Les usines de dessalement ont de l’avenir

Les gouvernements et les investisseurs étrangers investissent des milliards dans des projets visant à transformer l’eau de mer en eau potable. Rencontres avec les entreprises qui exploitent les nouvelles technologies pour faire face à la crise de l’eau en Afrique.
Par Will McBain
Depuis trois ans, la population d’Agadir, sur la côte Atlantique sud du Maroc, est aux prises avec la sécheresse. Celle-ci a contraint les autorités à détourner l’eau des barrages destinés à l’irrigation agricole vers des zones résidentielles, afin de fournir de l’eau potable à un demi-million de personnes.
L’agriculture, à Agadir, a beaucoup souffert des champs desséchés et des rendements nuls, avec une température pouvant atteindre 49 degrés en août, la température la plus élevée jamais enregistrée dans le royaume.
« L’Égypte a réussi à exploiter l’énergie solaire et éolienne avec des rendements supérieurs à la moyenne, ce qui rend l’efficacité de ses usines très attrayante. Ces tarifs compétitifs deviennent maintenant une base solide pour permettre et alimenter une technologie plus durable. »
La canicule a également battu des records, durant l’été 2021, en Tunisie, tandis que les Nations unies prévenaient que Madagascar était au bord de sa première famine induite par le climat, après des mois sans pluies.
La pénurie d’eau est placée en tête des agendas politiques, et les gouvernements nord-africains investissent dans des usines de dessalement d’eau. Le gouvernement algérien met en œuvre un nouveau plan d’urgence qui se concentre sur le dessalement de l’eau de mer pour son approvisionnement en eau potable. De son côté, la Tunisie accélère sa production d’eau potable en augmentant ses investissements dans des usines de dessalement.
Tandis qu’en Égypte, le fonds souverain noue des partenariats financiers pouvant atteindre 2,5 milliards de dollars, pour construire et exploiter 17 nouvelles usines de dessalage à énergie solaire, d’ici à 2025. Le gouvernement égyptien va directement investir 8,5 milliards $, à horizon 2050, pour construire 47 usines de dessalement d’eau de mer dans le cadre de partenariats public-privé, augmentant ainsi sa capacité de dessalement de 6,4 millions de mètres cubes par jour.
« L’Égypte a réussi à exploiter l’énergie solaire et éolienne avec des rendements supérieurs à la moyenne, ce qui rend l’efficacité de ses usines très attrayante. Ce qui a contribué à créer une base de coût faible pour les unités énergétiques. Ces tarifs compétitifs deviennent maintenant une base solide pour permettre et alimenter une technologie plus durable », se félicite Ayman Soliman, PDG du Sovereign Fund of Egypt.
Révolution technologique
ACWA Power, le géant saoudien de l’énergie et du dessalement, étudie plusieurs opportunités d’installation d’usines d’osmose inverse d’eau de mer – une technique de séparation de l’eau et du sel –, en Afrique du Nord. Elles seraient alimentées par l’énergie solaire, éolienne ou une combinaison des deux.
« L’Égypte présente une opportunité précieuse pour nous de diriger la transition énergétique et de fournir de l’eau et de l’électricité de manière fiable et responsable. Nous sommes ravis de participer aux plans de développement du pays et à la transition vers un avenir plus vert », commente Thomas Altmann, vice-président exécutif de l’innovation et des nouvelles technologies.
La plupart des 20 000 usines de dessalement dans le monde utilisent l’une ou l’autre des catégories suivantes. La mer, les déchets, les eaux saumâtres et d’autres catégories d’eau sont chauffées pour obtenir une vapeur pure qui est refroidie en eau potable. Autre technique : de puissantes membranes poussent l’eau à grande pression à travers des filtres pour extraire le sel et d’autres impuretés.
Les entreprises de dessalement fournissant l’eau potable aux distributeurs, utilisateurs finaux résidentiels, commerciaux et gouvernementaux. Pourtant, les installations sont souvent coûteuses à construire, énergivores et dommageables pour l’environnement. En effet, le sous-produit du dessalement est la saumure, qui, combinée à d’autres produits chimiques nocifs utilisés pendant le processus de dessalement, peut ruiner les écosystèmes lorsqu’elle est renvoyée en mer.
Les perspectives à long terme du dessalement en tant que stratégie clé dans le mix de sécurité de l’eau en Afrique ont été renforcées ces dernières années. Ce, à mesure que les énergies renouvelables deviennent plus efficaces et que la méthode de conversion de la saumure et d’autres déchets de dessalage en produits utiles rendent les installations plus rentables. En effet, on peut désormais produire et conserver de l’acide chlorhydrique, par le biais de procédés chimiques standard.
Un nouveau développement sur la technologie des membranes – l’osmose inverse (OI) – nécessite moins de pression et d’énergie pour filtrer l’eau, réduisant encore les coûts d’exploitation.
Les efforts pour combiner OI et énergie renouvelable en sont à leurs balbutiements, mais les développements dans les systèmes de stockage d’énergie renouvelable – tels que les installations de stockage d’énergie solaire thermique, et des batteries lithium-ion –, motivent davantage de gouvernements à se pencher sur le dessalement renouvelable.
Des pompes, des membranes et des dispositifs de récupération d’énergie plus efficaces signifient que les usines utilisent désormais un quart de l’électricité qu’elles consommaient dans les années 1980.
Au-delà de l’Afrique du Nord
Les projets égyptiens de dessalement renouvelable sont en partie motivés par des projets visant à créer de nouvelles villes loin de la vallée du Nil. L’eau de dessalement peut être utilisée aussi pour irriguer les terres agricoles. Le dessalement est une forme d’assurance contre les conséquences possibles du projet du Grand Ethiopian Renaissance Dam, dont le Caire craint qu’il ne menace son approvisionnement en eau.
« Il s’agit d’une stratégie très tournée vers l’avenir et c’est une classe d’actifs attrayante pour laquelle nous investissons à long terme », considère Ayman Soliman. « Le marché est grand ouvert pour les développeurs car nous savons qu’il existe une demande croissante et soutenue de capacités de dessalement. »
L’Afrique est très avide d’énergies renouvelables et de dessalement, et « cela représente une opportunité de créer un pôle d’approvisionnement pour le reste du Moyen-Orient et de l’Afrique, en localisant les composants des technologies de dessalement en Égypte », poursuit le dirigeant du Sovereign Fund of Egypt.
Selon l’ONU, plus de 40 % de la population mondiale souffre de pénuries d’eau, et plus de 700 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, tandis que près de 2 milliards de personnes ont besoin de sources supplémentaires d’eau douce.
En 2018, après des années de précipitations anémiques, les autorités locales du Cap ont averti que la ville approchait du « jour zéro », lorsque l’approvisionnement municipal serait coupé pour économiser l’eau.
Jayant Bhagwan, directeur exécutif de la Water Research Commission d’Afrique du Sud, a déclaré que la lenteur de l’adoption des énergies renouvelables par l’Afrique du Sud et sa dépendance à l’énergie du charbon signifient que la stratégie à court et moyen termes de l’Afrique du Sud doit se concentrer sur le recyclage des eaux usées, tout en promouvant une utilisation raisonnable de l’eau et en réparant les infrastructures existantes.
« Nous savons que 40% à 50% des problèmes de pression d’eau sont liés au gaspillage, alors oui, nous favorisons l’efficacité de l’utilisation de l’eau dans l’industrie et dans l’agriculture. Mais d’ici dix à quinze ans, l’adoption du dessalement s’accélérera, dans le cadre de besoins permanents d’approvisionnement en eau. »
De nouvelles technologies apparaissent
En Afrique de l’Est, la start-up berlinoise Boreal Light a développé WaterKiosk, pour fournir des systèmes de dessalage à énergie solaire à 23 hôpitaux kenyans, fournissant plus d’un million de litres d’eau potable par jour. L’entreprise a installé des systèmes similaires en Tanzanie, à Madagascar et en Somalie. Le PDG de Boreal Light, Hamed Beheshti, chiffre qu’un million de personnes en Afrique s’approvisionnent auprès de WaterKiosk.
Alors que la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards d’ici 2050 – avec environ les deux tiers de cette croissance en Afrique –, des technologies de l’eau supplémentaires seront nécessaires.
Le chantier reste ouvert, fait observer Ayman Soliman : « Il existe d’autres technologies émergentes durables qui utilisent la vapeur d’eau dans l’air pour créer de l’eau potable, de sorte que ces solutions nouvelles pourraient émerger pour répondre aux besoins de l’Afrique. »
WM