Les succès de la Banque de développement de l’Ouganda
La Banque de développement de l’Ouganda, la seule institution de développement du pays, était moribonde avant Patricia Ojangole ne soit nommée à sa tête en 2012. La directrice générale a multiplié les réformes audacieuses et payantes.
Patricia Adongo Ojangole, directrice générale de l’Uganda Development Bank (UDB), se dit aujourd’hui très satisfaite de la situation de la banque, tel n’a pas toujours été le cas au cours d’une phase initiale turbulente.
Après de nombreuses années de performances médiocres et de faible impact au cours de la dernière décennie, la banque a retrouvé son dynamisme et a un tel impact sur l’économie ougandaise que le gouvernement l’a intégrée comme outil dans sa trousse de développement du secteur privé.
Mais il a fallu à Patricia Ojangole non seulement du temps, mais aussi de grands risques personnels pour arriver à ce poste.
« La banque se concentre sur la mise en œuvre de sa stratégie de développement durable, ce qui lui permet de réaliser des bénéfices et d’en rendre compte. »
La Banque a été créée en 1972, mais elle a rapidement rejoint les rangs des institutions publiques qui succombent à la mauvaise gestion, à la corruption et aux délits d’initiés – qui sont souvent le fléau des initiatives de ce type sur le continent.
Elle a survécu à la vague de privatisations des années 1990, mais n’était pas près de remplir son mandat lorsque Patricia Ojangole, comptable, l’a rejointe en tant qu’auditeur interne en chef en 2011. Ce qui s’est passé ensuite a été déterminant pour la fortune de l’établissement.
« Lorsque je suis arrivée, UDB n’était pas performante. Nous avions des prêts non productifs à hauteur de 60 % du portefeuille et un avis défavorable des auditeurs externes. Le conseil d’administration m’a donc demandé de réaliser un audit spécial sur un produit de prêt peu performant. Le directeur général de l’époque et son adjoint étaient impliqués – ils ont donc été suspendus. »
Avec un montage comprenant des membres du personnel évincés et leurs complices, Patricia Ojangole s’est rapidement retrouvée impliquée dans diverses accusations. Elle a été nommée PDG en novembre 2012, mais en février 2014, un magistrat de la Cour anti-corruption a ordonné son arrestation pour des accusations présumées de victimisation d’un dénonciateur et de conflit d’intérêts.
Elle a été suspendue de ses fonctions et a fait l’objet d’un procès en bonne et due forme. La suspension a été annulée par le juge Stephen Musota le 14 avril 2014 dans le cadre d’un examen de toutes les actions ayant conduit à l’arrestation, et elle a pu réintégrer son bureau, mais le procès et les poursuites se sont poursuivis jusqu’au 30 juin 2014, date à laquelle le juge Lawrence Gidudu du tribunal anti-corruption a relaxé Patricia Ojangole de toutes les charges retenues contre elle, notant l’absence de preuves incriminantes.
Regagnant ainsi en légitimité, elle a pu poursuivre sa mission : transformer UDB en une entité qui jouerait un rôle clé dans le programme gouvernemental de développement du secteur privé et de création d’emplois.
Cela impliquait de revoir les processus de la banque et de créer une nouvelle culture de travail. Pour ce faire, il fallait tout d’abord obtenir l’aide nécessaire, c’est-à-dire trouver quelqu’un possédant l’expérience requise. « Nous avons demandé à une société canadienne, IFCL, de venir travailler avec notre équipe pour examiner toutes les pratiques, structures et processus de l’UDB et les aligner sur les meilleures pratiques mondiales des banques nationales de développement. »
IFCL a formulé quelque 250 recommandations concernant la mise en place des structures et des systèmes adéquats. « C’est à ce moment-là que sont apparues des questions telles que la « notification de l’impact sur le développement« , pour montrer que nous ne sommes pas là pour faire uniquement des profits, mais pour avoir un impact significatif sur nos parties prenantes. Nous nous sommes également concentrés sur de nouvelles questions telles que la gestion environnementale, sociale et des risques, et nous avons dû les intégrer dans l’entreprise », relate Patricia Ojangole.
Changement de culture
Le voyage avait commencé, mais il restait encore du chemin à parcourir. Outre les systèmes précédents, il était également important que la culture change. Cela signifiait qu’il fallait intégrer une nouvelle génération de personnes qui comprenaient et s’engageaient pleinement dans la nouvelle voie qui se dessinait. Heureusement, la banque disposait d’un personnel relativement restreint et il a été possible, grâce à son expansion, de recruter de nouvelles personnes qui répondaient à ces critères.

Patricia Ojangole relate un des processus nouveaux de décisions : « Nous avons le comité de crédit du conseil d’administration et le comité de crédit de la direction. La direction recommande des documents pour approbation, qui sont ensuite soumis au conseil d’administration. Ce dernier définit la politique et nous évaluons tous les projets dans le cadre de cette politique. »
Et de préciser : « Nous ne pouvons pas présenter au conseil d’administration un projet qui sort du cadre de ces politiques, car il ne l’approuvera pas. C’est ainsi que cela fonctionne et que nos décisions de crédit sont très indépendantes. »
Patricia Ojangole précise que les contrôles sont stricts et que chaque emprunteur doit se soumettre aux procédures rigoureuses de la Banque et obtenir l’approbation sur le bien-fondé de sa demande. « Il s’agit de l’argent des contribuables ougandais et le gouvernement, en particulier le président, a veillé à ce que la banque soit suffisamment capitalisée pour que le capital soit disponible pour le secteur privé. Il est de notre devoir de bien gérer les fonds dont nous avons la garde. »
Désormais, « nos clients, qui sont le secteur privé ougandais et d’autres parties prenantes, ont une confiance renouvelée dans la banque. Tout le monde nous soutient et nous avons vu de nombreux bailleurs de fonds augmenter leur soutien », se félicite-t-elle.
Un bilan sain
La manière la plus précise d’évaluer la santé ou non d’une entreprise, en particulier d’une banque, est l’état de son bilan. À cet égard, l’UDB paraît en bonne santé : son bilan s’élève à 400 millions de dollars en décembre 2022, alors qu’il n’était que de 30 millions $ en 2012. La priorité numéro un de la Banque est d’accroître sa base de financement et il est prévu de lever 1 milliard $ supplémentaire au cours des trois prochaines années.
La banque a obtenu des engagements de la part d’institutions multilatérales et d’institutions de financement du développement en Afrique et au-delà, pour un total de plus de 500 millions de dollars, et travaille actuellement avec les bailleurs de fonds et dans le cadre des processus gouvernementaux pour que ces engagements se concrétisent.
Bien que l’UDB ne soit pas réglementée par la Banque centrale, comme c’est généralement le cas, elle a démontré qu’une bonne gouvernance et un leadership compétent sont essentiels à son succès.
Pour rassurer davantage toutes les parties prenantes, l’UDB procède à un certain nombre d’examens, d’accréditations et de certifications, qui ont tous donné des résultats. Elle fait l’objet de notations de crédit internationales par Fitch, de notations de normes prudentielles par l’AADFI, et a été récompensée dans le domaine de la finance durable, entre autres, par des organismes tels que l’Institute of Corporate Governance et l’ICPAU.
D’importants soutiens
Grâce à sa structure unique, l’UDB peut parfois recevoir ce que ses concurrents pourraient considérer comme un coup de pouce injuste de la part du chef de l’exécutif du pays. Le gouvernement la considère désormais comme une partie intégrante du programme de développement national et tient à la soutenir non seulement en lui fournissant les capitaux dont elle a besoin, mais aussi en menant une action de plaidoyer vigoureuse.
Ses partenaires trouvent quelques bonnes raisons de soutenir l’UDB. Comme dans de nombreux pays du continent, le coût du capital est notoirement élevé en Ouganda. Les dirigeants du gouvernement considèrent donc la banque nationale de développement comme un moyen de faire baisser les taux ou au moins de fournir aux citoyens une alternative moins chère. Ses antécédents en matière de soutien aux personnes défavorisées l’ont aidée dans sa quête de soutien sous la forme de capitaux supplémentaires, ce qui a conduit la banque à réduire son coût d’emprunt à environ 50 % de moins que les taux du marché.
Cela signifie-t-il que les banques commerciales sont injustement évincées ? Patricia Ojangole ne le pense pas. Par exemple, l’UDB ne fait pas grand-chose dans le domaine du commerce de détail, des prêts personnels, des hypothèques, de l’immobilier ou du financement du commerce, etc. « Nous intervenons dans des secteurs que les banques commerciales considèrent comme risqués, tels que l’agriculture et l’industrie manufacturière, principalement des PME en phase de démarrage qui ont besoin de capital patient. Nous veillons à être complémentaires des banques commerciales dans une large mesure et il existe plusieurs façons de collaborer et de se compléter, plutôt que d’entrer en concurrence avec elles. »
Un rôle unique
L’essentiel est que l’UDB a un rôle unique à jouer et qu’elle dispose d’une structure qui lui permet de le faire. « L’environnement commercial est actuellement très difficile et le coût du capital n’aide pas les petites entreprises et entités. Toutefois, contrairement aux banques commerciales, nous pouvons aborder la question différemment, car notre mandat consiste à soutenir le secteur privé par des crédits abordables et nous n’avons pas à nous préoccuper de profits exorbitants, car le gouvernement ne nous les demandera pas. »
Sans la pression de reverser des dividendes aux actionnaires, Patricia Ojangole se concentre sur l’impact social, économique et de développement. Il en va de même pour la pérennité de l’établissement. « Tout d’abord, en tant qu’institution, il faut vraiment être durable avant de pouvoir parler d’aider quelqu’un d’autre. On voit des bouleversements liés à la technologie et à la numérisation, et il se peut que les entreprises que vous soutenez fassent faillite alors que vous avez conclu un accord à long terme avec elles. »
Patricia Ojangole revient plus d’une fois sur la question de la durabilité, au cœur, selon elle, de la croissance et des ambitions de l’UDB. « Sans économie et sans société, il n’y aura pas d’activité pour nous. Nous devons nous positionner de manière à répondre aux besoins de toutes nos parties prenantes. » En d’autres termes, les banques doivent s’efforcer de soutenir les personnes, l’économie et l’environnement dans lesquels elles opèrent, car il en va de leur propre survie en tant qu’entités fonctionnelles.
« Elles doivent connaître et comprendre tous les facteurs et toutes les tendances susceptibles d’avoir un impact sur les économies et les sociétés, et disposer dans leurs activités des cadres nécessaires pour s’en occuper. C’est ainsi que je conçois la durabilité ; elle est large et holistique, explique-t-elle, et pas seulement le concept ESG dont beaucoup d’entreprises font état et jugent qu’elles sont des entreprises durables. »

UDB, juge sa dirigeante, a été en mesure de démontrer tout ce qu’elle apporte à la société, à l’environnement et à l’économie, fournissant ainsi une mesure du succès qui va au-delà des profits. « La banque se concentre sur la mise en œuvre de sa stratégie de développement durable, ce qui lui permet de réaliser des bénéfices et d’en rendre compte. »
Une recapitalisation réussie permettra à l’UDB d’avoir un impact encore plus important, notamment dans le domaine du financement du climat, où elle dispose d’une réserve de projets. « Mon ambition est que cette banque devienne la plus grande banque du pays », conclut Patricia Ojangole dans un rire qui dissimule à peine le sérieux de son propos.
@ABanker