Agroécologie : France, encore un effort !

Une étude indépendante lève un coin du voile sur les Aides publiques au développement de la France vers les pays en développement, notamment ceux de l’Afrique de l’Ouest. Elle constate que les réalisations sont loin des discours en faveur de la transition écologique.
Par Laurent Soucaille
« Une pincée pour l’agroécologie, une louche pour l’agro-industrie. » Trois ONG françaises, Action contre la faim, Terre solidaire, Oxfam France, dénoncent dans une étude détaillée le – relatif – manque d’intérêt et de moyens financiers accordés à l’agroécologie par la France.
Si celle-ci, à travers ses différentes structures (ministères, Agence française de développement, Bpifrance, etc.) tient un discours favorable à la transition écologique, les moyens ne suivent pas dans l’Aide publique au développement (APD), regrettent ces associations. Pire, dénoncent-elles, certains projets agro-industriels sont, inutilement, privilégiés.
Seuls 13,3% des soutiens financiers français engagés entre 2009 et 2018 à destination des pays éligibles à l’Aide publique au développement ont réellement bénéficié à la transition agroécologique. Et seuls 40% de ces fonds l’ont été sous forme de dons.
Les associations considèrent également que les aides à l’exportation de produits agricoles, fussent-ils issus d’une agriculture soucieuse de l’environnement, sont accordées au détriment des filières courtes.
Pour ces associations, il n’est pas possible de soutenir en parallèle ces deux modèles, l’agriculture industrielle d’un côté et l’agroécologie de l’autre. « Ils sont aux antipodes l’un de l’autre, ne sont en aucun cas complémentaires et ne peuvent coexister. »
Ils sont incompatibles politiquement, parce que les subventions de l’un affaiblissent l’autre. Et ne sont pas compatibles techniquement, car les impacts négatifs du modèle agro-industriel sont tels qu’ils amoindrissent et hypothèquent, sur le temps long, toute possibilité de transition agroécologique. La crise climatique offre de ce point de vue une terrible illustration.
La France est un des rares pays à se présenter comme champion de l’agroécologie, du climat et de la défense des agricultures familiales. Depuis 2014, il est incontestable qu’une partie des prises de parole et soutiens financiers vont dans ce sens. Par exemple, la France défend l’agroécologie au sein de plusieurs instances internationales, notamment au Comité de la Sécurité alimentaire mondiale.
De la diplomatie économique
« Après son retrait de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASAN), la France renforcera son appui, notamment en Afrique, et en particulier au Sahel, à un développement rural inclusif et à l’agriculture familiale », énonce le gouvernement français en 2018.
Toutefois, constatent les militants associatifs, malgré un fort ancrage politique et législatif, d’autres priorités politiques semblent coexister, et progressivement supplanter cette volonté de développement agroécologique et d’agriculture familiale. La « diplomatie économique », conduite par la Team France Export, et le ministère des Affaires étrangères, privilégie les filières d’exportations.
« Dans les faits, la conquête de nouveaux marchés dans les pays en développement supplante progressivement la lutte contre la faim ou la promotion d’un développement local, dans les prises de parole françaises », regrettent les auteurs. Qui font observer qu’au Salon de l’Agriculture d’Abidjan, en 2019, sous un vernis « écologique », la France a surtout fait la promotion de ses entreprises et start-up agro-industrielles, sous le patronage du géant de la distribution Carrefour…
De même, les auteurs s’interrogent sur l’attitude de l’AFD, au cœur de l’Aide publique au développement, et qui facture à l’occasion des réunions « business » afin d’aider les entreprises françaises à obtenir « des opportunités d’affaires ».
L’agroécologie, c’est aussi l’accaparement des connaissances, des outils, voire des capitaux, par les producteurs locaux. Voilà qui concorde mal avec un soutien étranger qui ne reposerait que sur l’acquisition de savoir-faire étranger. Bien sûr, « cela ne veut en aucun cas dire qu’agroécologie et acteurs privés ne vont pas de pair ».
Au contraire, toute transition agroécologique ne peut se passer d’entrepreneurs locaux à même de structurer et de valoriser des chaînes de valeurs et marchés agroécologiques. Pour autant, « la transition agroécologique ne peut se réaliser que dans le cadre de systèmes alimentaires locaux et territorialisés ». Voilà qui entre en contradiction avec la logique d’inclusion dans « les chaînes de valeurs mondiales » et l’hyper-concentration des acteurs.
Les auteurs de l’étude ont analysé 2 500 projets et 9 600 lignes de projets, auprès des acteurs concernés par la filière agricole, en France. Huit institutions publiques, qui pèchent parfois par leur manque de transparence, ont été passées au crible.
Une pincée insuffisante
Selon leurs calculs, seuls 13,3% des soutiens financiers français engagés entre 2009 et 2018 à destination des pays éligibles à l’APD ont réellement bénéficié à la transition agroécologique. Et seuls 40% de ces fonds l’ont été sous forme de dons, 60% sous forme de prêts, ce qui ne fait qu’accroître l’endettement des acteurs sur place.
Pire, 23,6% des soutiens analysés se sont faits au détriment d’une transition agroécologique et ont, soit été dédiés à l’augmentation des rendements, quel que soit le modèle agricole soutenu, soit au développement assumé de l’agro-industrie.

En 2018, la « pincée » en faveur de l’agroécologie a atteint 108,64 millions d’euros, contre 302,62 millions pour d’autres projets, y compris le soutien à l’industrie pétrochimique. D’un côté, le soutien aux projets ambitieux du Sénégal, de l’autre, l’aide à une production d’engrais azotée au Nigeria, regrettent les auteurs. Certes, les soutiens financiers à la transition agroécologique ont progressé, ces dernières années, mais ceux allant à d’autres projets bien moins écologiques également…
Voilà qui ferait de la France « un soutien à des agro-industries climaticides dans les pays éligibles à l’APD, au détriment d’une réelle transition agroécologique ».
Bien sûr, le nombre de projets qui vont dans le sens de la transition écologique va fortement croissant, mais le montant moyen accordé diminue. Surtout, les auteurs s’interrogent sur des aides massives accordées à certains chantiers agro-industriels, comme le financement, par Proparco (groupe AFD) de la filiale brésilienne du sucrier français Tereos. « Un projet qui renforce des acteurs déjà incontournables du secteur, alors même que l’hyper concentration des pouvoirs au sein des filières nuit à la sécurité alimentaire et au développement de l’économie locale. »
Des occasions manquées, une marge de manœuvre
Un satisfecit toutefois : en dehors du Togo, les onze pays prioritaires dans l’APD de la France – donc, clairement pas le Nigeria –, sont aussi ceux pour lesquels Paris fait le plus d’effort en faveur de l’agroécologie.
Enfin, le rapport pointe quelques « occasions manquées », comme par exemple l’appui à l’ambitieux programme de désendettement des filières en Côte d’Ivoire (FADCI). Certes, ce programme permet d’améliorer le revenu des petits agriculteurs, et porte une attention particulière à la préservation de l’environnement, aux inégalités de genre, etc. Cela dit, les aides « ne sont pas corrélées à une valorisation des pratiques agroécologiques ».
En conclusion, les auteurs se veulent volontaristes : la France dispose d’une bonne marge de manœuvre pour améliorer sa contribution à la transition agroécologique.
Au-delà de la nécessaire et urgente réorientation des soutiens financiers « non-agroécologique » français, 15% des soutiens financiers français impulsent ou soutiennent des changements systémiques sociétaux et économiques en lien avec l’agriculture sans pour autant les orienter vers l’agroécologie. « Si ces soutiens financiers sont autant d’occasions manquées par la France de promouvoir une réelle transition agroécologique, ils représentent également autant d’opportunités de rectifier le tir », concluent les auteurs.
LS