Les technologies numériques ouvrent de vastes perspectives

Les plateformes Internet pourraient permettre aux pays africains de passer à des systèmes plus efficaces, mais de meilleures politiques sont nécessaires pour soutenir les entreprises numériques locales.
L’Afrique est connue pour l’essor de ses marchés d’argent mobile, qui ont supplanté les agences bancaires pour les transferts de fonds, ainsi que pour d’autres domaines bancaires. M-Pesa en Afrique de l’Est, Bank Zero en Afrique du Sud et FirstMobile au Nigeria offrent une pléthore de services financiers, notamment des comptes d’épargne dédiés et des prêts de microfinance. Des dizaines de millions d’entreprises et de particuliers ont accès à de petits prêts à court terme grâce à des solutions telles que M-Shwari au Kenya et Branch au Nigeria.
Ce qu’il faut, ce ne sont pas des mesures de protection, mais des politiques soigneusement coordonnées qui soutiennent et nourrissent les entreprises numériques locales.
Des applications de prêt entre pairs, comme KiaKia au Nigeria, et des plateformes de crowdfunding, comme M-Changa au Kenya, mettent en relation des entreprises en quête de financement avec des investisseurs du monde entier. Dans l’agriculture, des plateformes numériques telles que M-Farm et Twiga au Kenya visent à mettre en relation les consommateurs urbains avec des millions de paysans.
En revanche, dans d’autres secteurs des services, le vaste potentiel des plateformes numériques commence seulement à prendre forme. Jumia et Takealot ont déjà fait des progrès importants en introduisant une culture du commerce électronique. Dans plusieurs pays, des locales de covoiturage sont en concurrence directe avec des géants mondiaux comme Uber.
En effet, l’« économie du partage » semble parfaitement adaptée aux besoins des consommateurs africains, au pouvoir d’achat limité. Les plateformes « Uber for Tractors », telles que Hello Tractor au Nigeria et Trotro Tractor au Ghana, permettent aux petits exploitants de louer des tracteurs à des tarifs abordables.
Les plateformes numériques contribuent également à consolider des marchés fragmentés. L’entreprise kenyane Lynk, par exemple, aide à mettre en relation des ménages et des entreprises avec des travailleurs techniques informels.
Remettre en question les monopoles numériques
Ces avantages des plateformes numériques s’accompagnent toutefois d’un certain nombre de défis qui posent des dilemmes politiques. L’un de ces défis est que les plateformes numériques ont tendance à se retrouver avec un acteur dominant, en raison de l’« avantage du réseau » qui signifie que les nouveaux utilisateurs rejoignent la plus grande plateforme. Comme beaucoup d’autres entreprises jouissant d’un pouvoir monopolistique, les plateformes dominantes pourraient être tentées d’utiliser des approches brutales pour s’imposer.
Par exemple, l’application bancaire mobile M-Pesa, qui compte actuellement 50 millions d’utilisateurs actifs dans le monde, a été accusée de limiter l’interopérabilité de sa plateforme avec d’autres plateformes, afin de réduire la concurrence. Heureusement, les régulateurs kenyans ont contraint Safaricom, la plus grande entreprise de télécommunications du Kenya, qui gère également M-Pesa, à rendre son application interopérable avec d’autres services bancaires mobiles.
La présence d’une plateforme dominante n’est pas sans mérites. Sur les marchés africains, où l’infrastructure de soutien aux entreprises fait généralement défaut, une entreprise dominante disposant de ressources suffisantes peut jouer un rôle similaire à celui d’un État en construisant une telle infrastructure.
Safaricom, par exemple, a investi des ressources importantes pour recruter et former un vaste réseau d’agents de transfert d’argent dans les premiers temps de M-Pesa. De même, Jumia a construit un réseau d’opérateurs logistiques, d’entrepôts et de stations de ramassage qui a contribué à rationaliser le problème complexe de la distribution du dernier kilomètre au Nigeria. Le défi consiste donc à définir et à faire respecter une ligne rouge qui délimite un pouvoir de monopole trop important entre les plateformes dominantes.
La concurrence avec les plateformes étrangères
Le problème du monopole naturel devient plus litigieux lorsque les entreprises dominantes sont des entreprises étrangères disposant d’avantages technologiques importants par rapport à leurs concurrents africains. Dans le domaine du covoiturage, par exemple, les applications locales de tout le continent s’efforcent de rivaliser avec Uber.
Compte tenu de la taille considérable et de l’accès aux ressources d’Uber, ainsi que des avantages de réseau que lui confère le fait d’avoir commencé tôt dans de nombreux pays, il est peu probable que les entreprises locales de covoiturage gagnent cette compétition. Toutefois, les politiques destinées à protéger les entreprises locales peuvent se retourner contre elles. Par exemple, l’Éthiopie, qui protège ses secteurs de services de la concurrence étrangère, en a payé le prix en devenant un retardataire dans ce paysage technologique en évolution extrêmement rapide.
Un problème connexe se pose lorsque des entreprises africaines détenues ou gérées par des étrangers deviennent des plateformes dominantes. C’est le cas de Jumia, qui se présente comme la plus grande entreprise de commerce électronique d’Afrique. Après son introduction à la Bourse de New York en 2019, Jumia a été accusée de se présenter comme une entreprise africaine alors que ses cadres supérieurs étaient européens et que son siège social se trouvait à Dubaï.
Par rapport aux entreprises internationales telles qu’Uber, les entreprises comme Jumia ayant des racines africaines pourraient avoir une meilleure intégration locale qui leur permet de contribuer au développement de l’écosystème commercial. Les gouvernements africains ont encore un long chemin à parcourir pour s’assurer que les entrepreneurs locaux reçoivent un soutien suffisant – de l’accès financier aux programmes d’incubation et d’accélération – afin d’améliorer leur compétitivité sur un marché mondialisé.
L’avenir numérique
Les plateformes internet prennent de l’importance dans de nombreux secteurs en Afrique, profitant de l’élargissement de l’accès au numérique. Ces plateformes pourraient permettre aux pays africains de passer à des systèmes économiques plus efficaces et plus modernes, qui ne seraient pas limités par les obstacles bureaucratiques. Dans le même temps, la conception et la mise en œuvre de politiques appropriées pour soutenir la croissance des technologies numériques restent un défi.

Si les avantages d’avoir des entreprises locales compétitives sont évidents, cela peut s’avérer impossible sur des marchés numériques connaissant une évolution technologique rapide. Ce qu’il faut, ce ne sont pas des mesures de protection, mais des politiques soigneusement coordonnées qui soutiennent et nourrissent les entreprises numériques locales. Les régulateurs doivent également affiner leurs outils afin de mieux comprendre et d’atténuer de manière proactive les pratiques anticoncurrentielles qui affectent les plateformes numériques, en particulier dans les services vitaux – tels que la finance et le paiement – qui sous-tendent toutes les autres activités de commerce électronique.
@ABanker