Pourquoi ignorer les soins de santé ?

De nouveaux modèles financiers sont nécessaires pour que les soins de santé africains reçoivent leur juste part de capitaux. Ces derniers peuvent être davantage canalisés par le secteur privé.
Tout le monde en convient, il est urgent d’investir dans les systèmes de santé en Afrique. En effet, les Objectifs de développement durable consacrent la responsabilité collective de s’attaquer aux défis sanitaires d’ici 2030. Pourtant, selon les chiffres de la Health Finance Coalition (HFC), seul 1 % du financement mondial de la santé est dépensé en Afrique, ce qui signifie que le continent est confronté à un manque annuel de plus de 200 milliards de dollars.
Si une grande partie de la solution au déficit de financement de la santé en Afrique doit venir des gouvernements, la nécessité de soutenir le secteur privé qui se compose de milliers de cliniques et de laboratoires ne peut être négligée. John Fairhurst, responsable de l’engagement du secteur privé au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, affirme que 50% à 60 % des soins initiaux du paludisme sont dispensés par le secteur privé. « Les gens ont tendance à se rendre dans les pharmacies ou les cliniques privées pour se faire dépister, voire pour recevoir la première dose de traitement. »
De toute évidence, les énormes réserves mondiales de capitaux d’investissement ignorent largement la nécessité et l’opportunité d’investir dans les prestataires de soins de santé en Afrique. Mais, ce qui est peut-être plus surprenant, c’est que les fonds d’impact social – ceux qui ont pour mandat d’obtenir des résultats sociaux ou environnementaux positifs, en plus des rendements financiers – se tiennent également à l’écart des soins de santé en Afrique. Malgré le potentiel évident de contribution aux ODD, les chiffres du HFC montrent que seulement 1,6 % des 500 milliards $ dans le monde pour obtenir un « impact social » est dirigé vers les soins de santé en Afrique.
« Là où les besoins sont les plus grands, nous avons des dépenses relativement modestes de la part des capitaux privés », note Martin Edlund, directeur exécutif du HFC. « Nous nous trouvons à un moment où il y a un écart énorme entre les objectifs mondiaux en matière de santé, les besoins sanitaires et les moyens dont nous disposons pour relever ces défis. »
Entre impact et rendement
Les investisseurs d’impact social sont souvent des fondations philanthropiques ou des Family offices ; ils peuvent investir directement dans des entreprises ou placer leur argent dans des fonds gérés par des sociétés de gestion d’actifs. Les attentes en matière de rendement financier à atteindre varient selon les investisseurs d’impact social. Selon l’enquête la plus récente du Global Impact Investor Network, seul un tiers des investisseurs d’impact social sont prêts à accepter des rendements inférieurs au taux du marché.
« C’est le moment de construire cette infrastructure afin d’être prêt pour la prochaine pandémie. Parce qu’il y en aura une prochaine. Et c‘est le moment de construire l’infrastructure nécessaire afin d’être prêt pour la prochaine pandémie. Parce qu’il y en aura une prochaine. »
John Fairhurst prévient que les investisseurs devront adapter leurs attentes en matière de rendement s’ils veulent réaliser des investissements d’impact social dans les soins de santé en Afrique. Investir dans des entreprises de soins de santé qui s’occupent de patients à faibles revenus va presque inévitablement donner lieu à des rendements inférieurs, dit-il. « Jusqu’à ce que nous obtenions cette philosophie différente de la part de certains fonds d’impact social, l’investissement continuera à aller là où le rendement est l’élément principal. »
Faire des investissements qui ciblent exclusivement les populations à faible revenu est également un défi dans le cadre des modèles d’investissement dominants. En partie pour des raisons d’efficacité, les gestionnaires de fonds de capital-investissement préfèrent généralement réaliser un nombre plus restreint de gros investissements. Ils recherchent donc des entreprises qui ont déjà une taille raisonnable et dont le modèle économique est manifestement viable.
« Le problème de l’œuf et de la poule reste entier », observe Eline Blaauboer, partenaire du Fonds d’investissement pour la santé en Afrique, une société de capital-investissement axée sur l’impact social. Selon elle, les prestataires de soins de santé qui s’occupent de patients à faibles revenus et qui n’ont pas encore fait la preuve de leur modèle commercial souffrent d’une pénurie de capitaux, tandis que les investisseurs à impact social ont peu d’occasions de soutenir des entreprises qui répondent à leurs critères d’investissement. « Beaucoup d’investisseurs d’impact social ont eu du mal à trouver de bonnes affaires dans le domaine de la santé. »
Financements mixtes
Une partie de la solution pour attirer davantage de financements – à la fois de la part des philanthropes qui privilégient l’impact social, et des investisseurs commerciaux qui recherchent des rendements au taux du marché – réside dans des structures financières innovantes.
Nicole Spieker, PDG de PharmAccess, une fondation qui encourage la coopération public-privé dans le domaine des soins de santé en Afrique, explique qu’une « approche de financement mixte » repose sur le fait que certains investisseurs axés sur l’impact social dans un fonds sont prêts à accepter une « première perte ». En d’autres termes, si l’un des investissements du fonds échoue, les investisseurs axés sur l’impact social – souvent des institutions de financement du développement – absorberont la perte. Les investisseurs qui privilégient les rendements financiers peuvent alors investir dans le même fonds, avec une couche de protection. Cette approche « enlève une partie du risque aux investisseurs, de sorte qu’ils sont plus enclins à investir », explique Nicole Spieker.
Noorin Mawani est la co-directrice du Transform Health Fund, un véhicule d’investissement géré par AfricInvest, un gestionnaire de fonds privés axé sur l’impact social. Elle explique que le fonds, qui réalisera des investissements en matière de financement par emprunt et de financement mezzanine, cherche à lever 100 millions$ auprès de diverses sources commerciales et non commerciales. Elle précise que le fonds aura « deux classes d’actions différentes avec des profils de rendement différents ».
« L’idée est en fait de s’assurer que nous répartissons le risque et le rendement en fonction des exigences des investisseurs – une entreprise, même si elle est d’accord sur le mandat d’impact social, a un certain seuil de rendement qu’elle doit atteindre. »
La dette est-elle la meilleure solution ?
Noorin Mawini ajoute que les investissements par emprunt sont bien adaptés au soutien des petites entreprises de santé. « Nous voulons être en mesure d’atteindre les PME. La dette est un bon produit pour cela. Dans les petites entreprises, il est plus difficile de réaliser une sortie, ce que les capitaux propres vous obligent à faire, donc les instruments auto-liquidants sont utiles de ce point de vue. Cela nous permet de combler un grand vide sur le marché. »
Le Medical Credit Fund est une autre institution qui vise à soutenir les pharmacies et les cliniques en manque de financement qui constituent l’épine dorsale du système de santé dans la plupart des pays africains. Kennedy Okongo, directeur du MCF pour l’Afrique de l’Est, explique que ce fonds a été créé pour « combler ce vide pour les prestataires de soins de santé qui ne sont pas servis par les méthodes de prêt conventionnelles ».
Kennedy Okongo note que les petites entreprises de santé ont traditionnellement été perçues comme « très difficiles à travailler » par les sources locales de capitaux dans des pays comme le Kenya. Les institutions de financement du développement, quant à elles, sont parfois disposées à accorder des prêts directement aux entreprises de santé, mais le montant minimum d’un prêt est généralement de plusieurs millions de dollars. Le MCF, en revanche, est prêt à prêter aussi peu que l’équivalent de 100 dollars en monnaie locale. « Nous sommes en mesure d’élargir notre champ d’action », explique Kennedy Okongo.
Le MCF, qui a été créé par PharmAccess, a investi 154 millions d’euros au cours des dix dernières années, atteignant un taux de remboursement impressionnant de 97 %. Bien que ce résultat ait été obtenu en partie grâce à la fourniture d’une assistance technique et d’autres formes de soutien parallèlement aux prêts, la réussite financière du MCF constitue un puissant démenti à ceux qui pensent que les soins de santé en Afrique ne constituent pas un investissement viable.
Opportunités numériques
Les pharmacies et les cliniques ne sont pas les seules à nécessiter des investissements. Les entreprises de soins de santé numériques offrent également un autre moyen d’atteindre les populations à faible revenu et de renforcer le système de santé.
« Ces dernières années, on a assisté à une croissance massive autour de ces approches de la santé fondées sur le numérique », explique John Fairhurst. Les entreprises de soins de santé numériques offrent un très large éventail de services. Les patients peuvent bénéficier de consultations préliminaires ou recevoir des rappels pour prendre leurs médicaments par le biais d’applications ; les pharmaciens peuvent utiliser des services numériques pour les aider dans la gestion de leurs stocks et leur logistique ; les médecins peuvent accéder à une assistance à distance pour les diagnostics et d’autres tâches. En effet, les services numériques peuvent potentiellement fournir « une portée beaucoup plus large et plus efficace dans certaines des parties les plus éloignées et les plus pauvres de la société », explique John Fairhurst.
De son côté, Nicole Spieker convient que l’investissement dans les entreprises de soins de santé numériques peut changer la donne. « Nous devrions cesser de penser uniquement à la construction d’hôpitaux et commencer à penser à la construction de ces solutions transformatrices. »
Elle donne l’exemple de CarePay, une entreprise créée avec le soutien de PharmAccess au Kenya pour gérer les paiements des soins de santé. Cela permet aux financeurs des soins de santé – y compris les gouvernements et les compagnies d’assurances – de verser des fonds dans le portefeuille mobile d’un patient, que ce dernier ne peut ensuite utiliser que pour payer ses soins de santé. « Les marges bénéficiaires par personne sont très faibles, mais comme il y a beaucoup de gens en Afrique, cela reste un modèle de revenus intéressants. »
Se préparer à la prochaine pandémie
La Covid-19 a mis en évidence de multiples failles dans les systèmes de santé des pays africains, peut-être plus particulièrement en termes de capacité du continent à fabriquer et à distribuer des vaccins. Moins de 1 % des vaccins utilisés en Afrique sont fabriqués localement. Et près de deux ans après le début du déploiement du vaccin Covid, à peine un cinquième de la population est entièrement vacciné contre la maladie.
Nicole Fairhurst avertit que le manque de capacité de distribution est particulièrement préoccupant. L’inefficacité des mécanismes de distribution explique en partie pourquoi près de 30 % des vaccins Covid reçus par l’Afrique n’ont pas été utilisés. Améliorer la distribution est « aussi important que de disposer d’un vaccin ».
Un point positif potentiel de la pandémie est que le monde s’est enfin réveillé, du moins dans une certaine mesure, à l’importance de renforcer les systèmes de santé mondiaux. « Si nous avions essayé de lever le Transform Health Fund sans que la Covid ne soit arrivé, cela aurait été beaucoup plus difficile », conclut Noorin Mawani. « Les soins de santé sont toujours présents dans l’esprit des gens. » Et d’ailleurs : « C’est le moment de construire cette infrastructure afin d’être prêt pour la prochaine pandémie. Parce qu’il y en aura une prochaine. »
@NA