Pour une agriculture climato-intelligente

Selon le cercle de réflexion ACET, l’Afrique peut déployer davantage les nouveaux outils technologiques, le traitement des données, pour stimuler une autre forme d’agriculture. Des rendements améliorés sans épuiser les sols, grâce au numérique, une piste à suivre.
Par Aude Darc
Les pays africains doivent répondre au changement climatique. Pour cela, il leur faut mener des actions sur plusieurs fronts (agriculture, écosystèmes et énergie) afin de faire face aux menaces et transformer leurs économies.
Les dirigeants africains peuvent tirer parti de l’agriculture climato-intelligente pour augmenter la productivité agricole et renforcer la résilience des agriculteurs, explique l’ACET (African Center for Economic Transformation).
Les solutions numériques peuvent faciliter la manière dont les professionnels accèdent au financement, paient les biens et services, se connectent et traitent des affaires. Des solutions numériques peuvent également être déployées pour la détection précoce des maladies et des insectes nuisibles.
Les pays peuvent adopter des méthodes innovantes de gestion des ressources naturelles pour améliorer la résilience des écosystèmes et promouvoir une croissance inclusive.
Et ils peuvent exploiter les – considérables –ressources énergétiques renouvelables pour accélérer la transformation économique, tout en réduisant les émissions de carbone.
Ce thème est évoqué dans le Rapport sur la transformation de l’Afrique 2021, l’intégration au service de la transformation, actualisé et disponible désormais en français, après sa présentation effectuée en juillet 2021
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Intégrer pour transformer
Pour mener ces trois fronts à bien, l’Afrique doit mettre à contribution une « agriculture climato-intelligente ». Celle-ci offre « un triple gain » : augmenter durablement la productivité et les revenus agricoles ; adapter et renforcer la résilience au changement climatique ; réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Sans renier le modèle antérieur d’intensification durable des sols, une nouvelle approche tire parti des innovations technologiques pour augmenter la productivité et la rentabilité des exploitations agricoles.
On peut citer en exemple l’utilisation de nouvelles variétés de cultures qui tolèrent la chaleur et la salinité du sol et résistent aux inondations et à la sécheresse. Elle promeut des techniques de gestion telles que l’agriculture de conservation, la diversification des cultures et la lutte antiparasitaire intégrée, qui améliorent la qualité des sols et de l’eau.
L’apport de la ZLECAf
Voyons ailleurs : à Pune, en Inde, le système d’irrigation Nano Ganesh utilise des applications numériques pour contrôler à distance des pompes d’irrigation par téléphone portable, ce qui permet aux agriculteurs d’économiser du temps, de l’eau et de l’énergie.
Au Pérou, l’utilisation de la messagerie texte pour envoyer des informations sur les prix marchands des cultures locales a augmenté les ventes des agriculteurs de 13% à 14 % par rapport à celles de leurs collègues.
L’agriculture climato-intelligente augmente également les revenus agricoles grâce à des mesures prises en amont et en aval. En réduisant les pertes post-récolte, elle augmente les revenus, augmente l’approvisionnement en denrées alimentaires et en matières premières. De plus, elle réduit la tentation d’une hausse de la production en mettant des terres supplémentaires en culture ou en utilisant des engrais chimiques.
Une autre innovation est l’utilisation des services de vulgarisation électroniques, qui assurent une mise en relation peu coûteuse avec un plus grand nombre d’agriculteurs et contribuent ainsi à augmenter leurs bénéfices.
En Asie du Sud, en Amérique latine et dans certaines parties de l’Afrique subsaharienne, Digital Green a produit et diffusé plus de 5 000 vidéos, permettant aux agriculteurs de partager leurs connaissances sur les techniques de production agricole. Bien sûr, il faut adapter les produits aux spécificités de l’Afrique, qui tiennent dans la diversité de ses populations, y compris à l’intérieur d’un district, et à l’hétérogénéité des connaissances.
Dans ce contexte, explique l’ACET, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) pourrait aider à adapter l’agriculture climato-intelligente à différentes agroécologies.
Parce que les pays de la région partagent plusieurs agroécologies communes, la ZLECAf leur permet d’agir collectivement pour réaliser des investissements à grande échelle dans la R&D sur les pratiques agricoles.
La ZLECAf pourrait également diffuser la technique en améliorant l’accès des agriculteurs à des marchés d’intrants et de produits plus importants et en augmentant les revenus agricoles. Bien sûr, de nombreuses interventions nécessitent des infrastructures ou des investissements techniques initiaux, tels que du matériel de clôture et du matériel d’irrigation.
L’importance de l’analyse des données
On le sait, les banques commerciales ne sont généralement pas disposées à prêter aux petits exploitants, pour qui l’assurance est pratiquement inexistante. C’est pourquoi ils sont réticents à adopter des technologies améliorées, perçues comme risquées.

Avec les innovations financières récentes telles que le financement participatif, la finance mobile, les fonds pourraient être mobilisés auprès d’une base de créanciers plus large, fait observer l’ACET. Et des services financiers pourraient être fournis à des prix inférieurs à un grand nombre de petits exploitants agricoles géographiquement dispersés, à l’image de M-Pesa au Kenya.
D’autre part, les progrès récents de la télédétection et de l’analyse des données permettent de concevoir des produits d’assurance viables pour les petits exploitants agricoles, soutenant la diffusion de nouvelles technologies perçues comme risquées.
Les technologies agricoles de rupture (également connues sous le nom de solutions agricoles numériques) peuvent stimuler l’agriculture climato-intelligente en fournissant des données en temps réel sur le marché et le climat, y compris des services de conseil agricole rentables pour les petits exploitants agricoles.
Les solutions numériques peuvent faciliter la manière dont les professionnels accèdent au financement, paient les biens et services, se connectent et traitent des affaires. Des solutions numériques peuvent également être déployées pour la détection précoce des maladies et des insectes nuisibles. Enfin, les marchés du carbone et l’investissement à impact offrent également des possibilités d’accélérer la diffusion de l’agriculture climato-intelligente.
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ENCADRE
L’exemple édifiant du Ghana
Le Ghana compte 1,6 million d’utilisateurs de solutions technologiques agricoles « de rupture », dont 30 % de femmes. Ces technologies supposent l’utilisation d’innovations et de données numériques pour transformer les modèles commerciaux et les pratiques tout au long de la chaîne de valeur agricole.
Les applications les plus courantes sont les services de données, les liens vers les marchés, les services de conseil et la gestion de la chaîne d’approvisionnement. Alors que s’élargit l’utilisation de l’argent mobile, les gens ont également commencé à utiliser d’autres produits numériques.
Pour avoir un impact réel, cependant, les produits doivent atteindre les vastes populations mal desservies des zones rurales. L’analphabétisme de nombreux agriculteurs entrave la diffusion des technologies agricoles de rupture. Les fournisseurs tentent de relever ce défi en proposant des services de réponse vocale interactifs dans les langues locales.
Trois leçons importantes se dégagent de l’expérience du Ghana en ce qui concerne les technologies agricoles de rupture. Premièrement, l’argent mobile est essentiel aux services de technologies agricoles de rupture, car il aide les agriculteurs et la population en général à comprendre les produits et services numériques et à leur faire confiance.
Deuxièmement, les technologies agricoles de rupture peuvent accroître l’accès des agriculteurs au crédit, par exemple en numérisant leurs titres fonciers pour les utiliser comme garantie. Troisièmement, de nombreuses régions rurales restent trop improductives pour que les fournisseurs de technologies agricoles de rupture puissent y entrer. Des investissements publics et privés massifs sont nécessaires pour créer un environnement qui permettrait aux technologies agricoles de rupture de prospérer, recommande l’ACET.
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En savoir plus sur l’agriculture intelligente : http://www.fao.org/3/I7994FR/i7994fr.pdf