Les crédits de communication ne sont pas de la monnaie

Un rapport de la Banque des États d’Afrique centrale suggère une législation plus contraignante contre les opérateurs de téléphonie mobile qui entretiennent « la confusion » entre les unités téléphoniques et le franc CFA.
Dans un rapport qui vient de paraître, la BEAC (Banque des États d’Afrique centrale) dresse un bilan plutôt encourageant du paysage des services de paiements dans la Zone CEMAC. Toutefois, la Banque centrale s’interroge sur la confusion entre la monnaie (franc CFA) et unités de compte de la monnaie mobile, entretenue par les opérateurs.
En 2022, la CEMAC comprenait 498 prestataires de services de paiement ayant ouvert plus de 37 millions de comptes aux habitants de la communauté. Au total, l’an dernier, 2,4 milliards de transactions ont été réalisées pour un montant dépassant 107 126 milliards de F.CFA (163,3 milliards d’euros). En nombre, l’instrument de paiement le plus utilisé est le virement instantané de la monnaie électronique avec plus de 96% des transactions (2,3 milliards d’opérations) suivi le virement classique et des cartes avec 2% des transactions (48,3 millions d’opérations).
En 2021, la plupart des opérateurs de téléphonie mobile ont remplacé le sigle « Francs CFA » par « U » pour désigner la valeur des unités de crédit téléphonique.
En valeur, les virements classiques viennent en première place avec 44% des transactions soit 48 573 milliards de F.CFA (75 milliards d’euros), suivi des virements instantanés de la monnaie électronique utilisé dans 21% des transactions (23 332 milliards de F.CFA, 35,6 milliards d’euros). Les virements (toutes catégories confondues) représentent 65% de la valeur des toutes les transactions de la zone.
Le Cameroun est le pays où sont exécutées la majorité des transactions tant en nombre (71% soit 1,7 milliards d’opérations) qu’en valeur (55% soit 59 003 milliards de F.CFA, 90 milliards d’euros). Le Congo occupe la deuxième place en nombre (15% soit 364 millions de transactions, tandis que le Gabon vient en deuxième place en terme de valeur (15% soit 16 164 milliards de F.CFA, 24,6 milliards d’euros).
Les instruments de paiement utilisés comprennent le chèque, la lettre de change, le billet à ordre, le prélèvement, la carte de paiement, le virement classique, la monnaie électronique (Mobile money).
De son côté, le service de paiements qu’est le porte-monnaie électronique « est considéré comme un véritable catalyseur de l’inclusion financière, du développement de la numérisation ou digitalisation des paiements et par là, du développement des économies africaines », commente la BEAC.
Les zones blanches d’Internet
Il n’est pas étonnant que le porte-monnaie électronique soit le moyen de paiement prédominant, à l’origine de l’ouverture de 98% des comptes de paiement. En effet, la technologie utilisée (USSD sur le téléphone mobile) permet le déploiement des points de service avec des coûts d’investissement et d’exploitation réduits. Ces services bénéficient de l’infrastructure mise en place pour les services de télécommunication.
Toutefois, le déploiement de cette technologie est encore entravé par les « zones blanches », non desservies par l’Internet ; « elles sont présentes dans tous les pays de la CEMAC et la pénétration internet y reste un défi pour la plupart de ces pays ». La tarification élevée d’internet mobile dans la zone ne permet pas la démocratisation de l’accès aux services numériques. Il est vrai que la zone CEMAC compte trois pays parmi les quarante pays où l’internet coûte le plus cher au monde : la Guinée équatoriale, la Centrafrique et le Tchad. La corrélation entre le réseau de télécommunication et l’activité de Mobile money est établie de par la qualité des acteurs proposant ces services (généralement issus du secteur des télécommunications) si bien qu’une entreprise de téléphonie mobile ne fournissant pas ce service (en partenariat avec une banque commerciale ou à travers une filiale dédiée) « paraît évoluer en marge du développement ou pire, peut connaître des problèmes quant à sa pérennité ».
En effet, le paiement des factures de télécommunications ou le rechargement de crédit téléphonique via le mobile money a été et demeure l’un des produits phares de ces services de paiement.
Le rapport pointe que si le secteur connaît, comme ailleurs, des défis en matière de cybersécurités, « grâce au travail de normalisation et de sécurisation des instruments de paiement par les équipes de la Banque centrale et l’ensemble des acteurs de l’écosystème de fourniture de services de paiement, la fraude sur les paiements demeure maîtrisée ». Les incidents remarquables en la matière ont souvent été rendus possibles avec la fraude interne par la complicité des employés des établissements en cause.
Monnaie ou unités de compte ?
D’autre part, l’année 2022 marque la consolidation de la monétique intégrale avec la mise en production effective de tous les opérateurs monnaie électronique dans l’écosystème GimacPay. Au 31 décembre 2022, le réseau comptait 89 participants, à savoir : 53 établissements bancaires, dix établissements de microfinance, onze opérateurs Mobile money, un Trésor public et quatorze agrégateurs. Au total, plus de 10 millions de transactions ont été traitées sur la plateforme du GimacPay pour un montant cumulé dépassant 395 milliards de F.CFA (602 millions d’euros).
Enfin, la BEAC déplore donc la « confusion » entre la monnaie F.CFA et les unités téléphoniques utilisées comme moyen de paiement équivalents du franc. La BEAC a constaté, « à regret », qu’avec le téléphone mobile, des moyens de paiement alternatifs non reconnus par la BEAC se sont développés. C’est le cas des unités de crédit téléphonique (Voix et données) utilisées comme monnaie ou équivalent du F.CFA (donc ayant cours légal et pouvoir libératoire général) par certaines populations et organisations.
Déjà, en octobre 2020, la BEAC avait averti les opérateurs concessionnaires de téléphonie mobile du Cameroun (AOCTMC) avec diffusion à toutes les Autorités nationales de régulation des télécommunications de la CEMAC. L’institution monétaire réitère donc que les crédits de communication sont « une marchandise, un produit ou un service qui ne servent que pour les services de téléphonie », et qui, même s’ils ont une valeur marchande, « ne sont pas des moyens de paiement ou de la monnaie ». Aussi, le régulateur leur a demandé d’arrêter les pratiques qui consistent à présenter, utiliser ou exploiter les unités de crédit téléphonique en francs CFA. « Cette pratique est de nature à susciter une confusion avec la monnaie légale en vigueur dans les États membres. » De plus, « la rémunération de certains services avec le crédit de télécommunication doit être proscrite ».
En 2021, la plupart des opérateurs de téléphonie mobile ont remplacé le sigle « Francs CFA » par « U » pour désigner la valeur des unités de crédit téléphonique. « Ce changement a été fait sans information aux clients de la signification ou de la valeur de ces U », commente la BEAC.
Au cours de l’année 2022, celle-ci a constaté la persistance de la possibilité de souscrire à des services (payants) à valeur ajoutée en payant en « U ». La persistance de cette confusion conduit la BEAC à prévenir d’une « décision plus énergique » ou directive visant à rendre illégal l’utilisation directe ou indirecte de la monnaie à référence des quantités des biens ou services de télécommunications. Une pratique qui contribue à maintenir l’idée que les « U » sont une monnaie parallèle.
« Cette offre d’utilisation des unités d’appels comme moyen de paiement va susciter les inquiétudes chez les opérateurs de mobile, qui craignent, indiquent-ils dans un mémo, une érosion de leur chiffre d’affaires », commente le magazine en ligne Investir au Cameroun.
@ABanker