Rencontre avec Emeka Uzoigwe de Afreximbank

Emeka Uzoigwe, directeur, responsable de la stratégie chez Afreximbank, explique la culture de l’innovation de son institution panafricaine. Laquelle sait dépasser les pesanteurs inhérentes à sa taille pour agir vite et répondre aux besoins du continent.
Rencontre avec Omar Ben Yedder
L’Afreximbank, en tant que banque multilatérale de développement, a toujours eu une mission plus large que l’octroi de prêts. Elle a été créée pour soutenir ses États membres dans la croissance du commerce, mais elle se concentre également de plus en plus sur la résolution de problèmes structurels complexes qui freinent la croissance africaine.
L’orientation stratégique de la banque a été cimentée par les nombreux projets qu’elle a entrepris au cours des dernières années pour s’attaquer à ces problèmes structurels en aidant à trouver certaines des solutions pour surmonter les goulots d’étranglement et les contraintes liés au commerce, à l’investissement et à la croissance des secteurs clés.
« Nous devons diversifier l’innovation vers plusieurs autres industries et secteurs et développer des solutions évolutives et innovantes qui résolvent les problèmes africains. Même si nos progrès en matière d’innovation donnent de l’espoir, nous avons beaucoup plus à faire. »
Bon nombre de ces solutions nécessitent une refonte complète du système et l’innovation constitue un rouage essentiel pour aider à fournir ces percées.
Emeka Uzoigwe, responsable de la Stratégie, considère que l’orientation de la banque est assez simple dans la mesure où le mandat de la banque est clair : promouvoir et financer le commerce intra-africain et extra-africain. Le mandat définit donc les paramètres dans lesquels elle opère, mais le fait que l’écart de financement du commerce soit estimé entre 80 et120 milliards de dollars par an signifie que ces paramètres sont en fait assez larges.
Tirer avantage du libre-échange
La banque fonctionne selon des plans stratégiques quinquennaux, explique Emeka Uzoigwe : « Nous utilisons la planification stratégique comme un instrument pour faire avancer nos objectifs à moyen et long terme et nous utilisons des plans stratégiques quinquennaux glissants comme guide pour atteindre ces objectifs. »
Afreximbank vient d’achever son cinquième plan stratégique, qui reposait sur quelques éléments importants. « Le premier est la prise de conscience que la volonté politique, pour la première fois, a atteint le plus haut niveau en termes d’intégration de l’Afrique à la ZLECAf. » Ainsi, les facteurs exogènes sont avancés de telle sorte qu’Afreximbank ne pouvait tout simplement pas l’ignorer.
Le deuxième élément est la migration des emplois à faible coût hors de Chine. Lors de l’élaboration du dernier plan quinquennal, ajoute Emeka Uzoigwe, la banque s’est concentrée sur quatre piliers : promouvoir le commerce interafricain, faciliter l’industrialisation et le développement des exportations, renforcer le leadership du financement du commerce, améliorer la performance et la solidité financières
Afreximbank est devenue un acteur important pour aider à réaliser les avantages de la ZLECAf. Cependant, en tant que banque de développement du commerce, elle a également dû réagir rapidement à des facteurs exogènes pour soutenir ses États membres. Ce fut le cas en 2009-2010, par exemple, lorsque les marchés du crédit se sont grippés pour de nombreux marchés émergents, y compris en Afrique. Et bien sûr, face à l’arrêt mondial du commerce au cours des mois où la pandémie s’est installée, en 2020.
Réactivité immédiate
Emeka Uzoigwe va jusqu’à dire que son établissement a montré qu’elle est systématiquement importante pour l’Afrique. Il explique que, alors que la crise sanitaire s’emparait des marchés mondiaux, en quatre jours, la direction de la banque a conçu un produit de soutien potentiel pour aider les industries et les pays qui seraient touchés par la crise :
« En quatre jours, sous la direction du président qui a participé au développement du produit, nous avons présenté un outil au Conseil d’administration et l’avons fait approuver, et nous l’avons lancé sur le marché pour aider le continent et les pays membres pour amortir l’impact de la Covid-19. »
Faire entendre toutes les voix
Les banques de développement et les banques dont les actionnaires sont des États souverains n’ont pas la réputation d’être agiles et innovantes. À quel point cela a-t-il été difficile d’introduire une culture de l’innovation, des transgresseurs des règles, dans une institution telle qu’Afreximbank ?
Emeka Uzoigwe explique que la culture de son établissement consiste davantage à être audacieux et ambitieux pour résoudre de gros problèmes et à jouer un rôle transformateur. Il ajoute que le leadership est dynamique et, tout aussi important, qu’il soutient les nouvelles idées, à condition qu’elles soient bien détaillées et bien pensées et qu’elles abordent les principales contraintes qui freinent le commerce.
C’est pourquoi Afreximbank évolue assez rapidement, juge-t-il. « Notre philosophie est de voir grand. Nous exécutons de manière agile, bien sûr, sur la base de données et de connaissances fiables et brisons également les frontières, mais avec la conviction que cela transformera l’Afrique. »
Au fur et à mesure que la banque étend son activité, comment cherche-t-elle à mettre en œuvre les idées et produits qu’elle développe ? L’équipe d’innovation a été créée en 2016, explique son responsable, mais plus que des techniciens, ce qui était recherché, c’était des apporteurs de solutions aux problèmes, dotés d’une expérience dans des rôles commerciaux. Ceci, explique-t-il, est de s’assurer que l’innovation est orientée vers la fourniture de solutions aux clients, et que l’état d’esprit est au numérique.
De plus, il est important de s’assurer de la diversité des voix et de points de vue. Ainsi, dans la politique de recrutement, il a été porté une attention particulière à la répartition géographique des équipes, afin d’assurer un mélange d’expériences, de tranches d’âge et de personnes issues de banques de développement et de banques commerciales.
En plus de fusionner ces différents ensembles de compétences, il est important de soutenir les équipes en leur donnant la possibilité de débattre librement, et d’avoir une large ouverture d’esprit pour développer des stratégies efficaces et pratiques.
Implication directe de la direction
Qu’en est-il de l’échec, lorsque les projets et les idées ne fonctionnent pas ; la direction est-elle à l’aise avec cela ? Emeka Uzoigwe considère sur ce point que l’expérimentation est une partie vitale de l’innovation. La culture que la direction encourage au sein de la banque est « échouer vite, apprendre vite de ses échecs », et s’assurer que les équipes ne sont pas découragées de ne pas réussir avec un concept particulier.
Emeka Uzoigwe ajoute qu’il est facile de diriger les équipes d’innovation et de stratégie au sein de la banque. La direction, du président à ses vice-présidents, passe beaucoup de temps avec les équipes d’innovation, remettant en question leurs idées et commentant leurs propositions de manière critique. Cela peut ralentir un peu le processus, mais cela montre qu’il y a un engagement au plus haut niveau et cela signifie que les idées sont scrutées avant d’être exécutées.
De plus, les dirigeants utiliseront d’autres outils pour générer des idées au sein de leurs équipes, notamment les différents outils numériques qui existent aujourd’hui pour réfléchir et échanger des informations. Une partie de la responsabilité de ses équipes est de garder un œil sur ce qui se passe sur les différents marchés pour aider à mieux comprendre ce qui se passe dans le domaine bancaire et ailleurs.
Les équipes comprennent également qu’il ne s’agit pas d’un simple copier-coller. Leurs solutions sont uniques aux problèmes africains et la conviction est forte au sein de l’institution que ce sont les solutions africaines qui résoudront les problèmes africains. Elles savent également que la collaboration est essentielle et c’est pourquoi une grande partie de ce qu’ils font est open source pour s’assurer qu’eux et d’autres peuvent se connecter à l’écosystème.
« Dans le cadre de notre croissance future et de notre modèle commercial numérique, la banque étendra ses services par le biais de collaborations et de partenariats externes. C’est la tendance générale à l’échelle mondiale. »
Élargir le champ de l’innovation
L’essor des Fintechs en Afrique donne-t-il des raisons d’espérer ? Oui, répond Emeka Uzoigwe, qui aimerait voir davantage d’acteurs africains. Il constate une surconcentration dans des domaines tels que les paiements et le commerce électronique. Ce, alors qu’il existe de nombreux autres domaines où l’innovation et l’utilisation de la technologie peuvent être transformationnelles, comme le développement de solutions pour prédire les conditions météorologiques et les rendements des sols.
« Nous devons diversifier l’innovation vers plusieurs autres industries et secteurs et développer des solutions évolutives et innovantes qui résolvent les problèmes africains. Ainsi, même si nos progrès en tant que continent en matière d’innovation me donnent de l’espoir, je pense que nous avons beaucoup plus à faire. »
Voilà pourquoi on peut s’attendre à ce qu’Afreximbank, dont les ambitions ne font que croître, élargisse encore ses domaines d’activité.
@OBY