Pour réformer, le Nigeria laisse filer sa monnaie

Le nouveau président du Nigeria, Bola Tinubu, a pris deux mesures importantes rompant avec la politique de son prédécesseur. Les économistes réservent un accueil prudent à sa politique d’unification du taux de change et la suppression des subventions.
Le « grand nettoyage de la politique monétaire » promis par le nouveau président Bola Tinubu lors de son entrée en fonction, le 29 mai 2023, n’a pas tardé. En effet, le 14 juin, la Banque centrale du Nigeria (CBN) annonçait l’unification de tous les segments du marché des changes, remplaçant l’ancien régime de multiples taux de change par un taux de marché effectif. Le naira a immédiatement chuté de 36 % par rapport au dollar sur le marché officiel.
« La dévaluation et l’unification devraient mettre fin aux multiples marchés et taux de change étrangers, qui ont découragé les activités commerciales et freiné les investissements étrangers. »
Les analystes interrogés par African Business s’attendaient à cette mesure de la part de Bola Tinubu après la suspension brutale de Godwin Emefiele de ses fonctions de gouverneur de la CBN le 9 juin. Folashodun Shonubi, un vice-gouverneur chargé des opérations à la banque, le remplace par intérim. Et Godwin Emefiele a été détenu « pour des raisons d’enquête ». Le président a clairement signalé qu’il serait « directement impliqué dans l’orientation de la politique monétaire de la CBN », rappelle Ikemesit Effiong, responsable de la recherche chez SBM Intelligence. « La suspension de Godwin Emefiele met le dernier clou dans le cercueil de l’indépendance de la politique monétaire. Quel que soit le gouverneur que Tinubu nommera, il ne fera aucun doute sur son mandat ».
Les multiples taux de change ont été accusés de paralyser la plus grande économie africaine. Certains investisseurs saluent le président Tinubu pour ses mesures agressives, y voyant des signaux indiquant qu’il est déterminé à remettre l’économie du pays sur une voie orthodoxe.
Avec un niveau plus réaliste du change, la Banque centrale espère faire revenir dans la sphère formelle une partie des transactions qui lui échappent.
Les mouvements de devises font suite à la suppression d’une subvention sur les carburants qui a coûté 10 milliards de dollars au pays, l’année dernière. Cette décision, a été annoncée dans le discours d’investiture et deux jours plus tard, la compagnie pétrolière d’État NNPC décidait que le prix de l’essence à la pompe devait plus que tripler, passant de 189 nairas par litre à entre 480 et 570 nairas par litre.
Le bon moment pour réformer
Pour approfondir les réformes du marché des changes, le Nigeria devrait supprimer les restrictions sur les devises d’une liste de 43 produits, dont le sucre et la farine, qui, selon la Banque centrale, ne peuvent être financés par les ventes officielles en dollars.
Toujours le 14 juin, Bola Tinubu a suspendu Abdul Rasheed Bawa, le responsable de l’agence de lutte contre la corruption du pays, la Commission économique et financière des crimes. Le même jour, la CBN a apporté des modifications opérationnelles au marché des changes. Elle a réintroduit le modèle du marché de l’acheteur volontaire et du vendeur volontaire pour le commerce à la fenêtre des investisseurs et exportateurs, dans le cadre d’une démarche visant à libéraliser le marché.

L’« équipe de Tinubu sait qu’elle n’aura pas de période de lune de miel du point de vue de la gouvernance, ce qui signifie que le Président est pratiquement libre de poursuivre des réformes économiques significatives et douloureuses dès le début de son mandat », explique Imesit Effiong. La libéralisation du marché indique la suppression de certaines des restrictions sur le taux de change officiel. Le naira a clôturé à 664 pour 1 dollar sur le FMDQ, une Bourse locale, le 14 juin ; la monnaie a repris des couleurs, le dollar évolue aujourd’hui sous les 500 nairas, aux cours officiels. « La dévaluation et l’unification devraient mettre fin aux multiples marchés et taux de change étrangers, qui ont découragé les activités commerciales et freiné les investissements étrangers », explique Ayodeji Dawodu, de Bank Trust.
« Nous notons que la plupart des biens et services de l’économie étaient activement évalués plus près du taux du marché parallèle, ce qui pourrait limiter l’impact inflationniste de cette mesure pour l’instant. »
@ABanker