Dettes africaines : Ode pour une restructuration

L’agence de notation Scope Ratings plaide pour une restructuration des dettes des pays africains les plus endettés. Le moratoire du G20 ne fait que repousser le problème, alors que la solidarité mondiale peut déboucher sur une solution pérenne.
Par Laurent Soucaille
« Un soulagement bienvenu, mais seulement à court terme. » Telle est la réaction des analystes de Scope Ratings à l’accord du G20 visant à prolonger le moratoire sur le service de la dette pour les pays les plus vulnérables. En effet, se profile déjà la perspective d’un remboursement futur plus élevé et, pour certains pays, d’un surendettement à moyen terme.
« Concevoir un allégement de la dette allant au-delà du DSSI et du Cadre commun est toujours nécessaire et pourrait représenter la différence entre une reprise durable pour les pays emprunteurs ou une décennie perdue », résume Dennis Shen, responsable de l’analyse crédits souverains chez Scope Ratings.
Scope Ratings considère que la récente (et annoncée comme étant la dernière*) extension de l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) se traduira par de nouvelles économies à court terme pour les pays les plus pauvres du monde, notamment ceux d’Afrique. Ces économies seront toutefois compensées par des paiements plus élevés au titre du service de la dette à moyen terme.
« Prolonger l’ISSD, comme prévu jusqu’à la fin de 2021, aidera les gouvernements africains à faire face à de graves pénuries de liquidités plus tard dans l’année, mais pourrait également entraîner des exigences plus importantes en matière de service de la dette à moyen terme », prévient Dennis Shen, directeur de la notation des crédits souverains chez Scope.
Certes, l’Initiative « donne un bol d’air », car de nombreux gouvernements africains ont besoin d’une restructuration immédiate plus substantielle de leur dette pour retrouver l’accès au marché à des taux d’emprunt acceptables.
C’est pourquoi l’agence allemande continue de proposer « un programme de restructuration de la dette plus ambitieux », appelé ISSD +, qui s’appuierait sur l’architecture existante de l’Initiative du G20 et irait plus loin que le « Cadre commun ».
Les demandes récentes du Tchad, de l’Éthiopie et de la Zambie pour une restructuration de la dette dans le cadre du Cadre commun au-delà de l’ISSD sont positives, argumentent-ils, mais la concentration du Cadre sur l’allongement de la maturité de la dette et, le cas échéant, la réduction de la dette sur des critères purement techniques, risque de ne pas suffire. De surcroît, l’ISSD et le Cadre commun ciblent les pays à faible revenu, laissant de nombreux pays à revenu intermédiaire vulnérables à la crise de la dette.
Les exigences des créanciers privés
Alors que les créanciers du secteur privé ont été à nouveau appelés à participer dans le cadre de cette extension du programme, l’architecture existante de l’Initiative du G20 ne dispose pas des mécanismes d’exécution requis qui pourraient garantir un traitement équitable entre les types de créanciers. Cela signifie que différents types de créanciers sont susceptibles de contribuer à l’allégement de la dette à des degrés divers, sapant la capacité de l’Initiative à réaliser une vision plus globale.
On le voit, une restructuration de la dette à des conditions plus ambitieuses implique l’accord d’un groupe plus large de créanciers, qui comprend le secteur privé et les créanciers multilatéraux. Or, ces derniers acceptent des pertes à des conditions équitables sur les intérêts ; leur accord à un moratoire entraînerait potentiellement une note de crédit « très spéculative » pour les emprunteurs souverains qui auraient besoin d’un tel soutien. En revanche, une restructuration complète de la dette qui implique l’annulation de la dette pourrait améliorer considérablement les profils de crédit de nombreux pays plus pauvres, après la restructuration.
Scope Ratings justifie cette approche au fait que de nombreux gouvernements africains sont dans une position faible pour faire face à l’augmentation des besoins de service de la dette à moyen terme, en raison des reports de paiement, la moitié des pays d’Afrique subsaharienne étant à haut risque ou déjà endettés.
Pour Thibault Vasse, « en reportant les problèmes d’aujourd’hui à demain, les paiements d’intérêts et de principal pourraient au contraire arriver à échéance dans une période future où le soutien international à l’allégement multilatéral de la dette sera moins important qu’actuellement. » C’est pourquoi la période actuelle de solidarité mondiale doit être mise à profit « pour faire face de manière plus durable aux problèmes de solvabilité de l’Afrique au milieu d’une crise commune unificatrice », poursuit l’analyste.
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LS