En finir avec les flux financiers illicites

La Cnuced tire la sonnette d’alarme, face aux coûts financiers, sociale, humain, de la fuite illicite des richesses hors d’Afrique. Dont les objectifs ne seront pas atteints si elle ne récupère pas au moins la moitié des flux qui lui échappent.
Par Kimberly Adams
Les conclusions de la Cnuced sont sans appel : chaque année, 88,6 milliards de dollars, soit l’équivalent de 3,7 % du PIB africain, quittent le continent sous forme de fuite illicite de capitaux
Le rapport Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique montre que les flux sortants sont presque aussi importants que le total des flux entrants de l’Aide publique au développement (environ 48 milliards $), combinés aux investissements directs étrangers, (environ 54 milliards $), reçus par les pays (moyenne 2013-2015).
« Les flux financiers illicites revêtent un caractère multidimensionnel et transnational », commente le président du Nigeria. « Ils ont des pays d’origine et des pays de destination, et il existe plusieurs sites de transit. C’est pourquoi l’ensemble du processus d’atténuation des flux financiers illicites implique plusieurs juridictions. »
« Les flux financiers illicites privent l’Afrique et ses habitants de perspectives d’avenir, compromettent la transparence et la responsabilité et sapent la confiance dans les institutions africaines », explique en avant-propos le secrétaire général de la Cnuced, Mukhisa Kituyi. Selon qui réduire les flux illicites constitue « un moyen de doter les pays africains de fonds supplémentaires pour exécuter l’Agenda 2063 et atteindre les objectifs de développement durable ».
Ces flux sortants comprennent la fuite illicite de capitaux, les pratiques fiscales et commerciales illégales comme la fausse facturation des échanges commerciaux et les activités criminelles provenant des marchés illégaux, de la corruption ou du vol.
De 2000 à 2015, la fuite de capitaux en provenance d’Afrique s’est élevée à 836 milliards $. En 2018, la dette extérieure du continent s’élevait à 770 milliards de dollars en 2018. Voilà qui fait virtuellement de l’Afrique un « créancier net du reste du monde » !
Sans surprises, la fraude est liée essentiellement de l’exportation de produits extractifs (40 milliards $, un chiffre peut être sous-estimé).
Les conséquences sont visibles : dans les pays africains où les flux sont élevés, les gouvernements dépensent 25 % de moins pour la santé que les pays où ils sont faibles et 58 % de moins pour l’éducation. Le déficit de financement avoisine les 200 milliards $, un montant que l’Afrique « ne sera pas en mesure de débourser pour réaliser les Objectifs de développement durable, avec les recettes publiques et l’Aide au développement actuelles ».
Cibler des industries plutôt que des pays
Le rapport montre que la lutte contre la fuite illicite des capitaux pourrait générer suffisamment de fonds d’ici 2030 pour financer près de 50 % des 2 400 milliards $ dont les pays d’Afrique subsaharienne ont besoin pour s’adapter au changement climatique et en atténuer les effets.
La Cnuced fait observer que ces flux illicites ne sont pas spécifiques à tel ou tel pays, mais concernent plutôt certains produits de grande valeur pour un faible poids. En particulier, l’or. La chaîne d’approvisionnement du métal jaune concentre 77 % du trafic lié aux industries extractives, suivie de celles des diamants (12 %) et du platine (6 %).
« Cette découverte offre de nouvelles perspectives aux chercheurs et aux décideurs politiques qui cherchent à identifier et réduire les flux financiers illicites », observent les auteurs. Elle est pertinente pour tous les pays exportateurs d’or en Afrique, par exemple, malgré des conditions locales différentes.
C’est pourquoi le rapport de la Cnuced appelle à des efforts globaux pour promouvoir la coopération internationale dans la lutte contre les flux illicites. Il préconise également le renforcement des bonnes pratiques en matière de recouvrement des avoirs.
Le rapport souligne l’importance de collecter davantage de données commerciales, qui plus est de meilleure qualité, pour détecter les risques, accroître la transparence dans les industries extractives et le recouvrement des impôts. Seuls 43 pays africains « jouent le jeu » de la transparence, jusque-là.