Pourquoi les Africains utilisent les cryptomonnaies

De nombreux Africains utilisent les cryptomonnaies dans leurs transactions quotidiennes, davantage que pour la spéculation. Le recours à ces instruments reste élevé sur le continent, en dépit d’un marché mondial baissier.
L’année 2022 est difficile pour les marchés des actifs numériques et des cryptomonnaies. Après avoir bondi à des sommets historiques en 2021, la valeur de nombreuses cryptomonnaies majeures s’est effondrée. Le bitcoin a chuté de près de 60 % et l’Ethereum de plus de 65 %. Pour de nombreux investisseurs et participants au marché, la confiance dans l’espace émergent a été ébranlée par l’effondrement du stablecoin Terra, en mai.
Ce difficile marché baissier intervient à un moment où les cryptomonnaies occupent une place croissante sur les marchés africains. Selon Chainalysis, une entreprise de Forensics Blockchain, le marché des cryptomonnaies en Afrique a été multiplié par 13 en 2021. Et quatre pays africains, le Kenya, le Nigeria, l’Afrique du Sud et la Tanzanie, se classent tous dans le Top 20 de l’adoption mondiale des cryptomonnaies.
Si certains investisseurs africains auront sans doute été affectés par les baisses de valeur, comme l’ont été les investisseurs du monde entier, les particuliers sont davantage prémunis contre les variations de cours que les spéculateurs, car ils utilisent la crypto pour des raisons spécifiques.
Cette croissance a été largement alimentée par les utilisateurs de détail, les particuliers donc, plutôt que par les investisseurs institutionnels. Chainalysis rapporte que les marchés africains voient « une plus grande part de leur volume de transactions constituée de paiements de grande et de petite taille que la moyenne mondiale ». Cela indique « une adoption de base plus élevée parmi les utilisateurs quotidiens ».
Malgré les défis auxquels les marchés de la crypto sont confrontés cette année, et malgré la forte détérioration de la valeur, il semble que les particuliers à travers l’Afrique continuent d’échanger des actifs numériques. Un autre rapport de Chainalysis, publié en septembre, montre que le nombre de petits transferts de détail de 1000 $ ou moins a en fait augmenté en Afrique subsaharienne depuis le début de la baisse du marché.
S’il est difficile de déterminer avec précision les volumes d’échanges sur le continent, notamment parce que la plupart des échanges ont lieu entre particuliers sur des réseaux informels de pair à pair plutôt que sur des bourses de cryptomonnaies établies, cette tendance est probablement panafricaine.
Une réponse à la sous-bancarisation
Le volume des petits transferts en Afrique a été largement épargné par le marché baissier, car les utilisateurs ont tendance à échanger des cryptomonnaies pour des raisons pratiques. Selon Adedeji Owonibi, fondateur de Convexity, une société de conseil en Blockchain, c’est parce que la grande majorité des ménages « n’ont pas le pouvoir d’achat » pour échanger de manière spéculative, comme il est courant sur les marchés européens ou américains.
L’analyste rappelle que le salaire minimum au Nigeria, où il est basé, est de 30 000 nairas, (environ 70 euros) par mois et que le taux de chômage est de 33 %. Le montant du revenu disponible pour échanger des crypto pour des raisons spéculatives est donc très limité.
Au lieu de cela, la crypto est principalement utilisée comme un moyen de résoudre les problèmes liés à un accès limité aux systèmes bancaires formels et à une faible inclusion financière. Les actifs numériques sont notamment utilisés pour les envois de fonds transfrontaliers, en particulier dans les pays où les contrôles des capitaux rendent cela plus difficile. Ils servent aussi à transférer de fonds plus rapidement et à moindre coût que ne le permettent les moyens traditionnels.
Le couloir de transfert de fonds entre l’Afrique et les marchés occidentaux en particulier est l’un des plus chers au monde, ce qui incite un nombre croissant de consommateurs en Afrique à utiliser des actifs numériques pour envoyer ou recevoir de l’argent de leurs amis ou de leur famille à l’étranger. L’utilisation de cryptomonnaies est beaucoup moins chère que les canaux traditionnels, tels que Western Union, et garantit un règlement quasi instantané, affirment les partisans de ce système.
William Phelps, directeur des investissements chez Adaverse, une société de capital-risque basée à Lagos, explique à NewAfrican que sur les marchés africains, les cryptomonnaies servent « moins d’actifs négociables que de couverture contre la volatilité des devises locales et les restrictions de capitaux ».
C’est pourquoi les fluctuations spectaculaires de la valeur ne sont donc pas particulièrement dissuasives, car les utilisateurs ont tendance à encaisser et à retirer rapidement. Tant que les cryptomonnaies continueront à permettre aux utilisateurs de transférer de l’argent d’un endroit à un autre de manière rentable et opportune, le prix spécifique auquel elles sont échangées n’est pas une préoccupation majeure.
« Lorsqu’on utilise des cryptomonnaies pour transférer de l’argent au-delà des frontières, par exemple, les tendances du marché sont moins importantes », résume William Phelps.
Un accès détourné au billet vert
De nombreux consommateurs en Afrique continuent également d’utiliser les cryptomonnaies comme moyen d’accéder au dollar. Divers pays africains ont vu une chute des réserves de change de leurs banques centrales, ce qui peut rendre l’accès à des devises comme le billet vert très difficile. La Banque centrale du Nigeria, par exemple, a récemment limité les échanges sur les marchés des changes autorisés parce que ses réserves avaient diminué de 3,4%. Les réserves de change du Kenya ont également diminué à un rythme sans précédent.
Les taux d’inflation rapides dans un certain nombre d’économies africaines et le renforcement significatif du dollar sur les marchés mondiaux ont rendu l’accès au billet vert plus coûteux et plus difficile pour les consommateurs africains opérant dans leurs monnaies locales. Il s’agit d’un problème majeur pour les entreprises ou les particuliers qui doivent payer leurs biens et services en dollars, ou pour ceux qui cherchent à utiliser une réserve de valeur plus fiable que leur propre monnaie qui se déprécie.
Les cryptomonnaies sont considérées comme une solution à ce problème. Un nombre croissant de consommateurs africains investissent dans des stablecoins, des monnaies numériques conçues pour maintenir une parité avec le dollar.
Si l’effondrement du stablecoin Terra a constitué un sérieux avertissement sur le fait que ces parités ne peuvent pas toujours survivre à des conditions de marché difficiles, des stablecoins tels que Tether (USDT) ou USD Coin (USDC) sont perçus par certains comme offrant un accès indirect au dollar. William Phelps note que « les stablecoins présentent d’excellentes réserves de valeur neutres par rapport au marché, en particulier dans les nations où les devises étrangères sont plus difficiles à acquérir et où les commerçants internationaux sont réticents à accepter la monnaie locale ».
Une autre raison, moins pratique, pourrait expliquer la popularité continue de la crypto. L’inflation galopante et imprévisible dans un certain nombre d’économies africaines fait également en sorte que la crypto reste une option attrayante. Des niveaux d’inflation aussi élevés incitent les consommateurs à prendre un risque avec les cryptomonnaies.
Combler un vide
L’utilisation de la crypto est restée forte en Afrique, en particulier chez les utilisateurs de détail, car les actifs numériques sont là pour apporter des solutions à des problèmes spécifiques que la structure financière formelle ne peut pas, ou n’a pas, résolus. Le professionnel d’Adaverse considère que la crypto a une « nature unique » en Afrique en tant qu’outil qui résout « les problèmes d’exclusion financière et de mauvaise gestion économique ». Ce point reste toutefois « difficile à quantifier », reconnaît William Phelps.
Les actifs numériques présentent diverses fonctions tangibles en Afrique, et sont encore capables de remplir ces fonctions dans les périodes de volatilité et de ralentissement du marché. Si certains investisseurs africains auront sans doute été affectés par les baisses de valeur, comme l’ont été les investisseurs du monde entier, les utilisateurs de détail sont plus prémunis contre les variations de cours que les spéculateurs, car ils utilisent d’utiliser la crypto pour des raisons spécifiques.
Tant que la crypto sera capable de combler le vide laissé par les échecs de la finance traditionnelle, les consommateurs des marchés africains pourront continuer à se tourner vers elle.
@ABanker