Comment financer le développement des villes ?

En dehors des grandes métropoles, les villes africaines peinent à trouver les capitaux nécessaires à leur développement. Si les projets ne manquent pas, le risque financier associé dissuade les investisseurs. L’ingénierie financière peut-elle y répondre ?
Les villes représentent un tiers du PIB/habitant de l’Afrique et font pourtant face à une pénurie de ressources ainsi que d’une fiscalité peu efficiente. Comment, dès lors, améliorer la capacité des collectivités locales ? Ainsi la dynamique association « Je m’engage pour l’Afrique » a-t-elle présenté sa conférence sur l’avenir économique des villes africaines, qui s’est tenue le fin juin 2023 à Paris.
Les intervenants ont principalement pris acte des difficultés des grandes institutions internationales, des États, à financer efficacement le développement. Un constat général : si les capitaux, a priori, ne manquent pas, il est difficile d’orienter les investisseurs vers des projets d’infrastructures, de développement local. Pour beaucoup, le risque financier encouru est trop grand. D’où l’intervention de mécanismes nouveaux pour « dérisquer » l’investissement. Ils ont le mérite d’exister, ont fait leurs preuves, mais ne constituent pas une panacée, ont reconnu les intervenants.
L’État s’adresse à des associations, des élus locaux, pour lui soumettre des projets. Avec ses partenaires, il fixe des objectifs de résultat. Puis il propose à des investisseurs privés de prendre en charge les investissements.
Alexis Aquereburu est maire d’Aného, une ville côtière du Togo. Depuis 2019, sa commune mise sur le tourisme pour se développer. Attention, « pas à n’importe quel prix », prévient-il. Dans cette ville pétrie de culture située à 40 kilomètres de Lomé, il s’agit de promouvoir un tourisme respectueux de la nature, une industrie à la fois propre et créatrice d’emplois, notamment pour les jeunes. Chaque entreprise qui souhaite s’implanter reçoit un cahier des charges en ce sens. L’économie circulaire est encouragée : les déchets sont valorisés pour servir in fine aux plantations, à la reconstitution de la mangrove. Qui seront autant d’atouts pour attirer les touristes et implanter durablement l’économie locale.
En attendant ce cercle vertueux, il faut bien trouver des fonds pour miser sur les projets. « Quel pacte financier proposer aux villes ? », s’interroge Nicolas Jean, associé du cabinet Gide Loyrette Nouel. Tandis que les villes ont beaucoup de besoins, les entrepreneurs trouvent difficilement les financements nécessaires, constate le juriste. Les États n’arrivent plus à s’endetter à taux convenables et même les banques africaines boudent les projets. Reste la solution des PPP (Partenariats public-privé) quand l’État peine à jouer son rôle. Certes, il existe de nombreux partenariats internationaux, y compris « Sud-Sud », mais les financements peinent à suivre.
Il faut parfois dix ans pour convaincre
« Faut-il alors changer de modèle ? », s’interroge la financière Emmanuelle Nasse-Bridier, qui représente le fonds Meridiam, qui mobilise des capitaux mixtes pour les projets des villes africaines.
Avec la Fondation Rockfeller, elle cherche des capitaux partout, y compris chez les philanthropes, qui ont des exigences spécifiques. Face à la frilosité des investisseurs institutionnels, il faut des outils d’ingénierie financière pour les convaincre de prendre des risques. Associer les banques de développement pour une prise en charge collective des risques permet de réduire ces derniers, donc d’attirer des capitaux privés. « Même s’il faut parfois dix ans pour convaincre ! »

La gestion des déchets, par exemple, exige des financements de l’État, mais également le concours d’entreprises privées qui seraient intéressées à la valorisation des déchets. L’État pouvant aussi assurer le rôle de client final, en s’engageant à racheter des briques plastiques destinées à la construction, par exemple.
Certes, les modèles de financement occidentaux ont du mal à s’adapter aux réalités africaines, toutefois, « nous faisons des progrès en ce domaine », juge la financière.
De son côté, Karim Aittalb, directeur général de Geocoton, plaide pour que l’on prenne davantage la dimension agricole du développement des villes moyennes. Ces dernières ne peuvent se développer sans structurer un réseau d’agripreneurs ; ce qui suppose aussi de former les compétences locales. Selon lui, « il existe de multiples opportunités d’investissements en Afrique et depuis peu, le continent devient compétitif ». Reste à améliorer le climat des affaires ; taxes élevées, infrastructures insuffisantes, formations à améliorer, etc. Néanmoins, les choses progressent, juge l’industriel, qui en veut pour preuve l’évolution de son groupe, qui progressivement, n’emploie plus que des Africains, y compris aux postes de responsabilité. Et le dirigeant d’appeler à la création de nouveaux véhicules financiers privés, pilotés par des personnes ayant conscience des enjeux et des réalités locales.
Revenir aux bases
Évoquant les nouveaux mécanismes de financement, l’universitaire Maya Tira rappelle que l’ingénierie financière peut aussi se mettre au service de l’Afrique. Des produits spécifiques comme les Green bonds permettent de capter des capitaux. D’autres mécanismes peuvent s’adapter à la réalité africaine. La solution des PPP, quoique parfois décriée, figure toujours parmi les options sur la table.
Prudent, Philippe Zaouati, patron de la société d’investissement Mirova, se méfie des « innovations financières » qui sont, parfois, éloignées des préoccupations concrètes. Selon lui, il faut revenir « aux bases » du financement : bien identifier les projets, les structurer, en évaluer les risques, puis les financer. Sachant, reconnaît-il, que bien souvent, « la perception du risque est trop forte ». Alors, on se tourne vers les États pour « dérisquer » les investissements. « Une solution indispensable mais qui ne peut être que temporaire », commente-t-il.
Sans ignorer les critiques, Cristophe Wartel, directeur de Global Sovereign Advisory rappelle que les PPP ont connu quelques réussites, dans le monde. Dans le seul domaine des infrastructures publiques, les PPP sont il est vrai peu nombreux, une quinzaine de projets seulement en Afrique. « Ils sont complexes, le coût en capital les rend onéreux et sont une source d’aggravation de la dette publique. »
Jemila Donty préside aux destinées de Koraï, une association qui restaure les coraux. Comment financer de tels projets, qui ne rapportent pas de bénéfices financiers directs ?
Il existe une solution, là encore difficile à généraliser, mais au principe novateur qui permet de mutualiser le risque. Celle de la logique du paiement aux résultats, selon des objectifs (environnementaux, sociaux…) précis.
L’État s’adresse à des associations, des élus locaux, pour lui soumettre des projets. Avec ses partenaires, il fixe des objectifs de résultat. Puis il propose à des investisseurs privés de prendre en charge les investissements. Une fois le projet réalisé selon les objectifs, il revient à l’État de rémunérer l’apporteur de capitaux, moyennant des intérêts convenus.
L’avantage pour l’État est qu’il n’a pas à supporter les premiers investissements, qu’il gagne en « manque à dépenser » durant la durée du chantier, et qu’il ne supporte pas directement les risques. L’avantage pour l’apporteur de capitaux est d’avoir la garantie de l’État dans le remboursement de son avance, et de vérifier que les projets ont été convenablement sélectionnés. Réunir plusieurs opérateurs dans divers projets permettrait de mutualiser les risques de défaut.
De toutes les solutions sur la table, le moyen reste le même : établir un niveau intermédiaire entre l’investisseur et le projet final, afin d’en réduire les risques.
@AB