommages ne suffit pas
Lors de la Cop27, des progrès ont été réalisés en faveur des pays africains, mais il faudra faire beaucoup plus, ont déclaré les délégués. Hanan Morsy salue le fonds pour les pertes et dommages comme « une étape très positive et bienvenue », mais juge qu’un mécanisme devait être établi sur la façon dont l’argent est dispersé et dépensé.
Raymond Gilpin, du PNUD, considère que la création du fonds était « mieux que rien, mais cela ne répond pas à la question ». À savoir : comment trouver des sources de financement à des prix compétitifs, afin de s’assurer que les infrastructures nécessaires pour faciliter une transition juste sont prises en charge ? « Et cela doit inclure le financement mixte, la réduction des risques. Il faut également inclure des aspects de concessionnalité dans le financement. »

Selon Raymond Gilpin, le financement doit être à long terme. Il n’y a vraiment pas de consensus sur ce qui est réellement perdu et endommagé. « Donc, même si je suis admissible, pour quel montant ? Je pense que l’on aurait pu faire beaucoup plus. » En plus de définir les pertes et les dommages, les pays africains doivent également fournir des preuves de leur lien avec le changement climatique, juge de son côté Youba Sokona, vice-président du GIEC ». « Nous devons faire nos devoirs. Il s’agit de fournir une base, une base factuelle, sur ce que nous considérons comme des pertes, sur ce que nous considérons comme des dommages », confie-t-il à African Business, ajoutant que cela donnerait aux pays les plus vulnérables au climat une position plus forte à la table des négociations.
Comprendre l’urgence
L’urgence climatique a déjà un impact sur de nombreux pays africains, nous le savons.
Winnie Cheche, une militante kenyane pour le climat qui a assisté considère que la première tranche de financement des pertes et dommages aurait dû être engagée lors de la Cop27. « Il est important qu’ils l’aient reconnu mais cela ne cesse d’être reporté et nous avons déjà des gens qui souffrent… Nous avons perdu des vies, des gens ont perdu leur bétail. Vous savez que la situation est grave lorsque vous avez une communauté où quelqu’un n’est pas en mesure d’enterrer son bétail. Ils meurent simplement de la chaleur et sont laissés sur le sol. »
Pour Winnie Cheche, ces communautés n’« ont pas d’autre Cop pour négocier… Je crois que si les pays riches voyaient vraiment l’urgence du besoin, ils feraient le chèque, car je crois que les fonds sont là. Mais le fait que les gens ne voient pas vraiment à quel point c’est sérieux, et ne se donnent la peine de donner, entrave tout ».
@AB