Maghreb : Des réformes de rupture s’imposent

La BMICE publie un rapport très complet sur la crise sanitaire. Ses économistes appellent à des plans de relance qui vont au-delà de la réponse conjoncturelle et à des réformes structurelles profondes.
Par Laurent Soucaille et Marie-Anne Lubin
Reprenant les prévisions des organismes internationaux ainsi que leurs propres perceptions, les économistes de la BMICE (Banque maghrébine d’investissement et de commerce extérieur) décortiquent les mécanismes de propagation de la crise. Lesquels débouchent sur autant de pistes de réflexions pour préparer l’avenir. Extraits.
Bien que les réponses à la crise aient permis dans certains pays d’entamer des étapes de déconfinement progressif et ciblé, la gestion de la reprise économique sera tributaire de la vitesse avec laquelle les économies redémarreront leurs activités après une période de confinement.
Une fois la crise passée, la région devra repenser les politiques macroéconomiques structurelles et implémenter des réformes de rupture avec leurs modèles actuels de développement.
Outre le recul du commerce intra-maghrébin, la demande a été affectée par les mesures sanitaires et les mesures budgétaires, la compression des investissements étrangers. Le potentiel de reprise, à partir de 2021, sera tributaire de l’efficacité attendue des mesures de déconfinement et de la réactivité des activités productives.
Aux chocs d’offre et de demande, s’ajoute, pour les pays exportateurs d’hydrocarbures, une baisse drastique des prix de pétrole alors même que la crise n’a pas épargné les prix des matières premières hors énergie.
À cela vient s’ajouter l’interruption des chaînes d’approvisionnements en matières premières et en consommations intermédiaires, imposée à son tour par la fermeture des frontières et la suspension des échanges commerciaux avec les principaux fournisseurs. Facteurs qui mettent en difficulté même les secteurs non confinés.
La réduction de l’offre de la Chine en intrants intermédiaires importés par les autres pays partenaires a affecté la capacité productive et le potentiel d’exportation de ces derniers. Beaucoup d’industries, au Maghreb, restent dépendantes des matières premières, demi-produits et produits semi-finis importés de Chine.
Globalement, les économistes prévoient une contraction des échanges internationaux entre 13% et 32% durant toute l’année 2020, avec une possibilité de reprise de 24% en 2021 si la crise est contenue.
Reprise attendue en 2021
D’autre part, selon la Banque mondiale, tous les pays à revenus intermédiaires connaîtront en 2020 une baisse généralisée des flux de transferts de fonds de migrants et de travailleurs à l’étranger, estimée à 19,7%, contre une baisse de 19,6% dans la région MENA et de 19,9% dans le monde.
Au Maghreb, les estimations montrent que la situation affecterait particulièrement le Maroc et la Tunisie, avec en moyenne un déclin estimé entre 17% et 18% en 2020 par rapport à leurs situations de référence en 2019. Maroc : 6,7 milliards $ en 2019 et 5,6% du PIB, Tunisie : 1,9 milliard $ et 4,9% du PIB. L’Algérie devrait maintenir en 2020 la même cadence des flux de remises migratoires avec 1% du PIB.
Aujourd’hui, les principales prévisions tablent sur des perspectives de croissance à partir de l’année 2021 en post-crise Covid dans tous les pays du Maghreb. Par exemple le FMI table sur 4,1% pour la Tunisie, +6,2% en Algérie, +4,2% en Mauritanie, +4,8% au Maroc et un très fort rebond en Libye, sous l’hypothèse d’une reprise de la production des hydrocarbures.
Néanmoins, la focalisation des stratégies de réponses sur le seul objectif conjoncturel d’endiguement de la crise sanitaire ne doit pas occulter l’impératif de mettre en œuvre des plans de relance. Ils seront à même d’assurer le redémarrage d’économies en quarantaine et contenir les risques de trappe à la déflation face à la baisse de la demande interne.
En particulier, la lutte contre la montée du chômage sera primordiale car des pertes massives d’emplois ont été occasionnées par la rupture des activités productives tout au long de la période de la pandémie.
Ce phénomène risque de perdurer si les incertitudes persistent sur l’ampleur de la crise ainsi que sur la possibilité de reprise de l’activité économique au Maghreb. Sur ce dernier registre, une vigilance accrue doit être portée sur les filets de sécurité sociaux.
Des opportunités à saisir
Si elle pèse sur les déficits publics, la sortie de crise peut constituer un effet d’aubaine ou une « fenêtre d’opportunité », pour la relance de l’intégration régionale maghrébine et pour la création d’opportunités et de niches nouvelles d’opérations commerciales et d’investissement intra-maghrébines.
Les leçons à tirer pour revisiter ou repenser la stratégie d’intégration économique dans la zone sont nombreuses et posent des enjeux cruciaux pour un modèle renouvelé d’intégration régionale dans les pays du Maghreb en période de post-crise Covid, qui peut transformer la crise en opportunités. Parmi les enjeux multiples résident trois opportunités : l’émergence de nouvelles tendances sectorielles intra-régionales, la création de nouvelles chaînes de valeur régionales, l’implémentation de réformes de rupture.
Ainsi, l’émergence de nouvelles tendances sectorielles présente-t-elle autant d’opportunités à saisir par les pays de la région dans des secteurs où ils ont clairement démontré des avantages comparatifs révélés.
On songe notamment à l’industrie agroalimentaire, à l’industrie pharmaceutique, aux services liés à la santé tels les instruments médicaux, et aux secteurs liés aux technologies de l’information. Ces derniers semblent être les gagnants de cette crise, outre l’accélération du développement de l’économie verte, des services logistiques et de tourisme.
Les matières premières restent des atouts
D’autre part, le développement des énergies alternatives permettrait une meilleure efficacité énergétique. De plus, les pays du Maghreb devraient mettre en œuvre une politique agricole.
Celle-ci devra être en cohérence à la fois avec le renforcement de la sécurité alimentaire et un développement durable et inclusif, d’une part, et opportune pour le développement des filières liées à l’industrie agroalimentaire, d’autre part.
Cette question pourrait faire l’objet d’une stratégie horizontale englobant les cinq pays du Maghreb autour d’une politique commune à définir comme fût le cas pour l’Union Européenne avec la PAC, au début des années 1960.
Dans le même temps, la crise du Covid-19 a révélé l’efficacité du télétravail et des paiements mobiles ainsi que l’opportunité d’utilisation des solutions d’intelligence artificielle, ce qui peut être un accélérateur pour la transformation digitale. À ce titre, les services financiers et la finance digitale offrent un réel potentiel de reprise.
Enfin, la région bénéficie aussi d’autres atouts d’intégration économique non-exploités pour faire jouer les complémentarités économiques existantes qui constituent le potentiel naturel d’intégration économique régionale.
Algérie et Libye, dans les produits énergétiques et chimiques (gaz naturel, pétrole brut, carburant ainsi que les produits minéraux), Maroc et Tunisie, dans les phosphates de calcium naturels, les engrais phosphatés et les acides inorganiques, et la Mauritanie, dans les activités halieutiques et de la pêche ainsi que dans le fer et ses dérivés.
De plus le nouveau potentiel non exploité du phosphate et du fer en Algérie ainsi que celui des produits pétrolier et gazier en Mauritanie pourrait offrir d’autres voies d’intégration régionale.
De nouvelles chaînes de valeur
Pour canaliser les stratégies de sortie de crise dans une nouvelle dynamique d’intégration régionale, le desserrement des contraintes économiques majeures et des obstacles d’accès aux marchés dans les pays du Maghreb s’avère plus qu’urgent.
Ces obstacles sont d’ordre tarifaires, non-tarifaires, procéduraux, réglementaires (bancaire, contrôles de change, régimes de commerce et d’investissement,…) ainsi que ceux inhérents aux pratiques et climats des affaires, en général, et aux coûts de transaction logistiques en matière de commerce et d’investissement. La levée de ces obstacles permettrait de rattraper les retards accumulés dans le processus d’intégration maghrébine.
Montée en gamme
Les tendances sectorielles amèneront nécessairement les opérateurs du secteur privé maghrébin à remodeler leurs chaînes d’approvisionnement, et ce, en les relocalisant ou en privilégiant des circuits courts d’approvisionnement, ce qui pourrait renforcer la dynamique d’intégration régionale au Maghreb.
Cette relocalisation sera d’autant plus opportune pour exploiter le potentiel commercial existant mais aussi pour la création de nouvelles niches croisées de commerce et d’investissement intra-maghrébines. Il faudrait tenir compte des enjeux liés au développement durable (raccourcissement des chaînes de valeur au niveau des distances géographiques et de la décomposition des processus productifs).
La lutte contre la montée du chômage sera primordiale car des pertes massives d’emplois ont été occasionnées par la rupture des activités productives tout au long de la période de la pandémie.
En fait, bien que les pays du Maghreb ne soient pas connus pour leur production de produits intermédiaires entrant dans le processus de production maghrébine, les tendances de relocalisation de circuits courts d’approvisionnement peuvent s’avérer opportunes pour les produits finis, dans le sens du croisement des potentiels productifs des uns avec les besoins de consommation des autres.
C’est dans ce cadre que l’émergence de nouvelles tendances sectorielles intra-régionales et la mise en place de stratégies sectorielles actives et appropriées tournées sur le marché maghrébin, moins dépendantes des chaînes d’approvisionnement classiques, seront tout à fait indiquées pour le développement de nouvelles chaînes de valeur régionales, avec une montée en gamme dans les chaînes de valeur mondiales.
La crise de la Covid-19 peut ainsi se transformer en un « game-changer » pour les pays du Maghreb qui pourraient bénéficier de la relocalisation d’activités installées jusqu’alors en Chine et en Asie.
Comme pour l’industrie pharmaceutique, car les pays industrialisés, et notamment européens, auront tendance à relocaliser les chaines de valeurs industrielles, mais aussi à délocaliser des emplois de services aux entreprises, des services à haute valeur ajoutée, dans leur voisinage.
Des réformes de rupture
Cette proximité géographique de l’Europe pourrait constituer une bonne alternative pour les pays du Maghreb. Deux points demeurent cependant posés.
Le premier concerne la concurrence que les pays d’Europe de l’est pourraient constituer, bien que les coûts de la main-d’œuvre et de l’énergie dans la région du Maghreb y soient moins élevés. Le second est relatif à la capacité des pays maghrébins à constituer une unité dans la négociation de ces projets.
Revisiter la stratégie d’intégration régionale au Maghreb et repenser un nouveau modèle d’intégration régionale maghrébine dans la phase de sortie de crise et de reconstruction sont indissociables des impératifs que les gouvernements des pays du Maghreb devraient saisir.
Une fois la crise passée, la région devra repenser les politiques macroéconomiques structurelles et implémenter des réformes de rupture avec leurs modèles actuels de développement.
La première rupture concerne la valorisation du secteur de santé. La seconde concerne le développement de l’entreprenariat et de l’initiative privée tant il s’est avéré que les tissus actuels des entreprises économiques demeurent vulnérables à l’occurrence de crises économiques de grande ampleur telle que celle qu’on connaît aujourd’hui. La troisième concerne le contrat social avec une meilleure assise des filets de sécurité sociaux pour préserver les couches les plus vulnérables, et garantir l’inclusion et l’employabilité.
TABLEAU
N B : Le rapport à été préparé sous la direction de Said Berbale et Ait-ikhlef Abdelghani, directeur général et directeur général adjoint de la BMICE. Il a été principalement rédigé par le professeur Sami Mouley, Chief Economist de la BMICE, qui a aussi assuré sa coordination scientifique.
1 Commentaire
Le rapport sur les impacts de la pandémie Covide -19 sur les économies du Maghreb est le fruits d’une large équipe de la BMICE à qui revient le mérite de ce travail, sous la Direction, à l’instar de tout les travaux de la BMICE, de Monsieur Sail Berbal (Directeur Général) et Monsieur Ait ikhlef abdelghani (Directeur Général Adjoint), le nota Béné (NB) qui rend hommage à la seule personne du directeur de Pôle des études économiques n’est pas à sa place et ne respecte pas les A B C de la communication institutionnel, de ce fais cet article devrait s’arrêté au seul contenu du rapport qui est publié par une institution « La Banque Maghrébine d’Investissement et du Commerce Extérieur (BMICE) »