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African Banker Dossier Afreximbank

Nous sommes d’abord des agents de développement

Nous sommes d’abord des agents de développement
  • Publiéaoût 15, 2023

Le vice-président exécutif George Elombi a rejoint la Banque alors que ses effectifs atteignaient à peine une douzaine de personnes. Il est donc bien placé pour analyser l’évolution de la Banque au cours des trente dernières années. Il se concentre sur les aspects de la Banque, et de sa gouvernance, qui l’ont rendue extrêmement résistante et efficace.

 

George Elombi faisait partie du petit groupe de jeunes professionnels brillants rassemblés par le premier président d’Afreximbank, Christopher Edordu, lorsqu’il a quitté son poste de professeur à l’université de Hull, au Royaume-Uni, pour rejoindre la Banque en 1996.

Il avait été approché par le directeur des affaires juridiques de la banque, Akin Olubadie, qui lui avait indiqué que l’organisation panafricaine nouvellement créée avait besoin de quelqu’un qui soit bilingue, juriste et qui ait une certaine compréhension du financement du commerce, toutes qualités que possédait George Elombi.

Attiré par la mission de la Banque et encouragé par son cousin qui voulait savoir ce qu’Elombi faisait au Royaume-Uni alors que l’Afrique avait besoin de ses cadres, il a accepté. « Je suis entré dans le bureau (au Caire) et on m’a immédiatement confié un dossier sur lequel je devais commencer à travailler. Je n’ai pas eu le temps d’aller me présenter au département des ressources humaines. Ils ont pris note du fait que j’étais assis quelque part et, plus tard, ils sont venus prendre mes coordonnées ! », se souvient-il.

« La banque n’est que l’outil que nous utilisons pour atteindre nos objectifs de développement. C’est un message qui risque de se diluer à mesure que d’autres personnes rejoignent l’équipe et que l’ampleur des tâches financières quotidiennes finit par dominer toute notre attention. »

George Elombi, qui a pu étudier l’histoire et la transformation de la Banque aux premières loges, se souvient qu’au début, les sceptiques ne lui donnaient pas plus de cinq ans avant d’imploser. Mais la Banque n’a pas seulement déjoué ces pronostics, elle est devenue l’une des institutions les plus influentes du continent.

Selon lui, le mérite en revient en grande partie à Christopher Edordu, son premier dirigeant. « Les actionnaires ont eu de la chance de choisir quelqu’un qui avait une expérience et une intégrité extraordinaires pour diriger la Banque dès le début. C’était un Africain patriote qui a fait le travail qui devait être fait avec discrétion et diligence. »

Si cela s’avérait nécessaire, il passait une journée ou deux semaines à débattre d’une question, à argumenter sa position afin que nous puissions prendre la bonne décision. « Ce sont de telles valeurs qu’il a inculquées à la Banque et qui sont encore présentes aujourd’hui. »

L’une de ces valeurs consistait à défendre les intérêts des pays africains sans crainte et de manière cohérente, mais toujours avec intégrité. Parfois, cela signifiait qu’il fallait penser à l’avance et concevoir des solutions créatives avant même que les problèmes ne se posent.

Un incident particulier lui revient à l’esprit. « En 1998, avant que la crise au Zimbabwe ne commence vraiment, Christopher Edordu a convoqué quelques-uns d’entre nous à une réunion un soir. Il nous a dit qu’il voyait venir un problème au Zimbabwe parce que le gouvernement avait mis le doigt sur quelque chose d’extrêmement sensible et que si l’on n’y prenait pas garde, interviendrait une catastrophe économique. » Et il s’agissait d’une économie qui, à l’époque, était extrêmement prospère.

« Il a estimé que nous ne pouvions pas laisser cette économie s’effondrer à cause de la politique et nous avons donc immédiatement commencé à travailler sur des projets visant à aider l’économie zimbabwéenne à se maintenir à flot. »

Pour Edordu, la politique et les hommes politiques doivent être considérés comme distincts de l’économie, qui est éternelle et doit être préservée pour le bien des citoyens.

Selon George Elombi, les discussions sur le Zimbabwe reflètent la collégialité qui a vu le jour sous Edordu et qui continue de prévaloir à la Banque. Quel que soit son rang, un membre du personnel peut être sûr d’obtenir l’oreille des plus hauts fonctionnaires.

« Vous pouviez, en tant que jeune employé, appeler le président à deux heures du matin pour lui dire que vous n’étiez pas d’accord avec ce qu’il avait dit lors de la réunion du comité de crédit, et il se réveillait et avait une conversation sérieuse avec vous à ce sujet. Et si vous ne parveniez pas à vous mettre d’accord, il vous invitait à venir plus tard dans son bureau, où il y avait peut-être quelques personnes de plus pour discuter de la question et la résoudre d’une manière ou d’une autre. »

Cette culture du débat franc et ouvert a été essentielle au succès de la Banque, en particulier dans les premières années, les membres du personnel étant encouragés à apporter et à défendre leurs idées pour améliorer la qualité des décisions et du processus décisionnel.

 

Les trois phases

George Elombi divise l’histoire de la Banque en trois chapitres. Le premier, celui d’Edordu, a été la phase de création, marquée par la détermination de veiller à ce que les fonds des actionnaires soient protégés et à ce que la Banque soit bien ancrée dans la réalité.

« Il a passé beaucoup de temps à nous faire comprendre que notre objectif premier était de garantir chaque dollar à nos actionnaires. Il nous a dit que si nous estimions que nous ne pouvions pas remplir ce mandat, nous devions rendre tout l’argent aux actionnaires avec une belle lettre expliquant que nous n’étions pas en mesure d’atteindre les objectifs qu’ils nous avaient fixés. »

La conséquence involontaire de ce succès a été que la Banque est devenue très importante pour beaucoup de gens, ce qui a conduit à un conflit d’actionnaires qui a menacé le chapitre suivant, que George Elombi décrit comme « la phase de résilience ».

Ce chapitre, en grande partie sous la direction du deuxième président de la Banque, Jean-Louis Ekra, a également été caractérisé par le fait que la Banque s’est imposée comme un acteur clé dans l’espace de développement africain. C’est au cours de cette phase qu’elle a mis en place des initiatives telles qu’Africoin et qu’elle a joué un rôle essentiel pendant la crise financière mondiale.

Ayant survécu – et prospéré – à cette époque, et ayant démontré son courage, sa pertinence et son importance systémique, la Banque était désormais prête pour une croissance plus expansive qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.

« Cette phase se caractérise par une croissance très rapide du bilan ainsi que par un changement dans la structure des types d’entreprises financées par la Banque. Nous sommes passés du simple financement du commerce à l’appui de l’infrastructure de facilitation du commerce. »

Selon George Elombi, cette transformation avait été anticipée par les fondateurs, qui avaient compris que la Banque devait d’abord renforcer ses capacités avant de s’attaquer à ses objectifs ultimes. Afreximbank ayant été créée en temps de crise, il est rapidement devenu évident que la structure de l’économie africaine était responsable de la faible croissance et qu’elle devait être transformée si le continent voulait parvenir à une croissance soutenue et accélérée.

« Nos échanges commerciaux étaient principalement orientés vers l’Europe parce que nous ne faisions que commercer des produits de base : le pétrole de l’Angola, du Nigeria et de quelques autres pays qui exportaient également des minerais. Si nous devions augmenter le commerce intra-africain, comme nous en avons besoin, nous devrions produire des biens dont l’Afrique a besoin. » C’est pourquoi la modification de la structure du commerce est désormais l’un des principaux domaines d’intervention de la Banque dans sa troisième phase actuelle.

Il s’agit là de la concrétisation du grand programme de la Banque, tel qu’il a été défini par son premier président, qui avait déclaré que la Banque ne remplirait pas son mandat si elle se cantonnait au secteur du financement du commerce.

« Cela signifie qu’il faut soutenir les ports maritimes et terrestres, les infrastructures de télécommunication et les usines de transformation qui permettront aux entreprises africaines d’ajouter de la valeur à leurs matières premières et de les acheminer vers d’autres parties du continent – ce qui a été grandement facilité par l’accord de libre-échange continental africain », explique-t-il.

La croissance de la Banque s’est traduite par l’embauche de personnel supplémentaire pour supporter ses charges croissantes. Actuellement, Afreximbank dispose d’un personnel de base de plus de 300 personnes et d’environ 600 consultants, personnel de soutien et autres agents externalisés travaillant pour son compte.

Les entreprises de cette taille peuvent souvent être submergées par les processus et la routine, ce qui les rend incapables d’agir rapidement. « Et la nature de la tâche qu’elle s’est fixée signifie qu’Afreximbank doit agir rapidement », commente George Elombi. La réponse de la Banque à ce problème est d’avoir des unités séparées qui s’occupent de parties spécifiques de son mandat.

« Nous commençons à penser que la Banque devrait avoir des entités autonomes qui fonctionnent de manière indépendante. C’est pourquoi on assiste à la création d’entités telles que le Fonds pour le développement des exportations en Afrique, le Système panafricain de paiement et de règlement, AfrexInsure et d’autres. C’est parce que si nous gardons tout cela dans une seule entité appelée Afreximbank, cela deviendra trop lourd à gérer. » 

D’ailleurs, « cela pourrait être la dernière étape de notre évolution et aussi la façon dont nous pouvons maintenir notre visibilité et notre pertinence pour les États membres », juge George Elombi, selon qui des unités plus petites sont en mesure de réagir rapidement aux défis.

 

 

Indépendance du conseil d’administration

Les forces uniques d’Afreximbank et sa capacité à évoluer avec la rapidité d’une entité du secteur privé, mais avec le poids d’une institution multilatérale, doivent également être attribuées à ses instruments fondateurs, qui, selon George Elombi, comptent parmi les « instruments juridiques les plus créatifs » qu’il ait jamais vus.

Les fondateurs de la Banque ont créé une institution détenue en partie par des agences gouvernementales et en partie par des acteurs du secteur privé. Ainsi, contrairement aux institutions multilatérales classiques qui ne disposent que d’un traité que les pays signent, Afreximbank dispose également d’une charte qui régit les relations entre la Banque et ses actionnaires, parmi lesquels figurent des organismes du secteur privé.

« La créativité de cet arrangement et l’interaction entre les deux documents ont permis à la Banque de bénéficier de tous les avantages d’une institution multilatérale tout en conservant la capacité de fonctionner comme une institution du secteur privé. »

Elle doit déclarer et distribuer des dividendes, ce qui signifie qu’elle doit respecter la discipline du secteur privé dans ses opérations ; et elle doit aussi réaliser le développement en même temps. 

Les fondateurs ont également pris soin de distinguer la Banque des autres institutions multilatérales en ce qui concerne l’attribution du pouvoir aux actionnaires. « Le pouvoir de vote du conseil d’administration n’est pas indexé sur la taille de l’actionnariat. Chaque actionnaire ne dispose que d’un seul siège et d’une seule voix, quelle que soit la taille de sa participation. Il s’agit là d’une autre ingéniosité destinée à donner au conseil d’administration et à la direction une certaine indépendance afin qu’ils soient en mesure de prendre des décisions sans être contrôlés par les grands actionnaires. »

Le conseil d’administration est si indépendant qu’une fois nommé, les actionnaires ne peuvent pas révoquer unilatéralement un représentant, ce qui signifie qu’ils peuvent se consacrer aux intérêts de la Banque sans avoir à se soucier de l’approbation ou non de l’entité qui les a nommés. 

Pour les parties prenantes extérieures à la Banque, il a fallu s’habituer à cette situation. Les prêteurs ne savaient pas comment traiter cette organisation hybride unique, tandis que la Banque elle-même devait maintenir un équilibre serré afin de ne perdre aucun des avantages découlant du fait d’avoir un pied de chaque côté de la ligne de partage entre le secteur public et le secteur privé.

En raison de son caractère unique, la Banque n’est pas directement réglementée par les organismes habituels. En ce qui concerne les notations, typiques pour les prêteurs du secteur privé de sa taille, un grand débat a fait rage au sein de la Banque durant deux ans. « Christopher Edordu, en tant que président, était convaincu qu’il n’était pas nécessaire que la Banque se soumette au processus de notation, tandis que d’autres membres de la direction générale de l’époque étaient d’un avis différent », se souvient George Elombi.

Une partie de l’hésitation provenait des lacunes institutionnelles du système de notation et de la manière dont cela affecterait les objectifs de développement de la Banque. « Ces agences viennent d’une autre partie du monde où l’Afrique n’est perçue qu’en termes de risque, bien que les pays africains soient moins en défaut de paiement que les pays d’autres régions », souligne-t-il.

« Cependant, comme nous devons compter sur les marchés internationaux pour le financement, nous devons nous soumettre à ces agences parce que nous avons besoin de leur bénédiction. C’est donc une relation complexe que nous entretenons avec ces agences », ajoute-t-il. « C’est pourquoi, à Afreximbank, nous avons pensé à nous tourner vers la mobilisation de fonds provenant de sources africaines, ce que nous avons heureusement réussi à faire. »

Finalement, un compromis a été trouvé : les agences ont été invitées à évaluer les processus de la Banque et à s’habituer à son caractère unique avant que la Banque ne se soumette officiellement à une notation.

 

Source de résilience

La résilience de la Banque face à la crise, explique George Elombi, peut être attribuée aux circonstances de sa naissance. Créée au milieu de défis à relever, la Banque doit son existence à la volonté des pays de trouver l’argent nécessaire pour la financer.

Le fait qu’elle ait été créée dans des circonstances aussi difficiles la rend naturellement apte à relever les défis ; le bilan de la Banque n’a cessé de croître malgré la récession économique mondiale actuelle qui a affaibli la capacité d’institutions financières encore plus grandes.

Il souligne que la réponse de la Banque à la pandémie de Covid-19 est une démonstration de son habileté caractéristique dans les situations d’urgence. « Le Covid était considéré comme une menace majeure dans le monde entier et il a fallu beaucoup de courage pour y faire face. » Nous n’avions pas de vaccins et tout le monde pensait qu’il y aurait un carnage en Afrique.

« Nous avons donc demandé 2 milliards de dollars au conseil d’administration, qui n’avait que deux questions à poser. La première concernait le mandat : cela était facile parce qu’Afreximbank a aussi été créée pour financer les importations essentielles et les vaccins Covid étaient clairement des importations essentielles. Si vous ne protégez pas la vie de vos citoyens, il n’y a pas de commerce à financer. »

L’autre question concernait les liquidités : comment trouver l’argent ? « Heureusement, les prêts étaient tels que nous pouvions facilement transférer des liquidités d’un côté à l’autre et nous avons pu aller sur le marché pour lever des fonds à un moment où il n’y avait pas beaucoup d’argent sur le marché. »

Si George Elombi est confiant dans la capacité de la Banque à faire face à des ruptures mondiales massives, il considère que cet atout dépendra en grande partie de la capacité du personnel à rester concentré sur les ambitions globales de la Banque.

« Ma crainte est que les employés cessent de se considérer comme des agents de développement et en viennent à se considérer comme des banquiers. Nous sommes avant tout des agents de développement. La banque n’est que l’outil que nous utilisons pour atteindre nos objectifs de développement. »

Et de prévenir : « C’est un message qui risque de se diluer à mesure que d’autres personnes rejoignent l’équipe et que l’ampleur des tâches financières quotidiennes finit par dominer toute notre attention. »

Le moyen de répondre à ce problème, juge-t-il, est d’imprégner constamment les nouveaux employés du sens de la mission et de leur faire comprendre que la pertinence de la Banque pour ses actionnaires est la seule chose qui définisse et garantisse son existence même.

Le personnel de la Banque ne doit jamais oublier que le continent a besoin de lui pour réussir et que c’est un privilège de faire partie des quelques personnes chargées de mener à bien la mission de la Banque. Pour ce faire, ils doivent se concentrer sans relâche sur les défis du continent et sur les efforts déployés pour les relever.

« On ne peut pas se détendre quand il y a des parties du continent où il n’y a pas de routes, pas d’électricité, pas de réseaux téléphoniques. Il reste beaucoup de travail à faire ! », conclut-il.

@Afreximbank

Écrit par
Rédaction

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