Banque mondiale : entre espoirs et débats passionnés

Un nouveau président de la Banque mondiale pendra ses fonctions en juin 2023. Ajay Banga disposera-t-il des outils nécessaires pour révolutionner l’institution ? Et que peut en attendre l’Afrique ?
Dans les années 1990, alors qu’il panait du poulet dans un restaurant Kentucky Fried Chicken à Delhi, Ajay Banga ne songeait sans doute pas qu’il dirigerait un jour la plus grande institution de développement du monde, la Banque mondiale. À l’époque, ce sikh, né à Pune, dans l’État du Maharashtra, était directeur du marketing de PepsiCo en Inde et travaillait en cuisine pour se faire une idée de ce qu’était la gestion d’un restaurant.
« La Banque mondiale, à travers la BIRD pourrait prêter de manière plus sûre en fonction du montant du capital dont elle dispose, et cela se traduirait par une augmentation des prêts pour l’Afrique. »
Aujourd’hui âgé de 63 ans, « il a passé plus de trois décennies à construire et à gérer des entreprises mondiales prospères qui créent des emplois et apportent des investissements aux économies en développement, et à guider des organisations à travers des périodes de changement fondamental », a déclaré Joe Biden en annonçant la nomination de Ajay Banga en remplacement de David Malpass.
Son éducation indienne et son exposition aux pays en développement l’ont bien préparé aux opportunités et aux défis auxquels ces pays sont confrontés, ainsi qu’aux questions relatives à la manière dont la Banque mondiale peut atteindre son objectif principal d’éradication de la pauvreté dans le monde, a ajouté le président américain. L’économiste doit maintenant être confirmé par le conseil d’administration de la Banque mondiale, dans le cadre d’un processus qui devrait durer jusqu’en mai.
Le successeur désigné
Ajay Banga entre en fonction à un moment où les taux de pauvreté, la dette et la stagflation explosent dans le monde en développement. Mais c’est aussi un moment où la Banque mondiale subit un changement structurel critique. David Malpass a démissionné brusquement le 15 février après avoir été dénoncé par des groupes environnementaux comme un « négationniste du climat ».
D’ailleurs, on ne s’attendait pas à ce que David Malpass se voie offrir un second mandat. Il avait survécu aux appels à la démission lancés en septembre après avoir répondu de manière maladroite à la question de savoir s’il croyait au consensus scientifique sur le changement climatique. Il s’est heurté à plusieurs reprises à la secrétaire d’État américaine au Trésor, Janet Yellen, au sujet du rythme des réformes visant à modifier la manière dont la Banque mondiale répond aux besoins des pays confrontés à des défis communs.
David Malpass avait également traîné les pieds pour financer les vaccins Covid-19 destinés aux pays à faible revenu, par le biais du programme d’équité COVAX. Et son mandat n’a pas été de tout repos, rappelle Amanda Glassman, vice-présidente exécutive et membre senior du Center for Global Development à Washington. « M. Malpass a supervisé une augmentation considérable des décaissements pour faire face à une succession rapide de crises, du Covid-19 à la sécurité alimentaire. »
Pendant la pandémie, la Banque mondiale a aidé les pays à atteindre des milliards de personnes avec des transferts en espèces pour atténuer les pertes de revenus du travail, les interruptions de scolarité, etc. Il a également attiré l’attention sur le manque de transparence de la dette souveraine dans les pays en développement et sur son rôle dans la crise actuelle de la dette dans le monde.
Le profil de Ajay Banga est également perçu comme une rupture avec le profil « homme d’argent » qui a longtemps dirigé l’institution. David Malpass, ancien économiste en chef de Bear Stearns, n’a pu qu’assister à l’effondrement de la banque d’investissement au début de la crise financière mondiale. Avant lui, Paul Wolfowitz, a été l’architecte de la guerre en Irak.
Ce que Banga signifie pour l’Afrique
Parce qu’il est une personne issue du monde en développement, la nomination d’Ajay Banga a suscité l’espoir qu’il sera mieux à même que ses prédécesseurs de répondre aux besoins des pays en développement. « De nombreuses décisions politiques et opérationnelles de la Banque mondiale sont malheureusement prises du point de vue de Washington et du point de vue des principaux actionnaires non-emprunteurs », fait observer Chris Ferai, chercheur auprès de l’ODI (anciennement Overseas Development Institute). Qui redoute que dès lors, « le point de vue des bénéficiaires soit parfois un peu moins bien pris en compte ».
Lorsqu’il était PDG de Mastercard, Ajay Banga a réalisé des investissements considérables en Afrique. Au plus fort de la pandémie, il a été le fer de lance de l’une des plus grandes initiatives privées visant à aider le continent à lutter contre la pandémie : 1,3 milliard de dollars sur trois ans pour vacciner 50 millions de personnes.
Mais en tant que président de la Banque mondiale, ses décisions d’investissement devront être équilibrées en fonction des différents intérêts des actionnaires de la Banque : qui sont les gouvernements des nations membres.
De nombreux pays africains peuvent bénéficier du fonds de la Banque mondiale destiné aux pays les plus pauvres, l’Association internationale de développement. L’AID prête à des conditions plus favorables que celles que l’emprunteur pourrait obtenir sur le marché. Ces dernières années, elle a accordé des prêts aux gouvernements africains à des taux plus élevés pour faire face à la dette, à la sécurité alimentaire et aux conséquences de la pandémie. Et ses coffres doivent être réapprovisionnés.
Selon Amanda Glassman, une demande massive de refinancement des prêts bancaires par les emprunteurs se profile à l’horizon 2024 : « Il serait inacceptable que la Banque entreprenne une réforme majeure pour relever les défis mondiaux tels que le climat et les risques de pandémie, tout en permettant à l’IDA de ne pas être réapprovisionnée de manière significative – et jusqu’à présent, les actionnaires les plus riches ne se sont pas mis d’accord sur un nouveau paquet de financement. »
La façon dont le surendettement sera géré est également un sujet d’intérêt majeur. Près de 60 % des pays africains à faible revenu sont soit en situation de surendettement, soit à haut risque. Il y a vingt ans, de nombreux pays d’Afrique subsaharienne ont bénéficié de l’initiative d’annulation de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE). Mais les temps et les détenteurs de la dette ont changé, ne laissant d’autre choix aux gouvernements que d’emprunter à des taux d’intérêt élevés auprès de pays comme la Chine.
« Il y a peu d’appétit pour l’annulation pure et simple de la dette. Le rôle de la Banque mondiale et des autres banques multilatérales de développement sera donc absolument central pour combler les écarts budgétaires », explique Amanda Glassman.
L’heure des réformes
La Banque est également confrontée à un moment critique de son histoire, alors que les pays membres actionnaires demandent des changements radicaux dans son mode de fonctionnement, afin de garantir des prêts plus importants pour lutter contre le changement climatique et d’autres crises mondiales.
En juillet, le Groupe des 20 principales économies a publié un rapport intitulé « Examen du cadre d’adéquation des fonds propres du G20 », selon lequel les banques multilatérales de développement comme la Banque mondiale pourraient débloquer des centaines de milliards de dollars de nouveaux prêts pour les pays à faible revenu, si elles acceptaient de prendre de nouveaux risques calculés. Dans le passé, la Banque mondiale a été accusée d’être trop conservatrice dans ses prêts et sa prise de risque, afin de préserver sa notation triple A.
Parmi les deux institutions qui composent la Banque mondiale, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) prête aux gouvernements des pays à revenu intermédiaire et des pays à faible revenu solvables, et l’Association internationale de développement (IDA) aux autres. Une grande partie de l’Afrique a traditionnellement été plus dépendante de l’IDA.

Mais l’examen du cadre d’adéquation des fonds propres révèle que la BIRD pourrait en fait jouer un rôle plus important, en augmentant ses prêts de centaines de milliards de dollars par rapport aux niveaux actuels, considère Amanda Humphrey, qui est l’un des auteurs du rapport.
« Ce que nous soutenons, c’est que la BIRD pourrait prêter de manière plus sûre en fonction du montant du capital dont elle dispose, et cela se traduirait par une augmentation des prêts pour l’Afrique », nous confie-t-il.
Compte tenu de l’ampleur de la tâche à accomplir, il faudra plus qu’un nouveau dirigeant pour faire avancer le type de réformes nécessaires à la Banque, estime Hannah Ryder, PDG de Development Reimagined. « Il y a tellement de choses à démêler dans l’organisation que seul un nouveau dirigeant mandaté pour des réformes assez radicales serait vraiment capable de les réaliser. Il pourrait faire une grande différence, mais il doit être prêt à entreprendre des réformes internes importantes. Et il ne s’agit pas seulement du changement climatique. Il s’agit aussi de ces autres questions. »
Que peut faire le prochain président de la Banque mondiale ?
@NA